Etat actuel des choses (L’)

A partir de 17


Long poème en prose rythmée, dans lequel Eugénie Paultre place la pensée au centre même de la création poétique.

Couverture, Préface et dessins de Etel Adnan.

20 exemplaires tirés à part sur Vergé
au format 22 x 16 cm, rehaussés d’un dessin original
de Etel Adnan, sous couverture Rives d’Arches 250 gr.
et emboîtage réalisé par Marie-Christine Sergent.

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Description

L’état actuel des choses est le livre d’un moment, d’un temps donné – celui où le poème s’impose de lui-même comme moyen et nécessité de vivre : pour respirer.
Écrit selon cet ordre, le texte, en son mouvement, est un va et vient entre une histoire personnelle et le monde – notre monde – selon un juste échange – où la juste mesure se cherche.
Un autoportrait, en somme : de soi, du monde, de soi & du monde : du lieu où se noue cet accord, toujours déjà là, pour nous – en son repli, selon le rythme de son propre devenir.
Comptes-rendus, notes, lettres, pensées : ce recueil se veut témoignage successif de ce qui est à dire, à redire sur le moment et à l’instant même – dans une tension où se cherche selon différents modes la manière de répondre toujours un peu plus de la vie, de répondre de sa beauté inévitable, d’en prendre acte – à même l’expérience : pour surmonter la seule brièveté de son advenue
– pour atteindre selon les tentatives offertes sa profondeur innée – éprouvée – transmuée en poésie.


La Préface d’Etel Adnan :

L’esprit a ses propres montagnes. Celles-ci peuvent être obstacles, murs infranchissables, frontières douloureuses ; elles peuvent aussi être escaladées, offrant des chemins rugueux vers des sommets ouverts sur l’infini. L’un de ces chemins est la poésie, langage lancé à la rencontre du monde et de ses choses.

L’esprit est un langage qui a le pouvoir de rencontrer d’autres langages, et ceci dans des dialogues entre énergies différentes bien que toutes apparentées.

Il s’agit de se rappeler que le monde est langage tout autant que l’esprit, tous deux miroir l’un de l’autre, et n’existant que simultanément. La beauté est le point focal du monde, la poésie, point focal de l’esprit.

L’Etat actuel des choses se situe aux limites de la grande aventure qu’est la pensée, là ou elle devient poésie.

Et comme certains fleuves traversent majestueusement certains déserts, l’amour traverse ces textes, un amour concernant un être bien précis (et disparu), mais aussi amour diffus touchant tout ce qui est, transformant tout être humain ou tout objet en icône reliée au sacré.

Cette méditation innerve le texte comme si l’amour était un état du monde, présent aussi dans son absence, force créatrice de ce que, avec maladresse, nous appelons une âme. L’état des choses est l’état actuel de l’âme du monde.

Une double urgence se dévoile au fil des pages : la présence du monde, son existence absolue, ainsi qu’un questionnement sur le fait de vivre, une double réflexion d’une complexité qui aurait pu être effrayante, mais qui pourtant est menée ici dans le calme, le genre de calme qui s’inscrit parmi des tempêtes.

Cet apprentissage de la vie vers la vie, nous est-il dit, est la condition de toute approche du monde, de tout chemin vers ce dernier. On n’est aidé vers cette plénitude que par la poésie et la philosophie quand ces deux domaines de l’esprit font cause commune, dans une rencontre ouverte, là où s’engouffrent le vivant, ses joies et ses terreurs, dans un cadre devenu actif, c’est-à-dire à l’arrivée du ciel, ou de la lune, ou à la vue des voitures sur des routes qui longent des rivières, dans cette épiphanie qu’est notre quotidien…
Cette tentative inaugurée par, et en tout cas propre à la démarche poétique d’Eugénie Paultre, constitue ce que j’appellerais la « nouvelle poésie ». Toute pensée y est moment éphémère de poésie, toute poésie, pensée fulgurante. Il s’agit de proposer des visions ancrées dans des mouvements de pensée, disant, par exemple, que tout arbre est lui aussi une pensée qui se tient debout, que tout ciel est fait pour veiller sur la parole.

