Description
La critique
RECOURS AU POÈME
Olivia ELIAS, Ton nom de Palestine
Lutte et luth
Se trompe qui croyait le sujet épuisé. Se trompe qui croyait éculée l’évocation des amandiers, des cyprès, des chemins de l’exil et de l’obstination d’un peuple qui – refusant d’oublier maison/village/pays et d’accepter son effacement – affirme, bien au contraire son appartenance pleine et entière au monde.
Se trompe qui croyait qu’un-e poète palestinien-ne, née à Haïfa ou ailleurs au pays de la beauté, pourrait détourner ses mots de son berceau sans se renier. Se trompe qui croyait relégués aux poubelles de l’histoire, les beaux jours de la poésie qui s’engage pour une cause mais fuit les mots d’ordre, selon la formule de Françoise Ascal à propos d’Abdellatif Laâbi. Se trompe qui croyait que la poésie de la lutte ne rimait plus avec le luth de la poésie !
Parmi les poètes palestiniens contemporains, Olivia Elias, occupe une place privilégiée, une place à part, puisqu’elle est l’une des rares sinon l’unique, dont la langue d’expression est le français (je me réfère ici à l’ouvrage paru aux éditions Le Taillis Pré, en 2008). Elle se distingue aussi dans le paysage littéraire de son pays en dotant de tonalités féminines et attachantes – tel un frisson d’émotion enveloppant toute chose – la poésie qui se veut « témoin » de son temps.
Je laisse la couleur sang aux colonisateurs
et à leurs toréadors…
Devant le grand carré dédié aux enfants
de Palestine Gaza Jérusalem
Hébron Deir Yassine Jénine…JUSTE
des cerfs-volants
et des ballons blancsJe prie le sable de leur faire à tous
une couverture tiède et tendre
Je demande à la lune bleutée
aux myriades d’étoiles de les veiller…
au vent d’égrener leurs noms
sur tous les continents…
A quoi bon les poètes en temps de détresse ?, interrogeait Hölderlin. Cette question chargée de scepticisme et de lassitude est à mille lieues des préoccupations d’Olivia Elias. Pour elle, comme pour Césaire, comme pour Gelman, comme pour Tamiku, poètes et écrivain destinataires de certains de ses textes, c’est aux plus profondes racines de l’époque de noirceur et de lourdes menaces dans laquelle nous vivons que la poésie puise sa nécessité. Faite d’amour et de liberté, c’est-à-dire d’espoir.
D’ailleurs, le recueil se clôt sur ces derniers vers : dans leurs yeux fatigués / des matins espèrent. Et, juste avant cet excipit, ce magnifique poème, intitulé Voyageur sans bagage :
Il n’y a plus que la route
et ce pays qui ne veut pas de moi
voyageur sans bagageAux jeux de la fortune
j’ai pourtant gagné
le temps infini de l’attente
du commencement
d’un commencement de lendemainL’attente la demeure
où je me réinvente
mutant-cabossé
aux friches de vos vies
*
Olivia Elias : un cri de douleur silencieux
Pourquoi Olivia Elias vient-elle à moi, accompagnée par les poètes des pays de l’olivier : Grèce, sud de l’Italie et Espagne. Ses poèmes évoquent la Palestine. Destruction et sang, celui des siens répandu depuis des décennies dans les rues – et également soleils de Méditerranée. La Palestine, sa souffrance. Sa poésie, un cri de douleur silencieux, éloigné des discours et des slogans idéologiques
La poésie d’Olivia Elias, née à Haïfa, est imprégnée de la lumière de Méditerranée, ses lunes, ses iles et son soleil ardent qui brille des deux côtés de cette mer antique, comme l’appelait Saint John Perse, des orangeraies de Palestine jusqu’aux oliveraies d’Andalousie. Oliveraies chères à Lorca. (…)
Khaled Najar, in El Araby el Jedid UK, 24 novembre 2019