Description
La critique
Le peintre attend son modèle… Un domestique noir accourt vers la charmille orientale. Les cinq négresses l’entourent. Le peintre se lève…
le récit du meurtre dans le bordel de l’Etrangère.
On reconnaît bien là l’atmosphère bien particulière chère à Leïla Sebbar. L’auteur de Mes Algéries en France, notamment, récidive si l’on peut dire avec ce collier de nouvelles intitulé Le peintre et son modèle.
L’ouvrage publié par les éd. Al Manar dans la collection Nouvelles du Maghreb évoque physiquement le contact du sable, celui du désert ou des rivages balnéaires.
Une caresse qu’a dû éprouver Delacroix, celle des sofas de soie, l’Orient des palais et des jardins, des odalisques, des négresses, bref une atmosphère du Maghreb colonial, celui des orientalistes, oscillant entre volupté et concupiscence.
Mais il y a aussi dans ce recueil des raids somptueux dans la littérature et qui chantent un hymne à la liberté. La nouvelle dédiée à Kateb Yacine se décline dans un élan proche du fantastique, et son titre est une énigme : la femme arrêtée sous l’arbre…
Un seul arbre qui a résisté aux dévastations. Témoin de cette apparition irréelle, un jeune homme, un berger, comme un guetteur immuable. Plus loin : c’est dans la chambre verte que l’enfant vient à la lumière son seul fils. Poète au berceau il sera un vagabond sans Dieu. Il ira par le monde partoout, vivra comme un prisonnier de la liberté et dans son pays même il ne sera pas heureux.
Comment ne pas lire un hymne discret à l’auteur de Nedjma et à cette oeuvre polyphonique et emblématique des rébellions originelles de l’écrivain aux semelles de vent.
Autre sortilège : celui de l’étrangère à la mule blanche, un clin d’oeil à Germaine Laoust Chantréaux. Avec ce chant qui bouleverse comme le conte d’une gouala :
O anis va le chercher pour moi
O piment fais-le voler pour moi
O ortie ramène-le moi…
Autre prémonition de l’auteur, ce texte intitulé Son nom au-delà des mers et dédié au musée de la Porte Dorée à Paris ; un édifice qui abrite désormais l’histoire de l’immigration et ses contributions au grand creuset français.
Il y a un père et un fils imaginaires et si réels et qui parlent des langues d’outre-mer. Plus loin il n’a pas choisi l’Algérie il ne voulait pas être soldat. En épilogue ce désastre sur la gigantesque fresque murale qui habille l’entrée du musée. Partout des dessins obscènes ont barbouillé la formule sacrée : A la France ses fils reconnaissants.
Viol, sacrilège, c’est aussi le sort des Palestiniens. Ils seront maudits, un chapitre dont le titre dit tout et qui raconte de manière clinique la dépossession gratuite et cynique de la terre et de l’honneur par les Maîtres d’un nouveau genre. Ils ne seront pas nommées les bourreaux mais ils ont toujours, à toutes les époques et sous toutes les latitudes, le même visage, le même comportement, le même langage péremptoire.
Ils ont dit : la terre est à nous et le ciel et l’eau ; à nous les pierres et les crevasses et les terrasses de nos maisons, vos filles sont nos vierges et vos femmes fidèles mourront avec la maison en éclats… L’auteur n’oublie pas les chibanis ces seniors du Maghreb reclus dans leur solitude septentrionale. Ni un credo intime qui à travers les trois soeurs semble vibrer sur les cordes d’un banjo bien familial. Un recueil de beauté et d’engagement avec une jolie photo de nu signée Joël Leick. Cela s’appelle Le peintre et son modèle, Leïla Sebbar, Al Manar.
Radio Orient. Djilali Bencheikh, « Au fil des pages » , diffusé le 26 novembre 2007