Description
La main écorchée se noue aux bourgeons du magnolia. Je n’en ferai pas un bouquet car la saison déjà est passée. Je ne viendrai pas non plus me recueillir sur la tombe de la mésange. Mon jardin est une île minuscule où la mousse bleuit du trop plein de ciel.
La critique
Lydia Padellec : « Mélancolie des embruns »
On voit, dès le titre, l’importance des sentiments apportés au paysage. Et ce qui adhère entre la tristesse de l’auteure et l’environnement marin. « J’ai regardé la mer et j’ai commencé à dessiner des mots en pensée. » Lydia Padellec donne de courts poèmes, comme des haïkus en prose, allant d’une ligne ou deux au paragraphe. Il existe une correspondance intime et mystérieuse entre le poète et la mer. L’île qui se niche en elle, et le poème au large. Il s’agit de les amarrer, de les apparier. « L’île en moi – caillou granuleux coincé dans la gorge… » Il y a en effet un obstacle minéral qui empêche l’appontement : « Chaque jour je mords dans le galet à défaut d’embrasser l’aube. » Apparaît aussi un jeu de personnes entre le je et le tu, intérieur projeté au loin, âme pendue sur la ligne d’horizon. Le long du recueil courent également les images de la petite fille à la femme qui écrit, qui vieillit et l’absence et le deuil entre les lignes du silence. Lydia Padellec nous embarque dans sa poésie à la fois douce et percutante, où le regard cimente intimement sa sensibilité et l’immensité marine. « Il pleut sur l’île une musique d’herbe. »
Jacques Morin, Décharge n° 172
Lydia Padellec, Mélancolie des embruns. Aquarelles de Catherine Sourdillon. Al Manar, 2016
De ces courts poèmes, qui ressemblent à des haïkus en prose, émerge une sensibilité toute marine. Le paysage est un chemin d’herbe en bord de mer, mais aussi un paysage intérieur, quand au cours de la méditation contemplative les mots commencent à naître en pensée. Ils ont la forme d’une île, et les syllabes sont des grains de sable. Il y a la brise iodée, le bleu immense, et surtout, l’attente du poème.
Dans cet état de vacuité face à la mer, le poème se dessine, mais ses contours sont incertains. Le poème est une île, mais cette île est exilée à l’intérieur ; il est comme un embryon, mais quelque chose est bloqué, l’embryon est noir, il pèse dans le ventre.
Cité engloutie – mon poème – aveugle aux sons qu’il m’envoie, je perds l’odeur de ses mots. L’onde file à travers ma peau telle une aiguille. Le varech enserre ma gorge. L’île en moi explose en une multitude de cris.
Ainsi la mélancolie évoquée dans le titre semble-t-elle liée à cette attente du poème qui ne vient pas. Malgré le lien indéfectible, la tentation du désespoir est grande lorsque celle qui écrit croit le lien brisé.
D’autres thèmes sont aussi évoqués, tel celui de la perte et de la disparition, avec ce baiser qui ne viendra plus, et celui du temps qui passe, de la vieillesse qui approche, et de l’enfance qui s’éloigne.
La vie pourtant se manifeste, une grue de papier se déploie sous les doigts, un rire d’enfant surgit, le magnolia bientôt sera en fleurs.
Il pleut sur l’île une musique d’herbe. Un duvet de mélancolie se dépose sur chaque fleur. Le parfum des roses en est légèrement étouffé.
L’île prend son essor, elle n’est plus un caillou mais lieu en expansion où la nature s’éveille.
Mon jardin est une île minuscule où la mousse bleuit du trop plein de ciel.
Je suis l’île et l’île est mon poème
Terre à ciel, avril 2017
Mélancolie des embruns
Marie-Josée Christien, Les Cahiers du Sens n°27 (juin 2017)
Observatrice au regard aussi aigu que pudique, Lydia Padellec livre sous ce beau titre une suite de brefs poèmes en prose, dont un extrait prometteur avait été publié dans le n°108 de la revue Chiendents qui lui est consacré. Dans l’observation du paysage marin, le souffle retenu, elle passe de la contemplation à l’introspection et les mêle subtilement dans « la chair du poème ». Les aquarelles de Catherine Sourdillon, dans leur hésitation entre gris et bleu, restituent « l’horizon à perte de souffle ». A la quête de « la fissure qui laissera passer l’air – le souffle – puis les mots », le poème de Lydia Padellec est une île qui se dérobe, garde silence et secrets. Insaisissable « face aux caprices de la page », l’île en elle la « hante comme un navire naufragé de l’enfance », lui « titille les neurones, jusqu’à plus soif » et ne livre ses mots fragiles qu’au moment furtif où « il pactise avec la terre ». L’expression délicate de Lydia Padellec vise juste et nous parle depuis la genèse du poème, ce qui en dit bien plus qu’un long commentaire sur la création poétique.