Tout commence la nuit

A partir de 18


Poèmes de Anne Rothschild.

Illustration Rachid Koraïchi.

14 exemplaires tirés à part sur vélin d’Arches
au format 22 x 16 cm,
rehaussés d’un dessin original de R. Koraïchi,
sous couverture Arches ivoire 300 gr.

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Description

Quatorze dessins de Rachid Koraïchi accompagnent les textes de Anne Rothschild. Chacun des exemplaires de tête est rehaussé d’une encre originale de Koraïchi.


La critique

Anne Rothschild : Tout commence la nuit
Dessins de Rachid Koraïchi
Ed. Al Manar 18 €

Dans le droit fil de son précédent recueil, Le rêve de la huppe, chez le même éditeur, Anne Rothschild continue de s’insurger contre les guerres fratricides du Moyen Orient, territoires occupés contre terre promise, djihad contre diaspora, symbole contre symbole, mémoire des uns contre désespoir des autres. Si Daniel Barenboïm qui fait jouer ensemble musiciens israéliens et palestiniens a opté pour la double appartenance à l’état d’Israël et à la Palestine, l’union des deux identités aujourd’hui ennemies, Anne Rothschild, pour sa part, oppose la paix du poème à la violence borgne de tous les nationalistes sourds au discours de l’autre. Démarches convergentes. Le message de paix s’inspire lui-même des textes sacrés dont se prévalent la plupart des protagonistes de ce conflit sans fin ou, plus exactement, sans autre fin possible que négociée, dans le respect de la dignité et du droit de chacune des parties. Tout commence la nuit s’ouvre sur une dédicace à la mémoire de toutes les victimes de la guerre du Liban de l’été 2006 et par l’annonce plusieurs fois millénaire d’une sortie de chaos avec la levée de l’ancêtre commun aux trois monothéismes, un juste nommé Abraham… Plusieurs citations en exergue encadrent l’œuvre, tressent des filiations, du Zohar à Ibn Arabi :  » Nous sommes dans la nuit / en pleine lumière du jour,  » de Jean de la Croix à Mahmoud Darwich :  » La paix, chanter une vie, ici, dans la vie / sur la corde de l’épi…  »
Du mythe de l’origine à la réalité présente, la méditation poétique tente de pénétrer le mystère, d’induire la marche vers l’accord continuellement différé, sans occulter la complexité des causes de l’embrasement :  » Emergeant de l’obscur [….] une figure se lève […] suit sa voix sans jamais savoir où mène la voie / passe la rive d’un pas léger comme si la perte contenait en son évidence / une terre sans image un visage pour les lettres […] le chemin marche là où la caresse trace une promesse.  » Les métaphores conjuguent le rite et le rêve comme dans cette évocation du shofar – accessoire biblique annonciateur de la nouvelle année ou de la nouvelle lune mais aussi, en cas d’agression, d’une nouvelle guerre – utilisé depuis la destruction du temple :  » chaque matin est une naissance / un nom nouveau qui s’engouffre dans la corne du bélier / un souffle pierreux / une colonne d’air / un rire aux lèvres gercées / entrent dans l’Histoire / […] Midi dans les braises / Miel dans la blessure.  »
D’un recueil à l’autre, les écueils s’accumulent :  » Les grands froids de l’âme viennent quand il n’est d’autre refuge que la haine…  » Alors,  » la huppe avale son rêve,  » et les menaces, les dangers, les atrocités se multiplient :  » Fuyez / avant que l’épée ne tranche / la gorge de la huppe // la lune a parfois l’éclat de l’acier…  » La nature elle-même se rebiffe, comme exaspérée de cette folie autodestructrice :  » le jasmin et le basilic ont déserté nos portes…  » L’auteur tente une ultime mise en garde, fait appel à la raison ardente de ceux qui espèrent encore :  » N’arrachez pas la bouche du figuier / Alors qu’une prairie en pente douce / Attendrit le cours de la mémoire…  » Les mères qui ont donné vie sont doublement trahies, doublement victime, dans la chair de leur chair :  » Nos enfants vont mourir à l’aube / prisonniers de nos désirs…  » Et, dans le sud Liban :  » Les enfants qu’Agar a jetés sous le buisson / ceux dont la blessure n’a pu guérir se lèveront…  »
Alors, face à ces populations promises au désastre, devant ce destin tragique perpétué, Anne Rothschild tente une fois encore de faire entendre l’appel de la huppe, d’éveiller les consciences en donnant à voir la détresse des mères, en ses versets et proses segmentées :  » envers et contre tous chaque naissance est un monde / un exil et un recommencement / l’infini mystère d’une goutte d’eau / un caillot teinté d’aurore et d’argile / plié dans un pauvre linge / mais combien de fontanelles faudra-t-il ouvrir / de fenêtres briser / de portes enfoncer / pour que rouille enfin le fer…  »
Aux femmes, aux mères bouleversées par la perte, la patience  » de rapiécer fil à fil / génération après génération…  » A elles d’entrer en négociation ! Ne réussiraient-elles pas mieux que les belligérants à faire triompher un plan de paix durable ?
Anne Rothschild, comme Martin Luther King, dans un autre territoire du chaos de ce monde en armes, clôt son recueil sur un rêve et lui donne corps, celui des frères ennemis d’aujourd’hui :  » Alors deux frères issus de l’Orient des origines viendront peut-être / joindre leurs pas / et verser sur les os allongés / les nôtres – les leurs / tous ceux à venir // Les étoiles et les lunes d’un même sable // Même s’il n’y a pas d’ange / pour rouler la pierre…  »
On ne saurait mieux conclure que sur la réussite des éditions Al Manar, permettant cette nouvelle collaboration entre l’auteur(e) d’origine juive, née à New York, et l’illustrateur, Rachid Koraïchi, exilé d’Algérie. Les encres et calligraphies en langue arabe font librement écho au texte et symbolisent le message de fraternité entre des cultures que les fanatiques de tout bord voudraient à jamais inconciliables…

