Description
Naples est la ville du mystère, elle est mélodieuse et déroutante, âpre et tendre, somptueuse et populaire. La plus grande beauté s’y associe à la quotidienneté. La ville se cache et soudain se dévoile. Il convient de l’arpenter et de la respirer. Entre précision et rêverie, les mots d’Yves Peyré s’efforcent de la traduire en dressant son portrait que les dessins d’Ernest Pignon Ernest rehaussent encore. L’écriture et l’esquisse figurée sont les deux manières de retrouver le parfum et l’allant de la vie du golfe. Des ombres se glissent et des lumières se proposent. L’histoire a alors autant d’impact sur l’imagination que l’instant qui éclot. Naples est là, vibrante depuis toujours, elle livre au présent sa grâce et sa séduction.
LA CRITIQUE
Philippe Leucks a dit : « »Lecture d’un très beau récit de voyage à Naples d’Yves Peyré. Les dessins admirables sont dus à Ernest Pignon-Ernest. Magnifique présentation des éditions Al Manar. « Naples dans l’éclat de sa différence », 2025. L’incipit donne le ton : « Naples est une ville tout à la fois mélodieuse et déroutante, âpre et tendre, somptueuse et populaire ». »
Naples dans l’éclat de sa différence, Yves Peyré, Ernest Pignon-Ernest, éditions Al Manar, 2025, 149 pages.
« Naples, dans l’éclat de sa différence » vu par Marie-Hélène Prouteau
Voici un très beau livre, d’abord par sa facture qui donne son sens plein au mot « ouvrage ». C’est aussi un trésor qui déploie tout un art de la rencontre. Entre Yves Peyré et Ernest Pignon-Ernest. Pas n’importe où. À Naples, cette ville aussi métamorphique que son emblème Pulcinella. Dans cet admirable arpentage, la rêverie érudite d’Yves Peyré fait scintiller la beauté des lieux sous leurs facettes littéraires, picturales, musicales et s’accompagne, comme par grâce, d’une quarantaine de dessins d’Ernest Pignon-Ernest qui nous a habitués à des œuvres plasticiennes de rue, fortes et engagées. Cette connivence dans l’amitié et l’hospitalité des signes artistiques est exemplaire de la démarche des éditions Al Manar qui, depuis trente ans, poursuivent avec constance leur dessein d’associer littérature, poésie et peinture.
Livre d’ardent dialogue des arts. Livre-palimpseste des strates du temps. Comme l’est Naples, « la ville de la bigarrure », où vibrent les temporalités. Grecque, étrusque, romaine, byzantine, angevine. Livre où, de bout en bout, se trame la présence irradiante de l’écriture et du dessin. Imaginons jusqu’où nous propulse Virgile à Naples, figure d’enchanteur suscitant les légendes, revisité par les dessins d’Ernest Pignon-Ernest ? Ou bien la mort baroque, celle des œuvres du Caravage ou de la sublime Artemisia Gentileschi. Les visions brûlantes des Sept Oeuvres de miséricorde ou de Judith décapitant Holopherne avec leurs fantômes circulant dans le silence des dessins d’Ernest Pignon-Ernest ? Et que dire du Christ voilé de Sanmartino ? Des singuliers trompe-l’œil dont le peintre de l’art urbain a le secret. Lui qui travaille sur les villes, sur leur passé, sur les pavés des rues, son vrai matériau, explique-t-il.
Il y a, autre visage de la mort, le Vésuve. L’« épée de Damoclès », hantant les sites de Pompéi et d’Herculanum, à même les pierres. À même les moulages de victimes, rehaussés par les dessins de l’artiste. Voilà qui met sous nos yeux la vie perdue, que l’écrivain appelle superbement « les soupirs de l’éternité ».
C’est ce lieu de l’humain que captent Yves Peyré et Ernest Pignon-Ernest. Celui qui a résisté aux malheurs, l’irruption du volcan en 79 comme la peste noire. Qui les a sublimés dans les objets chatoyants de l’art, populaire ou non. Dans la musique de Pergolèse et Cimarosa comme de « O Sole mio ». Et aussi dans la passion des Napolitains pour le football qu’incarne la folie Maradona, « un expert en enchantement », selon Yves Peyré. Nul doute : « Naples est une ville tout à la fois mélodieuse et déroutante, âpre et tendre, somptueuse et populaire ». Ouverte à la « frénésie urbaine » de la foule, comme au clair-obscur des rues et au silence mystérieux d’une ville sous la ville, celle des catacombes. Ouverte aussi vers la mer, la rade et ses îles de beauté.
Yves Peyré se demande à quoi tient le génie de cette ville : « elle n’est absolument pas muséale, alors même qu’elle est gorgée de merveilles. Au fond, ici les choses ls plus hautes sont assimilées par le peuple ». Le tag compte aussi bien que les sites les plus nobles. On comprend dès lors l’hommage qu’il rend à son ami, Ernest Pignon-Ernest qui, de 1988 à 1995, « a été chez lui à Naples, a fait de cette atmosphère un mouvement personnel de vie ».
Quel est le lien secret d’Yves Peyré à Naples et à ses alentours ? Ce qui frappe, c’est que le rêve sillonne puissamment son écriture. Les occurrences des mots, « rêverie éveillée », « songe », « éblouissement » en sont le signe. Dans des pages magnifiques, il confie qu’à Pompéi, le sentiment paysage a partie liée avec les lectures qui meublaient son enfance. Celles où se joue le fantasme amoureux d’un homme des temps présents pour une belle jeune fille surgie des ruines du passé. Et de rappeler, dans cette inspiration, trois rêves, celui de Nerval dans Octavie, celui de Gautier dans Arria Marcella et de Jensen dans sa Gradiva. Dans l’enfouissement du passé surnage quelque chose qui est encore vivant et fait retour – serait-ce l’inconscient, selon Freud, passionné par Pompéi et la Gradiva ? Ernest Pignon-Ernest, lui, s’est glissé dans ce rêve nervalien en dessinant un portrait pleine page de l’auteur d’« El desdichado » avec, pour titre, un des vers du poème : « Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie ».
On pourrait parler de la triade des poètes associés à Naples, outre Virgile, Le Tasse et Leopardi et d’autres pépites. On le voit, la matière de ce livre est si riche qu’on ne sait où donner de la tête. Il faut prendre le temps de lire, de contempler. De suivre l’aventure des mots et de leur inscription dans les dessins. De laisser circuler les échos fugitifs entre eux. Entrons dans Naples, ce rêve d’une ville et dans cette conversation élargie.
Marie-Hélène Prouteau, Europe, mars 2026

