Chants pour la Tunisie

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2023 : le nouveau recueil de Tahar Bekri. Un chant pour le pays profond. Pays de la mémoire, et de l’espoir. Accompagnement plastique : Annick Le Thoër.

Description

Je viens à toi

 

 

 

De Majel Bel Abbes El Hencha Sufetula

Kairawan Hadrumète Tacape et Taparura

Les palmeraies soeurs des neiges

Les forêts amies des dunes

Les steppes complices des mines

Et la mer dans les bras de mes rivages

Aussi larges que tes vallées

Je rassemble

Cascades colonnes et arcades

Dômes bassins et dalles

Roses du désert marbres et granites

Leurs échos dans les mizmars et tambours

Portés par les caravanes chargées de ton sel

Ce n’est pas un mirage que je vois là-bas

Mais le miroitement de tes frontières

Qui m’appellent

Dirais-je au Fort génois de veiller sur les îles

Les troglodytes sont à l’abri

           

Deux des peintures d’Annick Le Thoër illustrant le recueil

 

« Chants pour la Tunisie », un désir de faire aimer le pays nôtre, le pays rêvé, de la manière la plus exigeante, la plus belle » Tahar Bekri (Interview)

30/04/2023 11:17, TUNIS/Tunisie
TUNIS,30 avr. (TAP, par Sarra Belguith)- « Chants Pour la Tunisie » est ce désir de faire aimer le pays nôtre, de la manière la plus exigeante, la plus belle, c’est ainsi que le poète tunisien installé en France, Tahar Bekri, présente son tout nouveau recueil publié aux Editions El Manar, à Paris (avril 2023).
Pour le poète, l’écriture de l’exil, certes, est là, mais « les Chants pour la Tunisie » ne sont pas seulement personnels. Il y a comme un désir de défendre le « pays réel, pays rêvé » comme disait Edouard Glissant. Cette terre qu’il a toujours portée dans son coeur et qui habite son écriture, est présente dans tous ses livres et prend des souffles différents. Dans ce recueil, il rend hommage à ceux et celles qui ont été les étendards de la liberté, au péril de leur vie, les illustres personnages, savants, bâtisseurs, créateurs, patriotes, et ceux et celles de la modernité récente, dans un devoir de fidélité et de mémoire pour protéger leur héritage contre la destruction et l’oubli. En revisitant les lieux et les êtres, « Les chants » se dressent comme une célébration du pays profond, intime et collectif, dans son Histoire, sa richesse, son savoir, son héritage, sa diversité. Mais aussi dans la propre mémoire du poète, chargée de toutes les émotions de l’enfance, de l’homme adulte, un amour passion, qui tente de peindre tous les recoins, tous les paysages, tous les visages, capter la lumière extérieure, nourricière de la lumière intérieure… avec des poèmes écrits comme une épopée, dans un va-et-vient entre passé et présent, évocations, souvenirs, références, rappels, allusions à l’actualité des dernières années où le rêve de liberté a donné bien des espoirs, a été détourné de ses valeurs et a fait subir au pays bien des torts, des retords, des atteintes à la vie humaine, avec cette jeunesse qui cherche à émigrer au péril de sa vie. Interview:
Q: En 2011, vous avez publié un recueil intitulé « Je te nomme Tunisie » (Al Manar). Ce titre est-il à la base des « Chants pour la Tunisie », est-ce l’esprit de l’œuvre précédente, où les senteurs et saveurs vous ont toujours habité dans votre œuvre de poète citoyen-voyageur ?
— La Tunisie m’habite et habite mon écriture, elle est présente dans tous mes livres et prend des aspects et des souffles différents. « Chants pour la Tunisie » est une célébration du pays profond, intime et collectif, dans son Histoire, sa richesse, son savoir, son héritage, sa diversité, mais aussi dans ma propre mémoire, chargée de toutes les émotions de l’enfance, de l’homme adulte, un amour passion qui tente de peindre tous les recoins, tous les paysages, tous les visages, de capter la lumière extérieure nourricière de la lumière intérieure, ontologique. « Chants pour la Tunisie » a l’ambition de faire aimer le pays nôtre, de la manière la plus exigeante, la plus belle.
