Le Chemin de Damas

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MEDITERRANEE ORIENTALE
(Irak)

Je suis descendu du Kassion
Et j’ai laissé la montagne derrière moi
Ma valise est petite mais ma question est grande
La fenêtre de Damas est fermée
Et son cœur paniqué est à sa place
Les garçons suicidés ont laissé la pelote de laine.
Qu’elle ferme sa porte derrière moi
Qu’elle tisse les pulls pour les morts
Et qu’elle
Attende

Description

Nouri Al-Jarah : Le chemin de Damas

LOTFI NIA

J’ai choisi ce livre d’abord pour son titre : l’espoir de lire ce que pouvait faire un poète syrien de cette ville devenue inaccessible. Comme si j’attendais qu’un génie littéraire surgisse de la guerre – étrange. J’ai rapidement été contrarié : ce recueil de poèmes n’est pas lié à l’actualité. La plupart des poèmes sont datés des années 1980 ou 1990. Damas continue donc à pouvoir exister autrement qu’en guerre. Ce recueil est très représentatif d’un courant poétique propre au Moyen-Orient d’expression arabe, une poésie des choses désenchantées. Une poésie où est exprimé l’instant d’une correspondance entre ce qui est là et ce qui est absent – « … tandis que tu étais en voyage et que moi je rentrais […] dans l’ascenseur », « Qui est entré dans ma maison pendant que je n’étais pas là ? ». Cette mise en écho de ce qui est présent et de ce qui est absent se fait à travers des objets du quotidien (« ascenseur »… « un vélo cassé / La pluie l’a lavé plusieurs fois », « la vaisselle qui / s’échappait des mains de l’hôtesse »). Ces choses, qui sont là, signalent un manque. Ce sont des objets inhabités – « les parapluies sont abandonnés » – des choses vides (comme un regard vide). Et c’est en cela qu’on peut peut-être parler d’une poésie du désenchantement (pourtant le mot dieu revient souvent dans les poèmes de Nouri al-Jarah). Autre singularité de cette veine poétique : l’absence de sujet ou de personnage. La personne humaine est abstraite ici. Ce sont des personnages hiératiques et sans visages : « l’assis », « l’invité », « ceux qui ont traversé le calme », « les paysans », « les danseurs », « les légères endormies », « un chauffeur ». Le recueil est donné en édition bilingue (ce qui mérite d’être salué). La traduction est scrupuleuse, avec des choix francs : majuscule au début de chaque vers, suppression de la ponctuation, simplification. L’édition de la partie arabe est assez maîtrisée (même si la police est un peu petite, et la ponctuation parfois mal placée).

LOTFI NIA, ccp février 2015