Les Algériens au café

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Vingt exemplaires de tête sur Vélin d’Arches
rehaussés de peintures de Sébastien Pignon ;

1500 exemplaires sur Arcoprint Edizioni.

Ouvrage publié avec le soutien du Centre National du Livre

Leïla Sebbar a rassemblé dans ce livre huit textes brefs de huit écrivains algériens :
Azouz BEGAG,
J-E. BENCHEIKH,
Albert BENSOUSSAN,
Maïssa BEY,
Vincent COLONNA,
Mohamed KACIMI,
Noureddine SAÂDI,
Leïla SEBBAR.

Le peintre Sébastien Pignon les a accompagnés de ses dessins croqués sur le vif du côté de La Chapelle, de Barbès et des quais de Javel…

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Description

Les Algériens de la première génération immigrée en France se rencontrent encore dans les cafés où ils bavardent et jouent aux cartes et aux dominos, entre hommes, sans famille ni enfants, après des années de travail en France.

Algériens de la première génération, grands-pères, pères, oncles, cousins des jeunes nés en France.
Ceux qui ont donné au pays d’accueil jeunesse, énergie, savoir-faire,

Ceux qui ont choisi de rester dans le pays de leur travail, de leurs amours heureuses ou malheureuses, de leur famille, reconnaissante ou ingrate,

Ceux qui ont observé modestie, réserve, discrétion, durant des décennies, dans l’exil,

Ceux-là, souvent seuls aujourd’hui, on ne les a pas vus (ils travaillaient pourtant au vu de tous, chantiers, bâtiment, voierie…) parce qu’ils se sont rendus invisibles, contrairement à leurs enfants.

Ils se retrouvent dans les cafés, ils bavardent, ils rient, ils crient, ils jouent aux cartes, aux dominos, ils boivent du café, du thé, de la bière, loin de la maison de leur mère, de leur femme, ils sont nostalgiques ou non.

Des écrivains leur donnent une place dans la littérature, on les entend, on les écoute, on s’émeut…
Des dessins donnent à voir, sur le vif, dans leurs lieux de vie, les cafés, leur maison désormais, des hommes qui vivent et qui mourront en France, leur pays, avec l’Algérie comme terre imaginaire.


La critique

Libération, jeudi 3 juillet 2003

Sébastien Pignon illustre huit nouvelles inédites d’écrivains algériens : Azouz Begag, Jamel-Eddine Bencheikh, Albert Bensoussan, Malika Bey, Vincent Colonna, Mohammed Kacimi, Noureddine Saâdi, Leïla Sebbar. Les cafés sont en France, et les Algériens fatigués, vieillis d’y être venus jadis pour y travailler. Pignon donne à leurs visages tristesse, douceur et dignité.

Encres vagabondes, n° 28

Leïla Sebbar a regroupé huit textes d’écrivains algériens sur le thème Les Algériens au café avec des dessins de Sébastien Pignon. Le temps du premier texte, sur les pas d’Azouz Begag, nous voyageons dans les cafés algériens de Lyon, où se mêlent les ambiances algérienne et française. Ensuite, Jamel-Eddine Bencheikh, d’une écriture très poétique, retrace une partie de l’histoire politique algérienne, assis dans un café désert alors que les cafés très fréquentés permettent de bavarder, de boire et de jouer. Les dominos sont omniprésents au café ainsi que le jacquet, objets de plaisir ou de disputes. Albert Bensoussan nous parle d’un café maure d’Alger. Maïssa Bey, enfant, a longuement été intriguée par les cafés morts : « Je pensais que cette appellation était en relation avec les cimetières, lieux où se rendaient les femmes chaque fois qu’elles en avaient l’occasion, pas seulement pour se recueillir sur les tombes de leurs chers disparus, mais aussi pour rencontrer d’autres femmes (…) Pendant longtemps ces deux endroits ont été, pour moi, intimement liés. Les hommes allaient au café mort et les femmes au cimetière, voilà tout. » Les femmes ne pouvaient aller qu’au cimetière et au hammam, lieux où elles allaient aux nouvelles. Cafés réservés aux hommes et non aux enfants et ayx adolescents, Vincent Colonna le souligne ainsi que les regards des hommes qui se posent sur les formes naissantes des jeunes filles qui passent devant eux. Les cafés de Mohammed Kacimi sont les lieux des rivalités entre ceux qui sont restés au pays et ceux qui ont émigré et qui reviennent l’été, pour les vacances. Et pour ceux qui ont quitté le pays, le Café de la Scarpe permet d’échanger leurs souvenirs et de discuter des événements quand ils s’y retrouvent le soir. Noureddine Saâdi aborde aussi le problème du lieu où sont enterrés ceux qui ont quitté leur terre d’attache. Le djebel Amour, est le café qui termine le recueil. Leïla Sebbar nous entraîne sur les pas d’une jeune femme que la guerre et la vie n’épargnent pas.