Q: « Les Chants » rappelle Abou El Kacem Chebbi ,et le verbe chanter est très fort en poésie. S’agit-il d’un hymne lointain que vous portez en votre cœur comme vous l’exprimez dans votre œuvre poétique ?
— Je suis flatté de l’allusion à Chebbi dont j’ai traduit récemment le poème célèbre « La volonté de vivre ». « Les Chants » sont composés dans une suite poétique, sont écrits comme une épopée, dans un va-et-vient entre passé et présent, évocations, souvenirs, références, rappels, allusions à l’actualité, tout s’entremêle, non comme un hymne lointain, mais, au contraire, comme un vécu profond ; le poème ne reste pas à la surface des choses, mais revisite les lieux et les êtres, les porte à la hauteur de la terre, comme un violon vibrant.
Q: Dans ce nouveau recueil, quel chant adressez-vous au pays profond, surtout que vous aviez, auparavant, mentionné que votre rêve est de voir la Tunisie bâtir une vraie démocratie, à la lumière de votre crainte que certains fanatiques ou obscurantistes ne l’emportent ?
— Il y a danger à amputer l’Histoire de notre pays de sa longue mémoire, de la diversité de ses appartenances géographiques, de ses composantes ethnographiques, linguistiques, culturelles, il y a danger à s’attacher à un esprit réducteur, à se fermer à la tolérance, à imposer sa courte vue, au nom du religieux, comme seule valeur possible, digne du Pouvoir, au mépris du respect des Autres, leurs croyances et leur foi, leurs vues et idéologies.
La défense des valeurs fondamentales, de la vie humaine, font partie du devoir du poète. Sa vision ne peut souffrir l’obscurité. Il habite du côté de la lumière qu’il veut partager pour aider à sauver notre humanité des volontés mortifères.
Q: Dans ce recueil, si on peut parler de nostalgie, de mémoire, peut-on y lire une restructuration identitaire, imaginaire qui couvre la rupture, l’absence et le manque auxquels vous êtes confrontés en exil ?
— Pas vraiment, l’écriture de l’exil, certes, est là, mais les Chants ne sont pas seulement personnels, ils sont comme une volonté de faire de l’absence, de la distance, hélas, bien involontaires, des pierres d’appui, solides, face au discours ignorant ou négatif, blessant, Je voulais opposer à l’image, opaque, défigurée, déformatrice, une, plus positive, balsamique, sans naïveté béate ;il y a comme un désir de défendre les miens, notre « pays réel, pays rêvé » comme disait Edouard Glissant.
Q: Dans vos écrits, vous abordez trois thèmes majeurs : l’eau, la lumière et la terre. Comment se manifeste cette écriture dans « Chants pour la Tunisie » ?
— L’écriture des éléments m’importe beaucoup comme élaboration des métaphores qui font l’économie du verbe, ils sont essentiels dans la dimension poétique pour éviter la redondance prosaïque. Je ne sais si les thèmes sont trois ou davantage, mais ils s’ajoutent à l’exploration de soi et de l’émotion qui nous marque, où que l’on soit. Dans les Chants, il y avait pour moi comme une infinité de thèmes, qui se bousculent, qui s’interpénètrent, s’allient, se prolongent dans l’espace et le temps, un seul livre n’aurait pas suffi pour les développer tous, dans le jaillissement du poème, pour faire couler la fontaine.
Q: Dans vos recueils, il y a toujours des noms de lieux, d’objets, de plantes, de figures légendaires… quel est l’itinéraire suivi dans « Chants pour la Tunisie » ?
— Je suis remonté loin dans notre Histoire, allé à la rencontre de nos illustres personnages, savants, bâtisseurs, créateurs, patriotes, et rejoint ceux et celles de la modernité récente, fondatrice de ce que nous sommes. L’environnement naturel n’est pas sans lien avec celui des hommes. Nous sommes marqués par les apports d’autres auxquels nous sommes redevables et notre fidélité, comme notre devoir, sont d’enrichir leur héritage, de les faire progresser, de les protéger contre la destruction et l’oubli.