Ménaché
Europe, n° 954, octobre 2008

Errants promis au désastre

Avec ce long poème, l’écrivaine et plasticienne belgo-suisse Anne Rothschild poursuit sa confrontation au conflit israélo-palestinien, qu’elle interrogeait déjà dans son recueil précédent, en collaboration avec le même peintre algérien Rachid Koraïchi. Dans Le rêve de la huppe (Al Manar, 2005), la poétesse faisait dialoguer les voix de la huppe, messagère de l’invisible pour les mystiques musulmans, de la Sulamite, de l’amant et du choeur des filles de Jérusalem pour donner à entendre un espoir — fût-il fragile — de réconciliation. Un espoir que l’histoire a tôt fait de démentir : dès juillet 2006 éclate le conflit israélo-libanais et «la huppe avale son rêve».

Ce deuxième recueil fait donc tragiquement suite au premier pour faire entendre, à travers une polyphonie énonciative plus indistincte, le chant de désespoir et d’impuissance des femmes, dont la fécondité semble vouée à l’affrontement. Est alors invoquée l’unité spirituelle des trois religions abrahamiques face à leurs promesses non tenues : «Bien que nos livres aient puisé à la même outre / vous vous êtes dressés contre la maison qui vous a chassés / au nom d’un même père / nous avons rasé vos murs et vos enfants lapident nos fils.»

Un chant plus que pessimiste donc. Pourtant, «Tout commence la nuit» : ce très beau titre résume magnifiquement la tension originelle de l’obscurité et de la clarté à laquelle Anne Rothschild semble ici rapporter l’horreur du présent. Comme si, lasse de constater la contradiction entre les promesses en gestation et l’engrenage de la destruction, la poétesse interrogeait cette fois la faille au coeur du magma originel : «La lourde torsade de chair, de sang, et de sperme que déroule la nuit tourne et retourne dans l’ornière de sa cassure.» Cette tension poétique est finement rendue par l’alternance formelle de poèmes en prose et de poèmes en vers libres, alternance qui met en scène le dialogue entre la parole mythique des peuples fondateurs et l’histoire individuelle. Une grande force se dégage du foisonnement énonciatif du texte, qui culmine en un avertissement répété, aussi lucide qu’universel : «Nous sommes tous des errants promis au désastre.»

Pourtant, l’imminence de l’horreur coexiste toujours avec l’espoir. Peut-être parce que, si la violence est atavique, le tissage des générations, «que nous, femmes, aurons l’infinie patience de rapiécer fil à fil» est aussi appelé à garantir une mémoire salvatrice. Peut-être aussi parce que, au coeur des meurtrissures des peuples, des voix individuelles peuvent encore échanger leur intimité, «tendresse aussi frêle que buée sur les lèvres / genèse du souffle / mêlant salive et semence / concert de voix mouillées […] le temps d’une respiration et je serai celle qui ouvre la voix de la paix».

Que la gravité d’une telle thématique ne nous empêche pas d’évoquer la netteté toute tranchante de certaines images : «Des voies que nos rivages ont emportées / Traversent le monde d’un bout à l’autre / Comme des cris d’arbres qu’on abat», ainsi que le bel équilibre du texte et de l’image à travers les dessins, à la fois sobres et fourmillant de symboles, de Rachid Koraïchi. L’art ne peut sauver le monde, certes, mais il témoigne ici d’une collaboration réussie pour en questionner l’insensé.

Geneviève Hauzeur
Le Carnet et les Instants n° 154

Caractéristiques

exemplaire

courant, de tête

isbn

2-913896-58-1

parution

Auteur

ROTHSCHILD Anne

Artiste

KORAÏCHI Rachid

Collection

Voix vives de la Méditerranée