Un recueil de huit nouvelles passionnantes et fortes. Les écritures de chaque écrivain se côtoient avec bonheur pour découvrir des lieux aux émotions marquées par la tradition, par la complexité des ambiguïtés, par les épreuves, l’exil, les jalousies. Les dessins donnent chair à ces hommes qui attendent, jouent, discutent, se taisent, se surveillent, se regardent…

CONFLUENCES Méditerranée n° 47, automne 2003

Les Algériens au café est un bel objet : le livre, composé sur papier ivoire, rassemble huit nouvelles originales d’écrivains algériens (Azouz Begag, Jamel-Eddine Bencheikh, Albert Bensoussan, Maïssa Bey, Vincent Colonna, Mohamed Kacimi, Nourredine Saadi et Leïla Sebbar) et des dessins à l’encre de Sébastien Pignon.
Tous les récits, qu’ils soient autobiographiques ou de fiction, se situent autour du café, endroit à la fois familier et mythique, lieu de rassemblement irremplaçable des hommes d’Afrique du Nord. En quelques pages, les auteurs esquissent un moment particulier et cependant toujours répété, car le café est le lieu de la routine, de l’habitude mais aussi du fantasme pour ceux qui ne peuvent y entrer. La petite fille de l’histoire de Vincent Colonna s’imagine pénétrant dans le café, Maïssa Bey crut longtemps que le café maure était un « cajé mort », qu’ainsi le lieu de rendez-vous des hommes correspondait au cimetière, lieu de rencontre des femmes. Dans le café, tout se sait et tout se colporte, avec cet humour pince sans rire typique, familier, transporté avec soi partout, même et surtout dans la misère. Car il y a le café en Algérie, où les hommes voient revenir ceux qui vivent « labachinou », dans l’Isère, avec leur pauvre arrogance comme le raconte Mohamed Kacimi et puis il y a aussi le café en France, qui devient la maison des Algériens de la première génération, le café qui est pour eux ce qui reste du pays natal.
Les huit écritures sont différentes et pourtant réitèrent un ensemble de mouvements immémoriaux, comme le geste de poser les dominos ou de boire lentement un café. De même les dessins croquent, de quelques traits à l’encre de Chine, les attitudes, les postures qui semblent avoir été prises sur le vif. Ils n’illustrent pas précisément les nouvelles mais en forment un contrepoint émouvant, ils saisissent ces hommes, vieux pour la plupart, intemporels et retrouvant où qu’ils soient, chez eux, en Algérie ou en France, les mêmes habitudes et la même solitude, le même bruit et le même silence.

