l’évidence de la paix nous enfante

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Quatrième de couverture

LE nouveau recueil de Luminitza Tigirlas : dire le désir de paix qui nous habite, dans le monde tourmenté qui est le nôtre.

Description

Un beau recueil de la plus roumaine des poètes publiés chez Al Manar, en forme de triptyque pour dire le désir de paix qui nous habite, depuis les blessures de l’enfance derrière le Rideau de fer et la volonté d’assimilation linguistique à laquelle il a fallu résister, jusqu’aux tourments de notre époque : « j’ai vu la terre pondre la faim », nous dit la poète:
J’attends le dénouement
et l’hiver continue de mourir
comme on épingle
l’insistance d’une nuit
et d’un manque
où floconne le sommeil (…)
Luminitza C. Tigirlas, d’origine roumaine, née en Moldova orientale, terre roumaine occupée et annexée par les Soviétiques, est une survivante de l’assimilation linguistique dans l’U.R.S.S. Elle a publié d’abord en roumain, langue maternelle sertie dans l’étrangère graphie cyrillique en République de Moldova d’avant la chute du Mur. Sa lalangue ravine sur ces traces traumatiques. Poète et écrivaine de langue française, Docteure en psychopathologie de l’Université Paris-Diderot-Paris 7, après avoir exercé à Paris et à Saint-Priest (Métropole de Lyon), elle est psychanalyste trilingue à Montpellier. Elle a publié de nombreux recueils de poésie, des essais littéraires et des textes de fiction.
Couverture : Doïna Vieru
LA CRITIQUE

Un triptyque comme une évidence : celle des origines du mal qui engendre la guerre, malgré notre aspiration à la paix. Dans sa première partie, « ante-bellum : les frontières saignent », Luminitza C. Tigirlaspuise comme souvent dans son histoire personnelle, ici pour évoquer la répression, la création d’un clivage entre êtres humains, cette atmosphère dans laquelle couvent les conflits meurtriers à venir : « La terre de Moldova se tient au lointain / au temps d’une étrangeté grondante / d’un ciel banni trop haut / et d’un désir détenu à ses frontières ». L’assimilation « dans la paix armée des soviets » au moyen « d’une allaitante langue » marque son enfance : « pourquoi se lier par les lois / des grammaires envahisseuses ? » Interrogation ô combien pertinente, même si la poésie de l’autrice désormais « s’abreuve à l’écriture trilingue ». Mais l’assimilation linguistique soviétique représente également l’un des signes avant-coureurs d’une guerre à venir bien plus tard, ailleurs, que la poétesse matérialise dans la deuxième partie.

« la paix envoie des perce-neige au front » nous amène ainsi en février 2022, au début de l’agression russe sur le territoire ukrainien. Si les vers qui précédaient cette partie étaient soigneusement tressés au moyen d’images et de tropes à caractère souvent symbolique, l’expression devient ici un rien plus directe, plus violente aussi : « Dans l’air vicié des combats / Icare me prêtait son corps / et son excédent de soleil / sur le sol désagrégé de Zaporijjia ». Luminitza C. Tigirlas ressent dans sa chair les souffrances de celles et ceux qui habitent les villes bombardées, propose une « écriture âpre / fange aux feuilles coriaces » où elle convoque Celan et Mandelstam en grands témoins de son impuissance sidérée, où « le déluge des silences [la] fissure ». Le territoire et l’idiome de France, qui protègent son corps, ne sauraient ôter la peine de son âme : « Striures dans la peau du langage / le français ploie, il s’est barricadé / face à une langue natale / langue revenue avec épaisseur / — intraduisible — / dans la tombée de ton silence ». Même ce « tu » poétique, compagnie qui brise la solitude de la sensibilité aux malheurs, ne parvient pas à soulager la poétesse… qui pourtant livre une troisième partie.

En effet, « j’ai vu la terre pondre la faim » vient conclure ce triptyque éprouvant sur une note, oh ! pas vraiment d’espoir, mais de relatif apaisement contristé : « La tristesse se pare de jonquilles fugaces / réclame sa créance d’âme oisive ». L’histoire personnelle de Luminitza C. Tigirlas lui a enjoint d’écrire sur la guerre en Ukraine, et elle s’est exécutée en poétesse engagée, en passeuse multilingue de mots d’importance, puisant dans ses racines celles du mal actuel. Mais n’a-t-elle pas elle aussi droit au sentiment du devoir accompli, auquel succède une torpeur salutaire ? « Argile. Je suis argile / j’attends une pluie qui m’aimera / jusqu’à l’os / jusqu’au gémissement de ta caresse ».