Q: Le thème de la liberté et sa revendication ainsi que le refus de l’oppression et du dictatorial parcourt toute l’étendue de votre œuvre. Qu’en-est-il pour ce recueil ?
— Je rends hommage, en effet, à ceux et celles des nôtres qui ont été les étendards de la liberté, au péril de leur vie, se sacrifiant et ce, depuis longtemps ! L’actualité des dernières années où le rêve de liberté nous a donné bien des espoirs, a été détourné de ses valeurs et a fait subir à notre pays bien des torts, des retords, des atteintes à la vie humaine, de corrompus en profiteurs, l’utilisation de la religion a des causes peu glorieuses, et bien des couches sociales sont dans la souffrance, avec cette jeunesse qui cherche à émigrer au péril de sa vie ! Plus que jamais, l’écriture poétique doit élever sa voix pour défendre la liberté et la dignité humaine. Il nous faut le courage pour désigner les responsables, ne pas se tromper d’adversaires ! Le poète est la sentinelle de la vérité. L’œuvre d’art s’élève avec la beauté des valeurs qu’elle défend, non le contraire. Je dis cela sans exclure que ce combat est humain et universel, nécessaire.
Q: Votre écriture poétique est accompagnée, visuellement, de peintures d’Annick Le Thoër, qui n’est pas la première collaboration, dites-nous davantage sur l’apport plastique à l’écriture poétique ?
— L’artiste-peintre Annick Le Thoër est mon épouse, et nos univers sont proches ; plus que d’illustrations, il s’agit de correspondances entre deux langages, des éléments qui s’enrichissent mutuellement, s’ouvrent à la nature, à la beauté du monde, cherchent une harmonie, expriment des émotions par le mot et la couleur. Ce sont des paysages dans le paysage. Intérieurs aussi. Depuis très longtemps, la création artistique accompagne ma création poétique dans un parcours amical et fraternel. J’ai eu le plaisir d’offrir ainsi certains de mes livres d’art à notre Bibliothèque Nationale (BNT), peut-être leur vue serait-elle la meilleure réponse.
Q: Le 4 mai prochain à l’Académie des Jeux floraux de Toulouse, Tahar Bekri joint sa voix à un Appel sans frontières aux poètes de langues françaises, en incitant à la fraternité universelle, dites-nous davantage.
— L’Académie des Jeux Floraux, fondée en 1323, est la plus ancienne académie de poésie. J’en suis membre. Fêtant en mai son 7ème centenaire, elle lance sur les traces des 7 poètes fondateurs, un « Appel solennel » aux poètes de langue française pour concourir mais aussi par des discours qui cherchent à établir des liens cordiaux et ouverts à travers le monde. Récemment, des poètes francophones du Congo, d’Algérie, du Québec, de Belgique, du Liban, etc. ont été désignés comme membres. Je m’associe à l’Appel en incitant à la fraternité universelle, l’entente, loin des tensions et conflits actuels. Au-delà de la question de la langue, la parole poétique est d’abord, pour moi, une parole de paix, un amour de l’Humanité.
Q: Vous dites « la poésie nous rassure par sa parole profonde quand elle tend à s’appauvrir ailleurs, elle nous lie comme des rayons de lumière en temps d’obscurité, dans sa générosité fraternelle », votre mot pour la Tunisie actuelle que vous considérez comme une mosaïque humaine depuis l’Histoire ?
— Je n’ai jamais perdu confiance dans notre peuple, son intelligence, sa modernité, sa richesse, son héritage illustre, sa présence au monde, l’émancipation de ses femmes. L’Histoire est une multitude d’épreuves, la Tunisie a réussi à s’en sortir. Le poète dédie ses chants en hommage, essaie de rappeler les piliers des fondements de la demeure, ouvre des fenêtres, accueille l’horizon, nourrit l’espoir.
Sara