Catherine Dana

HARFANG, revue de Littératures – novembre 2003, n° 23
Collectifs

Les Algériens au café, Éd. Méditerranée Al Manar, 96 pages, 18 euros

Belle initiative de Leila SEBBAR de rassembler huit textes d’écrivains algériens avec des dessins de Sébastien PIGNON sur les cafés où les hommes se rencontrent, d’un côté ou de l’autre de la Méditerranée : lieux de regards et de paroles, lieux d’affrontement et de fraternité, lieux codés que le sociologue analyserait à travers ses rituels, ses boissons, ses jeux et ses langages.
Azouz BEGAG évoque  » Le temps des dominos «  chez Mohamed à Lyon. Jamel-Eddine BENCHEICKH s’installe au  » Bistrot des brumes « , derrière son journal, un verre d’absinthe ou d’anisette à la main, pour passer en revue les  » actualités  » algériennes des quarante dernières années. En buvant le café et en attendant le double-six, Albert BENSOUSSAN brosse avec nostalgie le portrait de deux figures du café maure :  » Le Chibani et la Tachibent « , là où se réunissent  » le vieux, le pauvre, l’oisif et le philosoeuf  » ! Dans ses souvenirs d’enfance, Maïssa Bey retrouve aussi ces  » cafés morts «  où les hommes se donnent rendez-vous quand les femmes vont au cimetière ! Pourtant, le café est un lieu de vie, comme le rappelle Nourredine SAADI dans Au café de la Scarpe, le soir, quand il rapporte les discussions des émigrés :  » Je ne suis plus ici, je ne suis plus de là- bas « . Alors le café, c’est toujours mieux que le carré musulman dans le cimetière :  » quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, on est mieux ici qu’en face !  » Pour Mohamed KACIMI, le café reste le lieu de rencontre et d’échange, où les émigrés  » les Zmagras de Labachinou «  (les émigrés de là-bas chez nous) apportent les mots nouveaux de la modernité : les sacs Darty, les postes Philips, les voitures Bigeot à ceux qui sont restés au pays et qui rappellent qu’en France  » là où on a tout… sauf son père et sa mère «  !

Sous la plume de plusieurs des auteurs déjà présents dans notre numéro 21 (Nouvelles algériennes) et sous le pinceau de Sébastien PIGNON, c’est une belle galerie que ce recueil qui expose en huit tableaux quelques réalités passées et présentes des Algériens.

Topo n° 2, p. 44

Brèves – actualité de la nouvelle – décembre 2003, n° 70, p. 114

Les Algériens au café, textes rassemblés par Leïla Sebbar, Editions Al Manar

Ce beau recueil, dans sa forme, son papier, sa typographie, propose huit nouvelles inédites d’écrivains algériens : Azouz Begag, Jamel-Eddine Bencheikh, Albert Bensoussan, Maïssa Bey, Vincent Colonna, Mohamed Kacimi, Nourredine Saadi et Leïla Sebbar. Les dessins à la ligne pure de Sébastien Pignon accompagnent, avec une véracité plus grande que ne le feraient des photographies, ces moments d’intimité collective que sont les heure passées dans les cafés pour les Algériens de la première génération. Ceux-là, contrairement à leurs enfants, se sont rendus invisibles, et le café, « le café d’Arabe, que des Arabes… », est souvent devenu leur maison. Les écrivains nous introduisent dans un monde inaccessible à qui n’est pas de là, et nous font partager histoires, souvenirs, destins entr’aperçus parfois, devinés souvent au hasard d’une promenade urbaine.

Simon Passager

L’IDEALISTE
http://www.lidealiste.com/

Entretien avec Leila Sebbar et alii (« Les Algériens au café », Al Manar, 2003)

Les éditions Al Manar font paraître un très beau recueil de nouvelles, Les Algériens au café, sous la direction de Leila Sebbar et avec des dessins de Sébastien Pignon. En compagnie de quelques uns des auteurs du livre, Frédéric Grolleau vous ouvre les portes du mystérieux  » café maure « , lieu de toutes les rencontres et de tous les enjeux.