Pour cela, il est fait confiance à cet instinct que les dieux ont déposé en nous, celui qui donne à la poésie une place centrale dans la vie elle-même. Il s’opère là une subtile transmutation des choses, des principes et des concepts, qui s’instaure au fur et à mesure de l’écriture de ces textes, cela dans « la douleur [qui] demande une force considérable : en elle [devant] se soulever toute la puissance d’un renversement du tout au tout ».

Dans cette perspective, toute tragédie personnelle est tragédie cosmique, le destin étant toujours lié au cosmos. Cet écho du moi sorti de sa torpeur et réverbéré à l’infini à travers les larmes, est le poème en poèmes. Il est le constat, précisément, de l’état du poète, et de l’état des choses, ceux-ci coïncidant. « Pas une parcelle du monde qui ne nous embrasse », lisons-nous.

Le filigrane de L’état actuel des choses demeure l’amour. Il est texte sur la chose perdue, disparue, oui, mais aussi sur cette chose qui ne cesse de nous regarder – et de nous aveugler – de nous investir, qui n’est pas notre vie tout en l’étant sans cesse, ce tout que l’amour métamorphose en devenir.

Un sens lancinant de la répétition irrigue cette recherche orphique, car toute poésie se fonde sur l’origine du rite. Il s’agit du rythme intérieur de la parole parlée ou écrite, de répétitions modulées, variées, en cette instance, avec une subtilité que d’habitude seule la musique nous fait connaître. Les phrases envoûtantes échappent à mesure qu’on les lit ; elles passent comme on dit que le temps passe, dans une disponibilité qui projette en avant le sentiment que tout mystère ne demeure le plus profondément mystérieux que là même où il se dévoile.

Etel Adnan

Frontispice (dessin original d’Etel Adnan) et page de titre de L’état actuel des choses

La première page de L’état actuel des choses

?il y a des fois où se réveiller signifie ne plus pouvoir dormir rompu à la limite ce qui doit se décider décider c’est combien et comment il y va de nous-même comme de la vie évidemment

*

A tout, il y a un commencement et une fin. Seulement le commencement n’est pas ce que l’on croit, la fin n’est pas ce que l’on croit.
Des commencements commencent sans cesse dans la plus grande indifférence et s’arrêtent dramatiquement là. Beaucoup auraient pu être et dû être suivis, mais cela ne suit pas.
Il y a tant de commencements laissés à eux-mêmes – ignorés. Impossible de les compter.
Des fins aussi, il y en a tant, inaperçues. Tant de choses sont déjà finies sans même que rien ni personne n’en ait rien su rien connu.

 

*

Tout commencement n’est rien d’autre qu’un irrésistible élan. Ne pas y résister, surtout ne pas y résister.
Les fins sont sublimes – merveilleusement définitives – entraînant nécessairement ailleurs. Ne pas s’y tenir, surtout – surtout ne pas s’y arrêter.

 

*

La critique

Podcastez l’émission de Marie Richeux (« Pas la peine de crier », France-Culture) consacrée à L’Etat actuel des choses en cliquant ici.

Eugénie Paultre : L’état actuel des choses (éditions Alain Gorius, 17 €), par Gabrielle ALTHEN

