Description
Résumé
Á ma connaissance il n’existe ni liberté ni humiliation ni peur
auxquelles je ne me sois soumis
c’est pourquoi je sais l’amour
c’est pourquoi je n’ai pas souci du corps que je te donne
c’est pourquoi je prends tant de soin de ce que je te dis.
Une Mélancolie optimisme se compose de 40 poèmes écrits entre 1983 et 2015 et déclinés en trois thèmes : le mot, l’âge et l’amour. Exercice de mémoire et de conscience, ce recueil est un voyage dans les saisons de la poésie et de la vie, avec pour guide l’engagement littéraire. Chacun de ces poèmes a été choisi par l’auteur, il dessine ainsi un portrait dont il est à la fois le sujet et l’objet, le lecteur et l’auteur. Il nous parle d’amour, de chagrin, de solitude et nous emporte dans les rues de la ville, lieux de mémoires et de rencontres, à la lumière d’une chambre où s’écrit un vers ou une anecdote devenue métaphore. La magie est là, dans la musique d’un vers, l’éclat d’une rencontre. Avec des mots en apparence simples, Luis García Montero s’installe dans l’intimité de chacun d’entre nous, il nous parle de doutes, de désillusions mais aussi d’espoir et de combats, de la Grenade de son enfance, des villes d’ici ou d’ailleurs, de poètes disparus, de mémoires d’exil, de ses maîtres et de ses amis, Angel González, Rafael Albertí ou Gil de Biedma: il nous parle de lui, il nous parle de nous. « Nous retrouvons notre vie au cœur d’un poème », dit le poète. Au fil de ses poèmes, le lecteur découvre non seulement un hymne à la vie, à l’amour, à l’amitié mais encore une lecture lucide de l’être humain dans sa fragilité et sa force, face aux fantômes du passé, aux enjeux du quotidien de nos sociétés ou à l’inexorable passage du temps. La poésie de García Montero est un bien qui se partage, dit Juan Carlos Mainer, dans le prologue de Poesía completa (1980-2015). Poésie de l’expérience, elle ne renie rien, elle veut construire, ne jamais renoncer à l’espoir. « Tuer l’adolescent que nous portons en nous est aussi dangereux que de perdre la conscience critique, cela nous éloigne de la véritable dimension du fait littéraire, de cette complicité que doit se tisser entre un auteur et son lecteur, celui ou celle qui s’approprie ses mots pour rêver, aimer et haïr et penser » rappelle l’auteur. Pour Luis García Montero, la poésie est avant tout un espace de liberté, une solitude nécessaire à l’être humain qui revendique une conscience individuelle à une époque qui tend à les dissoudre. Il ne s’agit pas ici de confondre la solitude avec l’isolement, l’égoïsme ou l’agressivité, mais de savoir cultiver un espace de respiration nécessaire pour fuir le tourbillon des idées et des dogmes – qui ne sont que des pensées imposées dans la hâte, précise-t-il – et prendre simplement le temps de penser, d’écouter et de trouver le mot juste pour traduire les nuances de nos doutes et nos espoirs, devenir maître de nos pensées, de nos idées, en assumer l’écho et partager l’expérience. A travers ces pages, au fil des vers, se dessine le portrait d’un optimiste mélancolique, d’un poète qui s’efforce d’arracher une mélancolie optimiste aux incertitudes de notre réalité.
Françoise Dubosquet Lairys
Luis Garcia Montero, Une mélancolie optimiste
Comment ne pas penser, en lisant Une mélancolie optimiste (Una melancolía optimista) de Luis García Montero, à ce que disait Victor Hugo de cet état d’âme si particulier : « La mélancolie, c’est le bonheur d’être triste. » ?
Dans ce choix de quarante poèmes qui jalonnent un tiers de siècle d’écriture, de l’âge presque tendre encore à celui de la maturité assumée, la tristesse n’est jamais subie. L’optimisme est ici une volonté au fil du quotidien que le poète transfigure au cœur même de la langue. « Poésie de l’expérience, elle ne renie rien, elle veut construire, ne jamais renoncer à l’espoir. », observe Françoise Dubosquet Lairys à la fin de cette édition bilingue dont elle est la traductrice.
Luis García Montero met sur le même plan les gestes les plus ordinaires et les pensées les plus travaillées par le simple fait de vivre. Ainsi en est-il de cet anonyme qui se douche puis choisit une chemise dans son armoire, [gardant raison pour préserver sa peau les jours de pluie et au cœur de l’hiver].
Le poème alors devient fable, teintée parfois de petites ironies qui disent la lucidité du regard porté sur le monde. Un regard de philosophe qui va et vient de la douceur à l’amertume. « La tristesse de la mer tient dans un verre d’eau », note l’auteur dans l’un de ses titres. Peut-être faut-il aussi voir là une invitation à l’action. Les « occasions perdues » ne le sont jamais totalement.
Luis García Montero est un homme engagé à hauteur d’homme dans son époque. Ses poèmes Démocratie et Défense de la politique donnent un corps amoureux aux idées qu’on cherche toujours à abattre. Ils évoquent le souvenir du passé comme « un mot neuf » malgré les inquiétudes du futur. « Car est venu le temps joyeux des noms purs. »
Notons enfin la grande qualité de la traduction qui reste fidèle à l’esprit de cette poésie généreuse. Françoise Dubosquet Lairys a réussi son compagnonnage. En français comme en espagnol, la mélancolie garde la tête haute et c’est ainsi que nous l’aimons.
Extraits :
Los idiomas persiguen el desorden que soy,
y así los predicados de altas temperaturas
y los verbos de nieve
me tratan sin piedad
igual que a los sujetos derretidos.
No me resulta fácil,
pero a veces entiendo
la nostalgia de orden que tienen mis poemas.
Les langues poursuivent le désordre que je suis,
et c’est ainsi que les attributs de hautes températures
et les verbes de neige
me traitent sans pitié
comme ils traitent les sujets fondus.
Ce n’est pas simple pour moi,
mais parfois je comprends
la nostalgie de l’ordre qu’ont mes poèmes.
*
Bombillas
contra un cielo sin fondo,
pintura de las mesas
más pobre y sin verano,
botellas dejadas sin un solo mensaje
y la radio sonando
con voz de plata
como los álamos del río.
Antes que los humanos
los objetos aprenden a vivir en otoño.
Hasta un golpe de lluvia.
Ampoules
contre un ciel sans fond,
peintures des tables
plus pauvre et sans été,
bouteilles oubliées sans un seul message
et la radio qui résonne
d’une voix d’argent
comme les peupliers du fleuve.
Avant les humains,
les objets apprennent à vivre en automne.
Jusqu’à l’averse.
Une mélancolie optimiste de Luis García Montero est publiée aux éditions Al Manar et coûte 22 € (prix justifié).
Dominique Boudou, https://dominique-boudou.blogspot.com/2019/06/luis-garcia-montero-une-melancolie.html