Étant donné

20


Quatrième de couverture

LE nouveau recueil de poèmes de Jean-Pierre Chambon  — accompagné cette fois par Philippe Cognée. Nombreuses illustrations ; le tirage de tête est en préparation.

Description

|Le vieux palmier|

 

Dans un même alignement le long de la rue

et en contraste avec le paysage de banlieue

qui les cerne de ses immeubles cafardeux

il y a toujours ces cinq à six maisons étroites

à deux étages qui prolongent une époque

apparemment encline à un peu plus de fantaisie

dans la courette de l’une d’elles se dresse encore

un vieux palmier étique étirant crânement son cou

jusque vers la pointe des toits de tuiles

entre lesquels les montagnes intercalent

leurs pics enneigés dans un hiver qui tarde

pourtant à se faire vraiment sentir dans la plaine

 

LA CRITIQUE

Jean-Pierre Chambon, Étant donné par Lionel Bourg

Sitaudis, 17/07/2024

Des nuages, lourds, opaques.

Des vieilles gens occupés à ravauder leurs songes.

Des feuilles qui tremblent comme les paupières d’un enfant privé de sommeil. Des minutes soyeuses. Du sable égrené dans la nuit quand on ne parvient pas à s’endormir. L’eau tranquille d’un lac. Rien. Ou si peu. Des minutes infiniment mélancoliques toutefois et qui s’offrent au veilleur penché sur un carnet tandis que l’ombre tamise l’étroite lumière tombée d’un rêve inassouvi…

Il y a tout cela, bien sûr, dans les vers de Jean-Pierre Chambon. Tant de tendresse inquiète, de gouttes de pluie ou de flocons de neige au sein de leurs propres ténèbres, des magnolias, une fleur de giroflée « surgie d’un interstice du carrelage » dans la cuisine, chaque part de soi, chaque moment de vie comme la plus légère boursouflure du réel  ressemblant aux lézardes qui scarifient le champ des significations : une marche de pierre descellée, une toile d’araignée dont les fils noués retiennent les fantômes auxquels on a confié depuis toujours quelques lambeaux d’imaginaire.

Étant donné, donc.

Le bruit d’un tramway. Des bouts de papier. Une sorte d’engourdissement. De qui-vive pourtant. L’attention minutieuse dont Chambon fait preuve avec une douceur lancinante au fil des pages de ce très beau recueil, l’un de ceux, rares, que l’on gardera longtemps à portée de main au chevet de ses insomnies.

Justesse des rythmes. Des images.

L’échancrure du temps où passent des étoiles, un oiseau, la lueur du soleil matinal qui pigmente petit à petit la tapisserie de la chambre, si bien que l’on se lève, pousse les battants de cette fenêtre que l’on n’osait ouvrir, la mort même hésitant avant de se figer « dans la stupeur d’un instant éternel ». Jean-Pierre Chambon en saisit la présence éphémère avec une extrême délicatesse. Perle de sang rosie par la clarté naissante, plumes dispersées au vent, tuiles, lichen, pas familiers d’un père sur un chemin ou sourire d’une mère, l’auteur progresse ainsi « entre un présent criblé d’oubli / et la permanence vacillante d’un avenir », de grands peupliers s’inclinant au bord de la rivière qu’il regarde lentement couler. On s’assoupirait sur la berge. Embrasserait l’écorce d’un saule. Heureux, peut-être, malgré ou à cause de l’agonie doucereuse d’un monde où l’on se promène volontiers, même las, même triste, léger soudain parmi les choses qui demeurent à jamais en partage.

 

Le commentaire de sitaudis.fr

Aquarelles de Philippe Cognée
Éditions Al Manar 2024
120 p.
20 €


La geste du ricochet poétique

par Angèle Paoli

 

Étant donné……. la multiplicité des scènes et tableaux, circonstances et signes, traces et empreintes, qui peuplent la mémoire du poète, il n’est pas possible de proposer une suite unique à cette expression, laquelle ouvre sur la multitude des propositions éventualités rencontres et poèmes qui constituent le dernier recueil de Jean-Pierre Chambon. À chacun de nous, lecteur ou lectrice, de poursuivre à sa guise ou/et de prolonger à l’infini par sa propre rêverie le suspens amorcé par la locution prépositionnelle du titre. Étant donné.

Composée de poèmes brefs introduits par un titre qui en synthétise l’objet et capte le regard, la liste des objets et situations pris dans les rets de la sensibilité du poète n’est sans doute pas close. Mais elle donne une idée de ce que sont les mille et un éclats, pépites de pensées, divagations imaginations et rêveries du poète. Les mots de Françoise Ascal, proposés en exergue par le poète, en sont un excellent résumé. Ils définissent dans le même temps l’état d’esprit ou la position exacte de la lectrice que je suis :
« Entrer dans un espace suspendu, juste là,
derrière la main qui écrit, à portée du souffle.»

