Description
Parce que l’amour nous porte
en sa carène de sel jusque sur l’autre rive
nous dépose
nous abandonne
nous de la même vague ouverte
à ses horaires de lune
je veille vivace à maintenir l’âge bien taillé
troisième bourgeon préparé
même sans moi
les oiseaux mélangent leurs parcours
à nos désirs du large
j’ai reçu le cadeau du cœur dans son écrin de chair.
Ce recueil regroupe deux ensembles de poèmes, Mourir enfin d’amour et Amour dormant, dont sont parus chez Al Manar des tirés à part sur vélin d’Arches, rehaussés de dessins originaux de l’artiste-poète. Ils sont disponibles sur ce site, sous leur titre respectif.
Jacques Morin présente Mourir enfin d’amour :
Mourir enfin d’amour, que publient les éditions Al Manar, s’inscrit dans la saga familiale qu’au fil de la plupart de ses livres construit, se remémore et en même temps invente, Luce Guilbaud.
Et le passé devient plus que parfait
et désir
dans les images bougées
de la mémoire.
Saga dont j’ai précédemment rappelé les étapes successives en ouverture à l’I.D n° 907 qui rendait compte d’Où la chambre d’enfant, ouvrage centré quant à lui sur la propre enfance de l’auteure. Mourir enfin d’amour ajoute à l’histoire familiale une pièce supplémentaire, en évoquant la figure légendaire – sirène ou sorcière – de la grand-mère retrouvée morte, noyée peut-être, dans le marais.
Je la vois
d’un bon pas sans regarder derrière
sur les chemins du marais vers la mer (…)et les fossés multiplient leur menace
elle est en noir pour se fondre dans le sombre du temps
Il ne faut pas faire preuve d’une imagination excessive pour comprendre combien la poète peut se sentir proche de cette femme familière des chemins du marais et qui reste dans l’attente de l’époux parti sur la mer :
ne sait s’il reviendra
dans ses habits de corsaire ou ses pieds de valseur
ne sait s’il reviendra
prince de Cocagne ou roulé dans une voile noire
Au final, on saura peu de choses sur cette femme en noir qui marche la nuit au bord de l’eau. Plus d’un vers est interrogatif : s’est-elle perdue dans le sauvage sans balise ? / A-t-elle choisi la robe noire du dernier enterrement ? Ce qui est sûr, c’est que Luce Guilbaud trouve dans l’évocation de cette figure de quoi nourrir pleinement son imaginaire, explorant ces images qui lui sont familières où se mêlent et se confondent la mer, la mort et l’amour.
En contre-point à ces propres interrogations, elle donne avec une ironie bienvenue parole à la grand-mère, en un poème qui mérite d’être reproduit en son intégralité :
Ma grand-mère m’a répondu :
Tu me fais bien rire avec toutes ces histoires que tu me racontes !
C’est vrai, je suis tombée dans l’eau un soir de décembre
je ne sais pas si je me suis noyée
mon cœur s’est arrêté c’est sûrce soir-là je n’attendais personne et j’allais devant moi
le long de la mer
vers un autre avenir de petites graines prêtes à germer
de bourgeons vigoureux
je tenais un fil derrière moi pour ne pas oublier le chemin de ma maison
sans savoir qu’un écureuil me suivait et grignotait le fil qu’il cachait dans ses joues
l
ma pelote était nue
je n’avais rien à perdre
j’ai glissé dans l’eau
pour une dernière jouissance de vagueVague de sanglots à perpétuité…
Repères : Luce Guilbaud : Mourir enfin d’amour suivi de Amour dormant. Couverture et illustrations intérieures de l’auteure. Al Manar éd. ( 96 bd Maurice Barrès – 92200 Neuilly – editmanar@free.fr) – 76 p. 18€.
Chaque partie de ce livre a fait précédemment l’objet d’un livre d’artiste : se renseigner auprès de l’éditeur : ici.
Rappel : Présence de Luce Guilbaud en tant que peintre et poète dans Décharge 189. Lire l’article de Marie-Josée Christien à propos de ce numéro : en Repérage du 3 septembre dernier, sur le site : ici. Elle a également initié les Ruminations de Décharge 191, autour du livre de Cathy Barreau : Lettre de Natalia Gontcharova à Alexandre Pouchkine.
Jacques Morin, Décharge / Magnum n° 191, septembre 2021