Vent dans le vent (Viento en el viento)

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MEDITERRANEE DANS LE MONDE
(Argentine)

Entre les failles
jaillissent les possibles
et les poèmes parlent ;

entre les failles,
les siennes propres,
l’homme érige
sa vie,
donne le jour à son âme.

Description

Hugo Mujica : Vent dans le vent (Viento en el viento) éditions Al Manar/12 euros

Poète de grande ampleur, Hugo Mujica est loin d’être connu en France. Pourtant son œuvre poétique qui débute en 1983 est largement diffusée dans le monde. Ses ouvrages sont édités en Argentine, Espagne, Italie, Mexique, Brésil, Etats-Unis, Chili, Colombie, Uruguay, Equateur, Costa Rica, Venezuela, Slovénie, Grèce et Bulgarie. A cela, encore faut-il ne point négliger tout un travail théorique où s’entrecroisent les questions d’ordre esthétique, philosophique, anthropologique voire théologique. Parmi ses principaux essais on compte « Origen y destino » (1987), « La palabra inicial » (1995), « Flecha en la niebla » (1997), « Poéticas del vacío » (2002), « Lo naciente » (2007), « La casa y otros ensayos » (2008) et « La pasión según Georg Trakl » (2009). « Solemne y mesurado » (1990).
Quelques indices biographiques nous aident à saisir le personnage. Il est né à Buenos Aires en 1942. En tant que plasticien, il fréquente le Montparnasse ou le Montmartre new-yorkais, le Greenwich Village dans les années 60. Entre temps, il devient moine et se conforme à son vœu de silence pendant sept années au sein d’un monastère appartenant à l’ordre de La Trappe.
Les éditions Al Manar ont eu la riche idée de nous présenter un recueil d’une vingtaine de poèmes. Les poèmes originaux côtoient les textes français. La traduction est due à Rodolphe Larrain et Annie Salager.
D’emblée, l’encre dont se sert ce poète fort singulier semble trempée dans du silence et c’est à ce plus que silence que les mots vont devoir s’affronter. Leur teneur, leur exigence, leur raison de déborder du néant, témoigneront déjà d’une attention rigoureuse en se dépouillant de toute prétention orgueilleuse. On a affaire à un grain de parole, à un frottement du mot sur les choses et non à une simple captation où le langage aurait raison à cause de sa plasticité étonnante et de sa prétention à coloniser le moindre évènement. Chez Hugo Mujica, il existe une matière du mot comme il existe une matière du vide que promulgue chaque moment du monde que ce soit à travers la manifestation d’une absence, d’un silence, ce vide étant à la fois le révélateur et l’essence même des choses.
En effet, avant d’être métaphysique, cette sensation du vide a le pouvoir de décaper la simple mémoire émotive à travers laquelle transfigure ce qui nous apparaît. Le vide joue le rôle d’abîme et de révélateur. Il déconnecte le monde de la connaissance que nous en avons et nous le révèle comme si nous le percevions pour la première fois.

« Il pleut
et le jardin a le parfum d’une enfance,

proche de tous les miracles
en l’absence de toutes les mémoires. »

Ce n’est pas le moindre des paradoxes que d’affirmer que la poésie d’Hugo Mujica s’apparente plus à la philosophie chinoise plutôt qu’elle ne s’attache aux canons de la théologie chrétienne. Les choses s’emplissent de vide ou de plein et le vide porte aussi son propre poids. Elles répondent à un principe de réversibilité. Le regard, notre intériorité, le paysage, n’échappent pas à cela. Chaque objet déterminé par notre attention propose son envers, désarme notre savoir immédiat. Il émet d’autres propositions comme s’il portait en lui le paisible déséquilibre du monde.

« Quand le lointain
bat au-dedans
c’est que le dedans
est dehors déjà ; »

A certains moments, les éléments de la vie s’objectivent et trouvent leurs formes pures ou neutres en dehors de toute prétention sensible, une vérité sans éclats qui se débarrasse de sa magnificence ou des signes dont on l’aurait chargé. Bizarrement cette pureté et ce dénuement n’amènent aucune exaltation et semblent voués à tracer des lignes exactes, à se conformer à une expression mathématique du monde où les affects n’auront pas de rôles à jouer. Nous sommes donc loin d’une poésie impressionniste où l’individu et le monde établissent des lois fusionnelles, troublant la pensée et le regard, les convertissant au gré de la magnificence de la lumière et de ses reflets.

« Toujours une lumière brille
qui se voit seulement
quand elle n’éclaire rien,

comme une nudité
qui se révèlerait en elle-même,
non dans les yeux de qui la regarde. »

Cependant, il ne s’agit pas de s’en tenir à une vision, de proclamer une hiérarchie quelconque dans la manière de voir et de sentir en proposant d’autres perspectives de la réalité comme le proposerait un peintre, il s’agit de délimiter une forme, la plus précise possible, et d’en définir des lignes de fracture ou de fuite en mesurant « le pas irrémédiable / d’une vie vers son néant ».
Pour Hugo Mujica, si l’on devait parodier un poète célèbre, la lucidité serait la blessure la plus rapprochée du silence, une sorte de faille car entre celles-ci,   » les siennes propres, /l’homme érige/sa vie/ donne le jour à son âme. »
L’étrangeté consisterait à dire que la vie, la mort, l’immensité possèdent un poids sachant qu,e quelle que soit leur teneu,r chacune passe par un trou d’aiguille. Le fait d’exister consisterait alors à s’approprier un monde exact et consentir à le voir à travers la plus infime de ses fêlures.

Christian Viguié

Caractéristiques

parution

isbn

978-2-36426-034-4

Auteur

MUJICA Hugo

Collection

Voix vives de la Méditerranée