Pour écouter l’interview de Tahar Bekri sur Radio MonteCarlo (en langue arabe), cliquez sur ce lien :


Tahar Bekri « Chant pour la Tunisie », Ed. Al Manar, 2023, avec des peintures d’Annick Le Thoër.

Au moment où le pays gît sous le poids de l’ignominie et de la laideur, de la lâcheté et de la bêtise, Tahar Bekri, l’un des plus constants et des plus féconds de nos poètes[1], attendri, éprouve la nécessité de chanter sa terre natale, comme s’il cherchait à consoler ce « mûrier triste dans le printemps arabe »[2], malmené par les caprices de l’Histoire.

Déjà, au lendemain du bouleversement du 14 janvier 2011, dès que notre poète entendit résonner le chant de la liberté, le cœur vibrant, il n’hésita pas à prendre sa plume pour partager la joie triomphale de ses compatriotes. Et ce moment historique inédit allait inspirer T. Bekri et donner, ainsi, naissance à un émouvant recueil intitulé « Je te nomme Tunisie ».[3]

En somme, et malgré les distances, notre poète a toujours porté au fin fond de son être une part du « bled », qu’il avait quitté jeune pour s’établir en France. En témoigne ce chant de la nostalgie adressé « au Pays », un hymne qui se nourrit des souvenirs des lieux et des moments partagés avec les siens, mais aussi, ceux des senteurs et des couleurs, des paysages et des rivages de cette terre altière, riche d’une histoire tumultueuse.

« … Dans les cités nouvelles

Je laboure ta mémoire lointaine et proche

Berbère numide phénicienne punique

Romaine byzantine arabe

D’Afrique ta sève

D’Arabie et d’Orient tes ferveurs… »[4]

Ainsi, de la Bretagne où il réside, le « je », ce « migrateur à rebours »[5] cherche à renouer le lien avec sa Tunisie, celle de son enfance et de sa jeunesse. Dès lors, le chant devient une sorte de passerelle qui lie le poète à l’autre rive, l’occasion, pour lui, de renouer avec ses racines, à travers ces petites touches, ces séquences concises qui viennent ravir à l’oubli tous ces menus gestes du quotidien, des visages comme celui du grand-père dans son champ, ceux des anonymes comme ces pêcheurs ou ces ouvriers aux « mains rugueuses » qui suaient au milieu des « steppes d’alfa ».

Dans cette invitation au voyage dans le temps et dans l’espace, on accompagne le poète dans sa quête des réminiscences qui lui rappellent « le pays », celles des odeurs et des paysages, celles de sa faune et de sa flore. L’expression de cet attachement est tellement forte que tout est mis à plat. Ainsi, sous sa plume, Majel Ben Abass, cette bourgade du sud-ouest du pays, ou Sidi Boulbaba se retrouvent emportés par le même souffle poétique et évoqués au même pied d’égalité avec ces villages portugais ou italiens, coqueluches des touristes étrangers, voire même avec les grandes cités occidentales.

 Tantôt méditative, tantôt nostalgique, la poésie ne se laisse jamais tenter par l’aigreur. Il s’agit de ne pas gâcher ce rendez-vous intime et de profiter de ce moment de ferveur. Même si le ton peut devenir, parfois, méprisant, vilipendant la menace islamiste, ou indigné, en évoquant, avec pudeur, le souvenir de la prison de Borj Roumi où il fut enfermé, alors qu’il était jeune militant, et où il fut accablé par  à « l’insolence des gardes », il n’est jamais acrimonieux.