Frédéric Grolleau : D’ou vient cette idée, Leila Sebbar, vous qui avez dirigé ce recueil, de réunir des auteurs divers et variés autour de la thématique du café ? Comment avez-vous travaillé, dans quelle durée vous êtes-vous installés ?
Leïla Sebbar : Je nourrissais ce projet depuis longue date, parce qu’il y a encore des algériens au café et que ces cafés-là sont particuliers puisqu’ils sont fréquentés par les chibanis, les vieux maghrébins, algériens, tunisiens ou marocains, qui souvent ne travaillent plus et qui ont besoin de se rencontrer. Ce qu’ils font dans des cafés réservés aux hommes. On verra ce qu’il en est de la présence féminine dans ces cafés au travers de huit nouvelles du recueil qui alternent cafés en France et en Algérie, selon les auteurs. J’ai donc demandé à des auteurs ayant un lien avec l’Algérie, que je connais et dont j’ai lu les livres, d’écrire chacun une nouvelle dans un délai prescrit et avec des consignes bien précises, soit dix à quinze feuillets.
Vincent Colonna : De toute façon le texte l’emporte rapidement et, après, on trouve que la contrainte était naturelle, nécessaire.
F. G : Chacun de ces textes insiste donc, à sa manière, sur la richesse du café maure, les interdits qu’il véhicule et la part de mémoire qu’il représente ?
L. S : Oui, c’est tout cela à la fois car  » les cafés maures  » est une appellation typiquement algérienne, il en existe assez peu de ce genre en France.
V. C : En Algérie, c’est un héritage du colonialisme ou de l’orientalisme. On les nomme ainsi pour les distinguer des cafés plus courants parce qu’il n’y a pas d’alcool, ils sont plus populaires et valent surtout comme des lieux de sociabilité, en parallèle à la mosquée, au marché et à la place publique, où l’on rencontre les gens de son village ou de son quartier. Ni les femmes ni les enfants seuls n’y pénètrent, ce qui génère un phantasme consistant à rentrer dans ce café maure et y prendre un café au milieu d’hommes .