Dès lors, tout un arrière-pays mental émerge à portée de regard, qui dessine ses contours. Et fait émerger ses paysages. Lesquels sont accompagnés des aquarelles de Philippe Cognée qui décline fenêtres et chevelures, rideaux et vagues, sous-bois peuplés de silhouettes animales graciles, le tout dans des dominantes arborées de verts et de bruns, de bleus et de noirs. Aux aquarelles de Philippe Cognée j’associe volontiers de manière totalement subjective – sans doute à cause du « bruit rose » et de la « vapeur verte» – les derniers vers du poème I Jouvence I :

« dans ce lit d’eau glacée et vivifiante
qui semble s’épancher d’une source
d’éternelle jouvence et de joie pure
pour aller disperser dans la pente
son bruit rose sous la vapeur verte
exhalée de l’ombre des frondaisons »

Le regard du poète est un regard d’observateur minutieux qui se saisit et se penche sur tout ce qui survient à sa portée. Souvent derrière la vitre d’un train, une fenêtre ou à travers un feuillage. Le ciel et la lumière, les miroirs et les reflets d’eau, nimbent les objets, les modifient, les entraînent ailleurs ; les bruits surgissent, comme un fond sonore inédit, rumeurs des villes et des champs, cris d’oiseaux et feulements de bêtes, qui peuplent les poèmes, décors et choses, moments privilégiés. Les images et les mots qui les génèrent sont d’une richesse inépuisable et d’une inépuisable beauté. Le rêveur, souvent mélancolique, se laisse happer, hypnotisé par ses pensées vagabondes.

« Dans une trouée entre des saules
dont la rousseur infuse l’eau
deux canards de leur sillage
décomposent en paillettes d’or
l’étincellement de la lumière… » I Au fil de l’eau I

Ce qui fascine dans ces poèmes, c’est leur facture. Et donc leur déroulement. Brèves mais tout d’une pièce, les scènes se déroulent d’un seul tenant sans aucune ponctuation. À partir d’une amorce temporelle ou spatiale, parfois par le biais de personnes entrant en action, elles se déploient grâce à un enchaînement discret, quasi imperceptible si l’on n’y prend garde, participes présents et subordonnées infléchissent subtilement le parcours. Jusqu’ à ce que survienne une première modification puis une seconde ainsi de suite jusqu’au dénouement ou à la chute. Ou au contraire, au rétablissement du point initial. Ainsi le poète, tout en observant la scène de l’enfant au ricochet, adopte-t-il dans son écriture, la geste du ricochet poétique. Ou comment, à partir de l’impact d’une image qui se répercute sur une autre et rebondit sur une troisième, la phrase se modifie-t-elle, modifiant à son tour l’esprit du poème. Du sourire de l’eau au rictus du crapaud, « sa ritournelle sardonique ».

Jouant sur les contrastes et les oppositions – temporelles, césure, choc brutal dans la durée, des identités, verticalité/horizontalité, heurt des forces contraires, passage du vaste au minuscule ou l’inverse, de l’individu à l’humanité – le poète joue aussi avec les variations de focales. Muni de sa lunette télescopique, il zoome sur le ciel et sur l’espace pour retomber, à travers le regard filtrant qui est le sien sur le détail des « herbes froissées » et du « papillon bleu ». Du plan d’ensemble à l’insert. Mais aussi dans le mouvement inverse. Il arrive qu’à partir d’une couleur dominante – la rousseur par exemple – laquelle fait le lien entre une « jeune femme » et son chien, entraîne un élargissement de la vision jusqu’à « une madone de Cranach », puis soudain, par resserrement de focale, la scène revienne à la similitude initiale qui a engendré la vision. Dans sa perfection, ce tableau – dont le poète se trouve être un acteur involontaire et discret – n’est pas sans évoquer le très beau poème de Baudelaire, « À une passante ».

Chacun des poèmes de ce recueil est un bijou minutieusement ciselé alors même que les scènes présentées par le regard du poète sont très souvent empruntées à des situations quotidiennes. Le plus souvent transfigurées par l’âme vagabonde du poète, son sens aigu des correspondances, sa grande sensibilité et son goût artiste. Ainsi, par la structure même du poème – déroulement enroulement – le phrasé du poème entraîne-t-il le poète dans un univers mouvant, en perpétuelle transformation, mais aussi bien la lectrice qui se laisse porter jusqu’à perdre le fil, comme le poète lui-même qui l’accompagne au gré des vers et des images, non seulement de sa lecture mais d’elle-même, difractée et éblouie.

Parmi les poèmes de ce recueil, il en est un dans lequel Jean-Pierre Chambon donne sa définition du poème, précise quel est l’objet de son travail et définit son écriture. Et résume ma pensée.  Le voici, pour vous, lectrices futures et lecteurs de ce recueil admirable :

« Bribes de menus événements relégués
dans l’enchaînement des circonstances
et dont la rêverie a rogné les contours
choses vues d’apparence dérisoire
mémorisées on ne sait trop pourquoi
impressions jamais vraiment stabilisées
usées par tant de retours à la conscience
qu’il n’en persiste que l’empreinte fossile
c’est de ces traces d’images gardées
suffisamment vivaces et rayonnantes
que le poème souhaite transfuser
dans les mots la lumière résiduelle
et rendre à la langue la saveur évanouie
par le tournoiement tourmenté de sa phrase
et le cliquètement sec de ses syllabes » in I Le poème I

Angèle Paoli, in Terre de femmes, octobre 2024


 

Caractéristiques

exemplaire

L'un des 500 ex sur Bouffant de l'édition originale

format / papier

15 x 21 sur Bouffant édition

nombre de pages

116

parution

,

Auteur

CHAMBON Jean-Pierre

Collection

Bibliophilie

Poésie