Le livre d’Eugénie Paultre, présentée en quatrième de couverture comme poète et enseignante de philosophie, se déploie entre deux étonnements, celui de la mort subite d’un être cher, nommé François, survenue sous ses yeux, et celui de la découverte de la possibilité qu’une joie demeure, pour reprendre en partie le titre d’un choral très connu de Jean-Sébastien Bach. C’est donc un livre qui déploie un trajet entre deux amours, celui de la personne aimée et celui de l’émerveillement du vivre. C’est aussi un livre qui se risque à les mettre en regard l’un de l’autre. Inutile donc de chercher dans ces pages quelque émotion qui soit sentimentale, (Ah l’appauvrissement misérable des sentiments !). Ne s’y trouve pas de pathos. Encore moins de psychologie. Son ordre est ailleurs, ce qui n’empêche pas la commotion qui l’a fait naître d’avoir été terrible.  D’où son constat, nu : cela arrive / Cela fait peur / à qui regarde d’en bas / Il faut y être pour sentir l’effet que cela fait / Cela fait peur et ne fait pas peur / C’est arrivé / Comme cela. Comme cela. Il n’y a rien à en dire. L’emploi du neutre permet de faire silence sur la singularité du drame. Il n’en expose que la révélation subite, cet ordre des choses, dont se dégagera la méditation qui suit. La qualité de ce livre tient ainsi à son amplitude, entre douleur et joie, entre la mort et la vie. Autant dire entre les pôles d’un destin, de tout destin. Il témoigne d’un exercice d’intensité vital de la pensée et de la liberté, en marge de ce qui pouvait être attendu, convenu.
Douleur et joie, stupéfaction et d’emblée relève du possible par la poésie. Sur le chemin du cimetière, Eugénie Paultre constate qu’elle a l’esprit traversé par un vers de Rimbaud. Ainsi se laisse pressentir ce que ce livre désigne comme L’état actuel des choses et un peu plus tard comme le fil de la vie, qu’elle dit horizontal et qui désigne ce passage ordinaire et si mal connu qui fait passer d’un instant à l’autre. La vie m’a saisie, cela a commencé comme cela. Comme cela, à nouveau. Bientôt, par l’intermédiaire de Bram van Velde, l’intuition se précise. Voici que la douleur, le désespoir et l’angoisse seront considérés comme des états, de ce fait transitoires, alors que la joie, l’amour, seraient seuls appelés à durer. Car cette « joie-amour », puisque les deux se conjoignent jusqu’à ne plus constituer qu’une seule réalité et un seul mot, ce n’est pas un état, c’est une dimension. Le bonheur et la joie, malgré leur fugacité, seraient même toujours entiers. Il y va, me semble-t-il, d’une révélation. Qu’on ne s’étonne pas que l’amour, sous toutes ses formes, soit interrogé, cet amour dont il est dit qu’il pourrait tout. En premier lieu, celui de l’être cher, et se greffe alors sur le propos une vibrante réflexion sur la confiance partagée, dite la plus belle chose du monde. Quant à l’amour du vivre, il implique de l’audace, à coup sûr du courage, car il y va, comme pour l’enfant prodigue des Cahiers de Malte Laurids Brigge deRilke, d’un amour délié de tout lien, de toute convention, de toutes conditions (Aimer « à condition », c’est en toute logique une négation de l’amour). C’est un amour sans attente, sans bénéfices, sans retours, ni jeux de miroirs. C’est celui de la vie strictement prise en tant que telle, c’est le fait d’être amoureux de l’indéfinissable sentiment de la vie et Eugénie Paultre d’ajouter : je ne peux faire autrement que de penser la vie comme cette inspiration d’un amour pour rien, pour tous et pour personne – d’un amour venant de l’amour même. Il ne faut pas s’étonner que cette méditation, pour laïque qu’elle soit, conduise parfois à des accents pauliniens. L’auteur, qui a pu dire à Marie Richeux, lors d’une émission de France-Culture intitulée « Pas la peine de crier », qu’elle demeurait en marge de toutes considérations religieuses, découvre une radicalité de l’amour qui touche à la mystique. Ainsi des accents tels que celui-ci : les yeux fermés, il ne fait pas noir. La nuit il ne fait pas noir. La nuit absolument noire, noire, noire, noire, l’espace infini et effrayant, ne manque pas de lumière, où se laisse entendre peut-être un souvenir de Pascal, peut-il faire aussi penser à la Nuit obscure de Jean de la Croix. L’amour est par-delà bonheur et malheur, plaisir et peine – comme la vie est par-delà bien et mal. Comme de façon logique, se trouve  ainsi convoquée dans ces pages une réflexion sur la part divine susceptible de se laisser découvrir dans la condition humaine, ainsi même qu’une définition de qui nous sommes : nous sommes « hommes » parce que nous ne sommes pas que cela, ou encore : être humain, c’est inouï.