F. G : Que vient-on chercher dans ce lieu alors ?
Nourredine Saadi : c’est un lieu qui se trouve dans un quartier, un espace urbain très concentré, dans lequel on écoute de la musique (le plus souvent du chaabi ou de la musique orientale égyptienne) et où l’on peut jouer aux dominos et aux cartes. On s’y rend comme on va au troquet de quartier en France, sauf qu’il y a une esthétique, une odeur, un goût des choses propres au café maure. On va dans ce lieu de convivialité, de discussions politiques et d’information, pour pendre un café rapidement ou passer le temps…Malheureusement en Algérie ces cafés disparaissent parfois, remplacés par des cafés pour certaines confréries et professions (les musiciens ou les supporters de clubs de football)
L. S : Il faut souligner que dans un Algérien, il y a en effet, toujours un homme politique, parce que, dans un Algérien; il y a (aussi) des ennemis…
F. G : Oui. D’ailleurs, il y a deux thèmes récurrents dans ce recueil, sans que les écrivains se soient concertés : le jeu de dominos et la mort de Boumédienne, manière de souligner que l’imaginaire collectif algérien se forge au feu de l’histoire dans les cafés…
N. S : il est vrai que les femmes sortent plus aujourd’hui dans l’espace public, avec ou sans hidjab. Elles vont donc y créé des modes de comportements différents, dont vont profiter certains, comme dans toute société marchande de ce nom. Quand je me promène à Alger avec une femme qui veut aller aux toilettes, je sais que c’est un problème car il n’y a pas de toilettes propres dans l’espace public ! Certains y pensent et sont en train de créer ces endroits dont sont écartés les dragueurs et les emmerdeurs : les femmes disposent alors de sécurité et sont légitimées à aller dans cet espace public… Il y a même des restaurants à Alger qui ne sont ouverts qu’aux femmes ! Mais ce changement n’est pas général.
F. G : Comment avez-vous, Sébastien Pignon, vous qui êtes l’illustrateur de ce recueil, pu représenter ce qui est irreprésentable pour les femmes : l’intérieur de ce café et les hommes qui s’y trouvent ?
Sébastien Pignon : Je me suis installé avec mon matériel dans des cafés parisiens que je connais, dans le XVIII e arrondissement, du côté de La Chapelle, de La Goutte d’Or ou à Belleville. A chaque fois j’ai été mêlé à un lieu amical qui comporte tous les aspects du caractère, le jeu, la discussion enlevée, etc. J’ai fait tous les dessins bien avant le regroupement des textes, puisque ce qui m’intéressait c’était de camper des figures typiques. J’ai exécuté mes portraits sur place avec mon encre, mon chiffon et mon gros cahier à spirales, donc je n’étais pas particulièrement discret ou en train de voler une image, et j’ai été accueilli très chaleureusement, comme si je jouais moi aussi …mais avec une plume.
F.G : Chez vous, Vincent Colonna, la vision de ce café est très spécifique puisque votre nouvelle est coupée en deux, chaque partie étant le lieu d’un regard, d’abord masculin puis féminin, de deux adolescents…
V. C : En fait, j’ai eu un blanc sur le café maure. Bien qu’ayant vécu en Algérie jusqu’à l’âge de 20 ans et beaucoup fréquenté ce genre d’endroits, en particulier parce qu’ils ne sont pas chers, je n’arrivais pas à retrouver des histoires qui me soient arrivées personnellement. J’ai donc enquêté autour de moi, demandant à des personnes originaires d’Algérie de me raconter des histoires relatives au café maure. Je me suis alors aperçu que la situation de la femme et de l’enfant était intéressante par rapport à ce lieu  » merveilleux « , symbole de rêverie et de cauchemar, d’interdit et de phantasme tout à la fois. A partir de ces anecdotes j’ai mis en place deux situations parallèles où un enfant de 11 ans et une jeune fille ont l’occasion exceptionnelle d’entrer dans le café maure, mais qui finalement y renoncent – sans doute pour maintenir en tant que tel, inaccessible, l’objet merveilleux.
F.G : Pour une jeune femme algérienne, boire ainsi un café est inimaginable ?
V. C : Oui, surtout qu’on assiste à une ré-islamisation de la société algérienne. Et en même temps elle s’accompagne d’une réappropriation de l’espace public par les femmes (avec ou sans le voile), avec notamment la création récente de  » salons de thé  » dédiés aux jeunes filles, aux femmes et aux familles. Ces deux phénomènes sont à la fois simultanés et contradictoires !
L.S : Mais ce changement n’est pas si radical car il y a 10 ans existaient déjà ces salons de thé qui
consacraient une partition sexuelle entre hommes et femmes. La mutation n’est donc pas si extraordinaire que ça…
V. C : En même temps, les femmes portent le voile mais elles travaillent, elles occupent de plus en plus de places dévolues aux seuls hommes auparavant.
F. G : En ce qui vous concerne, Leïla Sebbar, c’est un peu différent, puisque le café maure illustre plutôt les désillusions d’une femme qui se bat pour son indépendance, sa liberté, et qui trouvera en ce lieu une forme de réalisation de soi mais en payant un prix élevé…