En fait, la poésie de T. Bekri respire la jouissance. Puisant dans toutes les ressources de la langue, ce dernier jubile, en damant les mots, tissant les fils du langage pour nous offrir un univers chamarré. Elliptique, l’expression alimente notre curiosité et  suscite notre attention, éveille chez nous de l’émotion et cherche à nous livrer le mystère des choses. À travers l’alchimie du langage, on est invité à nous replonger dans l’univers du poète, partager avec lui les moments d’émerveillement, d’étonnement, ou de plaisir face à la riche réalité du monde.

Tout en étant un bilingue confirmé, le poète ne boude pas son plaisir en fécondant les mots de la langue de Molière. Chez lui, celle-ci n’a jamais été un « butin de guerre », mais plutôt, une autre possibilité de se raconter, mais aussi de traduire les frémissements du monde. Contrairement à d’autres auteurs de sa génération, il n’a jamais été dans le dépit. Affranchi du carcan de l’ethnique, c’est avec elle qu’il a appris à devenir peu à peu citoyen du monde, animé par une curiosité sans bornes, ouvert à toutes les cultures. Chez lui, Tahar Djaout côtoie Paul Celan et Al Hallag, Nerval. Le poète H. Drachmann, Rûmi, Senghor, Darwich Lorand Gaspar, Neruda, Dostoïevski et d’autres qui peuplent le chant lui donnent de l’éclat tout en témoignant de la dimension humaniste de cette poésie qui, sans perdre de sa vigueur ni de son exigence, continue à plaider la cause de la fraternité dans un monde de plus en plus menaçant.

« Permets

A mes vers d’écrire tes chants

Sans frontières

Tous les humains sont mes frères… »[6]

Salah El-Gharbi, Kapitalis.com  ( 25 mai 2023 )

 

[1] Il a à son actif une trentaine d’ouvrages.

[2] Il s’agit du titre de l’un de ses derniers recueils paru chez Al Manar en 2016.

[3] Recueil publié par (Al Manar) en 2011.

[4] P. 29

[5] L’expression appartient au poète.

[6] P.42


«Chants pour la Tunisie», Le Chant profond de Tahar Bekri

«Chants pour la Tunisie», Le Chant profond de Tahar Bekri,

Par Slaheddine Dchicha – Le patrimoine poétique tunisien comporte depuis plusieurs décennies une  œuvre poétique marquante, écrite en arabe, «les Chants de la Vie» du poète national Abou el Kacem Chebbi. Le voici désormais enrichi par une autre tout aussi marquante, composée en français, «les Chants pour la Tunisie», le tout récent recueil de Tahar Bekri*.

Ne partageant absolument pas la fameuse réflexion de Danton «On n’emporte pas la Patrie à la semelle de ses souliers», L’aède tunisien déclare transporter partout «Cette terre collée à la semelle» (p.40) qui hante tous ses écrits. Il semble, sur ce point du moins, être en accord avec son compatriote Albert Memmi lorsque ce dernier déclare: «On n’en a jamais fini avec son pays natal».

En effet, Tahar Bekri entretient avec son pays natal une relation fusionnelle. Il «habite» ce pays qui à son tour «l’habite» comme en témoigne ce somptueux volume: une épopée de soixante et un poèmes à la gloire de la Tunisie plurielle et éternelle, précédée en guise de  prologue d’une note fournissant des indications sur les circonstances de l’écriture et surtout  d’ un étincelant collier de comparaisons:
«Je te porte

Tunisie
Comme le nuage ses pluies
Comme la rose ses épines
Comme la liberté ses ailes
Comme le sang ses martyrs
Comme la mer ses vagues
Comme l’arbre ses fruits
Comme l’amour ses baisers
Comme le jour ses matins
Comme la vie ses naissances
Comme la naissance ses cris»

Le tout entouré par deux magnifiques  peintures d’Annick Le Thoër, l’une ouvre le volume et l’autre  le clôt comme deux bras aimants qui enlacent les poèmes. De même que  le chantre est habité par le pays où il habite, de même le poème est enchâssé  dans la peinture telle une pierre précieuse sertie sur un bijou rare. Fusion complice des deux modes artistiques. Cette fusion inaugurale sera confirmée et répétée par la métaphore filée de la cohabitation qui traverse tout le livre, établissant ainsi des correspondances harmonieuses entre le «je» et le «tu»; le Pays et ses habitants; l’Histoire et l’histoire; le collectif et l’intime… l’universel et le singulier.

