Description
Critique de J-M. Corbusier, Recours au poème, juillet 2015 :
Ce recueil débute par une présence négative, certes un je suis, mais dans l’impossibilité de laisser tourner le monde en rond. Je est un gaffeur aussi bien dans le domaine spirituel que matériel, pire : L’exclu…de cette page déchirée. Espèce de négation de la négation : Le maudit qui a un clou dans le cerveau. Ne rien réussir et n’être atteint par rien, nous sommes au point zéro d’un côté et d’une peur de l’autre. Le monde y est décrit comme une impossibilité d’exister parce que d’un côté rien n’est saisissable et de l’autre, les obstacles à vivre ne peuvent être levés. Une part du rêve éveillé, où à peu de chose près, le possible serait ce rêve matérialisé comme décrire sa propre naissance sans en avoir gardé souvenir. Le réel est apprivoisé par son côté onirique. Navigation intérieure à tous les vents et à tous feux ouverts dans des mondes à la limite de l’étrange et de la peur contre lesquels nous butons. Claudio Pozzani affirme qu’il vaut mieux garder les yeux ouverts dans un délire…qui fuit. Nous sommes le plus souvent du côté négatif du monde.
Seulement des crochets de grues abandonnées
qui dansent dans le vent comme des femmes pendues
Page déchirée comme une déchirure intérieure, le tout dit sans emphase par affirmations directes qui s’accumulent comme des évidences dans un monde à oublier qui se réclame plus de la solitude. Dans le macabre et les destructions parfois des lueurs dansent, des éclats comme pour eux-mêmes. Il semble trop tard, rien ne changera. Quels secours chercher : la mère, l’amante, la religion ? Livre brûlé par des rêves, une présence absence inextricable. Ce sont des textes d’une ronde harmonie, penchés sur le présent et l’étrangeté d’être à deux pas de nous. Ces poèmes proposent leur vie au silence, à cette maturité où se reconnaît la sagesse de durer, longue vie à s’interroger au cœur des mots. « La parole ne sauve pas, parfois elle rêve » dit Yves Bonnefoy.
Tout se fait avec force détails comme si le réel n’existait plus que dans les mots. Le réel se met en place au travers du langage et le monde n’y est plus qu’un fait de langage. Le poème devient un effet sans cause. L’auteur peut tout dire sans retenue, sans référence à la raison, sans liens logiques. Le poème ne renvoie plus qu’à lui-même. Le réel y est devenu une fiction active qui n’offre plus aucune garantie puisque la norme et les codes disparaissent. Notre culture, occidentale est basée sur l’idée de la cause. Si nous voulons sortir de l’ornière collective de la langue et du langage, il nous faudra modifier nos rapports entre les mots.>
L’avant dernier poème : Je danse est une transe :
Et je danse, danse, danse,
et je danserai à jamais
Je danse, danse, danse>
Le dernier poème : J’ai vomi mon âme : préfigure un changement d’être :
Et à présent je me sens plus léger
Je peux nager librement
sans le poids du remords et des méchancetés
C’est un recueil thérapie qui tout au long va quelque part, en tâtonnant, vers une sérénité gagnée après avoir fait cet effort de se découvrir, de s’accepter, de s’imposer au monde pour finalement tenter de devenir autre. Après maintes questions, des débuts de réponses, même, à dépasser ses rêves, à attendre les mots, les siens, seule emprise sur sa propre vie. Cette page déchirée est soi renaissant.>
J’ai vomi mon âme
hier
et je m’en fous
*
Claudio Pozzani, Cette page déchirée. Questa pagina strappata Prix 10 euros, Voix vives de Méditerranée en Méditerranée Editions Al Manar (bilingue)