L . S : Je n’ai pensé ma nouvelle en ce sens mais toutes les lectures sont possibles ! Je suis allée il y a longtemps dans les cafés maures, les  » cafés chantants  » de Barbès, de La Goutte d’Or mais ils ont disparu aujourd’hui. Dans l’un d’eux j’ai vu il y a 15 ans le comptoir, peu de clients, des hommes jouaient de la musique et une jeune femme qui dansait avec une robe de mousseline rose assez bizarre. A la fin de la danse, comme le veut la tradition des  » cafés de la joie  » rapportée dans la littérature du début siècle, les hommes collaient des billets sur ses épaules, son front, partout où sa sueur permettait aux billets de coller. J’ai mis en scène dans mon texte, de manière fictive, une de ces femmes  » irrégulières « , qui quitte l’Algérie, se rend dans des régions sinistrées du nord-est de la France pour se retrouver ensuite dans un café chantant.
F. G : Mais de nos jours une telle possibilité de  » refuge « ne serait plus possible, puisque ces endroits disparaissent ?
L. S : Oui, mais les femmes peuvent toujours servir dans les cafés… avec tout ce que cela suppose ! Maintenant on a affaire à des cabarets avec danse orientale, danse du ventre etc.
F. G : Autre vision des choses pour vous, Nourredine Saadi, le café est le lieu de la nostalgie et de l’inquiétude, de la perte du lieu, entre l’ici et le bled trop lointain. Donc, le café comme le dernier rempart ?
N. S : Oui, c’est là un café imaginaire,  » Le café de la Scarpe « , que j’ai élaboré à partir d’un bistrot à Douai dans le Nord où je suis allé boire quelques bières de temps en temps. Pour moi les enseignes des cafés sont intéressantes car, comme le nom d’une personne, elles disent beaucoup sur l’univers de ceux qui y vivent : c’est soit des clichés qu’on retrouve partout,  » au bon ceci « ,  » au bon cela « , soit un mode de dénomination,  » Chez Maryse « , qui personnalise un café. Moi je suis un homme de bistrot, je les ai toujours fréquentés – et il m’arrive souvent d’y travailler car je m’y sens mieux que chez moi. Ici, j’ai imaginé un univers par lequel, dans un café français situé au pays des mines et près d’un canal (à la Simenon), je fais venir l’Algérie. Il y a des personnages qui sont là, agrippés au comptoir, et vous avez envie de les regarder, d’imaginer ce que peut être leur vie ! Les personnages ici sont retraités, il sont derrière eux une vie accomplie mais aussi, devant eux, les interrogations de maintenant. J’ai ajouté à cela des interrogations personnelles, intimes, qui sont celles de personnes qui se sont trouvées  » déplacées « , parce qu’elles l’ont voulu, parce que le destin les y a contraintes, d’un lieu à un autre. La nouvelle pour un écrivain peut être soit comme un croquis qu’il va développer par ailleurs, comme un dessin par rapport à une peinture, soit un univers renfermé qui existe en tant que tel, ce qui est le cas pour mon texte. D’ailleurs, vous avez tous les jours des gens qui regardent et écoutent ensemble la télé algérienne dans les bistrots parisiens : en même temps ils sont là et ils sont au pays ! Il est immanquable
alors que les questions sur le terrorisme et la mort reviennent…car ce ne sont pas seulement des
phantasmes ou une volonté de coller à l’actualité mais des choses qui nous travaillent fort. C’est là une situation d’entre-deux que j’adore, personnellement car j’aime me sentir marqué d’une différence, étranger, entre ici et là-bas. J’aime vivre à la lisière, et non au centre, des choses. Ici on est immigré de l’extérieur et en Algérie, où la situation évolue très rapidement pour la nouvelle génération, on est un peu comme immigré de l’intérieur. Donc être étranger, c’est pas si mal !
S. B : Pour revenir sur la question de la partition des sexes évoquée tout à l’heure, j’aimerais préciser que, pour ma part, je ne connais pas beaucoup de cafés à Paris où on ne boit pas d’alcool. L’autre jour dans un café de Belleville, du côté de Colonel Fabien, je me suis trouvé dans un café arabe qui diffusait une musique de transe très forte. A l’intérieur, les conversations entre jeunes gens étaient passionnées, une personne s’est soudain assise et s’est mise à pleurer, c’est vous dire ! Il y avait là deux filles qui servaient dans une ambiance agitée et qui faisaient toute l’animation. Et dans la salle se trouvaient deux Chinois qui discutaient eux aussi de manière forte, tout cela dans une grande liberté. Je me suis dit que les deux Chinois étaient venus là pour être tranquilles, entre eux, et qu’on leur foute royalement la paix ! Voilà une ambiance typiquement parisienne, d’une ville cosmopolite, qu’on pourrait difficilement voir à Berlin ou à Londres, et ce dans un lieu, malgré ce qu’on pourrait penser, très ouvert, où l’on peut entrer pour faire ce qu’on veut, regarder ou non ce qui se passe, lire la presse…, sans agressivité ni tension. Même si l’on peut prendre des  » excitants  » au café, on y traite surtout, je crois, d’une certaine forme d’impatience. C’est-à-dire de la conjurer et de la vivre bien.