Et à partir de cette profusion, le poète compose une magnifique mosaïque dont les tesselles multiples et variées nourrissent l’ambition  de célébrer  la Tunisie tout entière et dans ses moindres détails.  Pour ce, il évoque  les femmes et les hommes illustres   (Elyssa-Didon, Ibn Khaldoun, Jaziya,  Tahar Haddad, Tawhida Ben Cheikh, Bourguiba, Lina Ben Mhenni,  Mohamed  Brahmi, Emel Methlouthi, Chokri Belaid, …); et juxtapose dans des listes poétiques, les espaces et les villes  tantôt par leur nom ancien: «Kairaouan, Hadrumète, Tacape, Taparura», tantôt par l’actuel:

«Testour Béja Nabeul Kairouan
Bizerte Gabès Tunis La Goulette»

Outre les paysages et les hommes, la culture et les  traditions, Il convoque l‘histoire pour rappeler l’ancienneté du pays et exalter l’héritage humain légué par tous les peuples qui s’y sont succédé.

«Je laboure ta mémoire lointaine et proche
Berbère numide  phénicienne punique
Romaine byzantine arabe
D’Afrique ta sève
De Méditerranée tes saveurs
D’Arabie et d’Orient tes ferveurs»

Cette célébration du collectif va   toujours  de pair avec celle de l’intime, comme l’atteste le binôme pronominal «je te» qui revient et se répète tel un leitmotiv ou un refrain: «Je te porte/ Je te revois /Je te reconnais/ Je t’habille/ je te cherche/Je t’interroge/ Je t’apporte/Je t’écoute/je te raconte/Je te dis » …Et il n’est peut-être pas inutile de préciser ici que sur les soixante et un poèmes plus de la moitié commencent par «je», trente-six plus exactement!

Mais cet intime  s’exprime à travers les souvenirs  de tous les âges de la vie et de toutes  les sensations éprouvées et ces souvenirs,  si singuliers soient-ils,  entretiennent  toujours  un lien indéfectible  avec cette  Tunisie qui englobe tout et  qui est dans tout:

«Je te revois
Dans l’eucalyptus qui renouvelle son écorce
Dans le mimosa aux mille boutons solaires
Dans le palmier aux doigts de lumière
Dans l’olivier que nulle saison ne dénude»

Cette splendide mosaïque consacrée au «pays natal», comme ses sœurs du Musée du Bardo, comprend une quantité vertigineuse de tesselles  qui finissent par former un «apeirogon», cette  figure géométrique au nombre infini de côtés  dont nous n’avons ici aborder qu’une modeste  partie car l’ œuvre de Tahar Bekri fait partie de ces œuvres dont parlait Edouard Glissant: «Il y a des œuvres qui vont profondément au fond de notre époque, qui s’en constituent les racines inéluctables et qui, à la lettre, en dégagent le chant profond»**

Slaheddine Dchicha

www.leaders.com

* Tahar Bekri, chants pour la Tunisie, Peintures d’Annick Le Thoër, Al Manar, 2023, 16€
** Edourd Glissant,  préface au Le cercle des représailles, de Kateb Yacine Seuil, 1959



Caractéristiques

exemplaire

L'un des 500 ex de l'édition originale

format / papier

13 x 19

isbn

978-2-36426-314-7

nombre de pages

76

parution

Auteur

BEKRI Tahar

Artiste

LE THOER Annick

Collection

Bibliophilie

Poésie