C’est donc d’une aventure qu’il s’agit, une aventure qui a ses risques et ces lignes seraient fautives si elles ne mentionnaient pas aussi la palpitation d’une vulnérabilité. La découverte pourtant va son cours, avec une incroyable autonomie, parfois s’appuyant sur les repères brièvement évoqués d’une grande culture philosophique, parfois prenant ses marques par rapport à elle. Elle ne cesse jamais d’être inventive, réinventive, peut-être, à partir d’une expérience intérieure actuelle du propos de bien des sagesses. Cette méditation, en outre, au travers d’une ascèse de l’attention et du regard, demeure disponible, ce qui n’est pas très ordinaire aujourd’hui, à la « beauté ». Elle comprend d’autre part, le plus vibrant hommage qui se puisse lire des poètes et des philosophes dont le « sixième sens » parviendrait comme de soi à la conscience de ces choses.
Reste la forme, cette forme qui inclut des notes, la saisie hâtive de l’intensité de la pensée, mais aussi des lettres, des propos adressés à celui qui n’est plus, parfois la trace d’émerveillements devant les ciels bleus d’hiver ou la lumière que l’auteur affectionne : elle possède les mêmes marques d’autonomie que la pensée qu’elle distribue. Etel Adnan écrit justement dans sa préface que L’état actuel des choses se situe aux  limites de la grande aventure qu’est la pensée, là où elle devient poésie. Poésie, certes, mais poésie susceptible d’engager à nouveaux frais une définition du mot. René Char disait de lui que son métier était métier de pointe, cette pointe étant le lieu extrême où le vécu qui se fore, la pensée et la parole se rejoignent. Ici, la parole, sans aucune affèterie d’aucune sorte, épouse la pensée jusque dans ses découvertes les plus rares. La prose, le plus souvent donnée pour telle, n’est ainsi   poésie que du fait de la justesse de cette adéquation. Nous voici loin de Valéry, preuve que la question du lien de la poésie et du sens est inépuisable. Mais il se trouve encore cependant qu’il est des moments où cette même prose, si exacte et simple qu’elle soit, penche plus sensiblement vers le poème. L’auteur va à la ligne, ce que, d’habitude, on appelle faire des vers. Elle va à la ligne pour laisser sa place à l’éblouissement de ce que la pensée et l’émotion découvrent. Elle va à la ligne pour mettre les étapes d’un procès, au sens de processus, au jour. Je n’en dirai pas plus, sauf à noter de façon plus générale le constat si fréquent – autre foyer de questions – du fait que la parole extrême dans sa véracité, celle des déportés de la seconde guerre mondiale, par exemple, ou celle de mystiques qui ne sont nullement esthètes, s’écrit et se dépose volontiers ligne à ligne, vers à vers.  Autre questionnement, autre raison de dire que le livre d’Eugénie Paultre a aussi ce pouvoir de faire entrer dans un buisson de questions.

Gabrielle Althen
Europe

« Par la force des choses, de fait, il n’y a pas le choix, ce qui arrive, arrive… C’est terrifiant ». E. Paultre la décrit une réalité successive. Parmi, la mort de l’être aimé. Elle écrit au présent de l’indicatif. Schopenhauer, Bram van Velde, Tolstoï, Nietzsche, Rimbaud sont là. Et François. Le monologue sur la réalité, sur la consolation de la philosophie, sur l’absence, la soustraction, sur l’immuable contexte de la Nature, s’accomplit quoi qu’elle fasse, quelle qu’en soit la forme, au cours du jour et des jours. Une lettre, une réflexion, un essai, un poème allongé sur plusieurs pages se suivent sans rupture de sens. L’état actuel c’est simplement de vivre « dans la respiration de l’amour seul comme la musique ». Un autoportrait regardant un lecteur si souvent courant entre hier et demain. Etel Adnan, libanaise, poète et peintre, a offert le dessin à l’encre et la préface de cette belle édition.

Katy Rémy, CCP n° 26, p. 123

Caractéristiques

exemplaire

courant, de tête

isbn

979-10-90836-05-1

parution

Auteur

PAULTRE Eugénie

Artiste

ADNAN Etel

Collection

Poésie