Propos recueillis par Frédéric Grolleau le 06 décembre 2003 à la Bibliothèque Goutte d’Or, avec l’aimable autorisation de l’association Paris-Bibliothèques.
Merci à Sébastien Pignon qui nous a généreusement fourni les deux illustrations du présent dossier.


Les Algériens au café, collectif, textes de Azouz BEGAG, Jamel-Eddine BENCHEIKH, Albert BENSOUSSAN, Maïssa BEY, Vincent COLONNA, Mohamed KACIMI, Nourredine SAADI et Leïla SEBBAR rassemblés par Leïla Sebbar, Al Manar, 2003, 95 p. – 18, 00 euros.


Quelques extraits des nouvelles des trois auteurs interviewés :


 » Les femmes m’ont tout appris, la danse, le chant, la musique et l’amour. L’alcool et le kif. La jalousie. Si je ne m’étais pas enfuie, la favorite de la Maîtresse m’aurait assassinée, poignardée ou empoisonnée. J’en suis persuadée, aujourd’hui encore, où je danse dans Le djebel Amour, pour des hommes pauvres, sans femme, ni famille, ni tribu. Je danse pour eux et je chante, ils sont heureux. Les billets froissés, sales, qu’ils glissent, timides, sous le feston de dentelles de ma robe, collent à ma sueur. La mousseline rose tremble sous leurs doigts ouvriers. Je souris. Assis sur les bancs de bois posés le long des murs, en carré, ils sont dans le patio
et ils entendent l’eau de la faïence verte et bleue. « 

Leïla Sebbar,  » Le djebel Amour « , in Les Algériens au café, Al Manar, 2003, p. 93


 » Quand j’arrive à leur hauteur avec mes copines, nos jambes tremblent, notre cœur bat plus vite, car nous savons qu’ils inspectent notre allure. Parfois, le vent rapporte des bouts de phrases : il est question de réputation et de dévergondage, mais aussi de dents blanches, de seins fermes et de cuisses rondes. Le loup est un mammifère carnivore. D’après ma mère, leurs mots sont corrects si un membre de nos familles se trouve parmi eux, vulgaires s’ils se sentent libres de causer à leur guise.
La place d’un homme n’étant pas à la maison, ce café est la plaque tournante de la ville : les hommes y passent entre midi et la tombée de la nuit. En début d’après-midi, quand il fait 45° à l’ombre et que toute la population somnole, assommée par la chaleur, c’est la seule place animée de la ville.

Vincent Colonna,  » Doublet d’as  » in Les Algériens au café, Al Manar, 2003, p. 58


 » Et d’un geste machinal il tassa une cigarette sur l’ongle du pouce. Silencieux jusque là, il saisit l’occasion pour engager la conversation, il aimait beaucoup discuter avec le docteur :  » Vous fumez toujours autant, c’est pas bon pour les dents.  »  » Tu vas pas faire le coup à un vieil anar ?  »  » Tu sais, j’ai appris par mon métier que les bouches seront toujours plus sales que les culs. Regarde-les tous dans la salle, je connais la bouche de chacun, les langues noires, les gorges chargées de houille, les chicots pourris de chique, les dents macérées de bière, les haleines putrides, les gencives ulcérées, les lèvres qui sucent les cons sales des bordels, alors tu crois que le tabac c’est pire que la mine ? Monde aujourd’hui têtu, tragique et blême. Emile Verhaeren. C’est comme ça.  » Et il tira la langue au miroir derrière le comptoir.  » Sacré docteur, va !  »
Le laissant se replonger dans son journal, il se tourna vers la salle, un panorama circulaire comme s’il voulait vérifier que chacun était bien là, comme chaque soir.  »
(…) Dire que je ne sais même pas comment est l’intérieur du café, sa décoration, son mobilier. Nawel m’a juré que c’était quelconque, avec des traces de doigts sur les murs et les portes. Mais c’est une envieuse, qui critique toujours ce qui lui est inaccessible. Pour moi, c’est la vie interdite, c’est la vie rêvée. Comme mon envie de danser au cinéma, si le film m’émeut. Le loup est un animal fascinant. « 


Nourredine Saadi,  » Au Café de la Scarpe, le soir « , in Les Algériens au café, Al Manar, 2003, p. 80.

Caractéristiques

exemplaire

courant, de tête

Auteur

SEBBAR Leïla

Artiste

PIGNON Sébastien

Collection

Méditerranées