Luminitza C. Tigirlas, L’évidence de la paix nous enfante, éditions Al Manar, ISBN 978-2-36426-405-2


L’évidence de la paix nous enfante, Luminitza C. Tigirlas (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart 16.01.25 dans La Cause littéraire : La Une Livres, Les Livres, Al Manar, Recensions, Poésie

L’évidence de la paix nous enfante, Luminitza C. Tigirlas, Editions Al Manar, octobre 2024, 70 pages, 15 €

Edition: Al Manar

L’évidence de la paix nous enfante, Luminitza C. Tigirlas (par Patryck Froissart)

 

Un nouveau recueil de poésie de l’écrivaine de langue française, d’origine roumaine, Luminitza C. Tigirlas, qui vient s’ajouter à un corpus déjà fort important d’œuvres poétiques.

L’ouvrage comporte trois parties, dont les titres condensent les thèmes fondateurs d’une écriture traversée par les images obsédantes d’un passé constamment en résurgence dans l’ensemble des textes :

– ante bellum : les frontières saignent

– la paix envoie des perce-neige au front

– j’ai vu la terre pondre la faim

Exil

L’auteure, installée et insérée en France, est née en Moldavie orientale, « terre roumaine occupée et annexée par les Soviétiques ».

L’amertume du déracinement, d’un bannissement contraint, la nostalgie de la terre mère devenue indûment et étrangement étrangère, la souffrance latente due à la cruciale certitude d’avoir été injustement privée du droit de vivre là-bas, de développer son être dans ce lointain désormais révolu, dans cet environnement naturel, géographique, historique, social, culturel en quelque sorte utérin et à tout jamais impossible à retrouver, hantent l’écriture.

 

La terre de Moldova se tient au lointain

au temps d’une étrangeté grondante

d’un ciel banni trop haut

et d’un désir détenu à ses frontières

[…]

Prutul est une rivière

et je suis son bord

du côté de l’Est

toujours en saignement de frontières

 

Guerres

L’histoire mouvementée de la République de Moldova, tiraillée, de par la bi-diversité ethnico-culturelle de sa population, entre l’Europe et la Russie, laquelle l’a amputée d’une partie (la Transnistrie) de son territoire immémorial, histoire jalonnée de conflits funestes au sein d’une région perpétuellement en tension, connaît une nouvelle période tourmentée depuis le déclenchement de l’attaque militaire russe en Ukraine. L’auteure ressent en son âme, en sa chair, en ses tripes, les séquelles des ravages de ces guerres régionales passées et présentes, qui ont fait et font « saigner les frontières » et exprime à la fois son horreur de toute guerre quelle qu’elle soit et l’espérance de voir s’épanouir sur les champs de bataille des perce-neige aux blancs pétales messagers de paix qui marqueraient la fin des sombres saisons belligènes.

Espoir illusoire ? Le titre du volume semble porteur d’une perspective optimiste, de cette paix qui serait régénératrice, qui redonnerait vie, et dont il convient, malgré la sombreur de la strophe ci-dessous, de considérer la potentielle instauration comme une impérative « évidence ».

 

La paix envoie des perce-neige au front,

Leurs clochettes maculées de vert

Leurs têtes hébétées

Prennent feu

Dans les mains des enfants.

 

Ils ne grandiront plus au bord de Dnipro.

 

Langue

La soviétisation de la région natale de Luminitza s’est accompagnée d’une assimilation linguistique forcée. Les réminiscences de cette russification, et de l’incarcération de l’écriture de sa langue maternelle roumaine dans le système alphabétique cyrillique, provoquent chez cette auteure trilingue, de façon lancinante, ici la traduction récurrente d’une révolte à jamais douloureuse, et là la pénible évidence de la difficulté, voire de l’impossibilité de pouvoir exprimer parfois dans la langue qui est devenue sienne par immigration ce qui jaillit spontanément dans la langue originelle.

 

Striures de l’autre langue

sur la face du mot qui s’ouvre –

infinie matière du souffle

[…]

Striures dans la peau du langage

le français ploie, il s’est barricadé

face à une langue natale

langue revenue avec épaisseur

– intraduisible –

dans la tombée de ton silence

 

Quelques belles perles extraites d’une brillante guirlande d’images :

 

A la pente de l’Est

la blessure

fume dans la chair

des mots en décomposition

[…]

Faisant la moue

sous les masques à gaz nous grandîmes

dans la paix armée des Soviets

– écorces blanches des bouleaux –

[…]

Tout était autre

et la lumière avait l’air coupable

d’un enfant qui se blesse

avec un phonème

 

Et l’ensemble est à l’avenant : une poésie poignante, voire déchirante, de défoulement, d’exploration de soi, de réouvertures de blessures existentielles, une poésie propre à une auteure titulaire d’un doctorat en psychopathologie exerçant la profession de psychanalyste.

 

Patryck Froissart

 

Luminitza Claudepierre Tigirlas, d’origine roumaine, née en 1966, en Moldova orientale, est une survivante de l’assimilation linguistique soviétique. Poétesse et écrivaine de langue française après avoir d’abord écrit en roumain, elle a publié de nombreux recueils de poésie, des essais littéraires et des textes de fiction.