Description
Nora Aceval, ma sœur étrangère des Hauts Plateaux algériens où je suis née, inconnus pour moi, muets… Familiers et bavards, poétiques pour Nora qui me raconte le pays natal, le sien, le mien, le même paysage, le même pays, les mêmes koubbas, mais la langue n’est pas la même. Nora est là, présente, elle me traduit la langue de mon père, l’arabe, dans la langue de ma mère le français et je découvre, livre après livre ces contes que mon père ne m’a pas transmis, gardant pour lui, dans le silence, les silences de la Colonie, imposés au colonisé la mythologie de son peuple interdit de parole. Nora, ma complice, brise ces silences et j’entends les mots lointains, les histoires, les rires et les larmes que mon père a mis au secret, jusqu’à sa mort. Les contes de l’autre rive, du côté de ma mère, je les connais tous, je les ai lus dès que j’ai parlé, dans la maison studieuse, savante des instituteurs, mon père et ma mère. Je les entends, je les lis avec jubilation dans les contes pour enfants du livre de Nora. Je vois la conteuse, elle raconte sur scène des contes des Hauts Plateaux, le pays natal est là, soudain, dans sa voix, ses rires, ses gestes, sa grâce. Le corps parle aussi, il tangue, danse, se fige, il avance au bord de la scène, recule, revient, dans la peur et dans la joie. J’écoute comme une enfant, éblouie… Ces histoires-là se disaient au bord de la nuit, dans la chambre du conte et moi, enfermée entre les grilles et les murs de la guerre, je ne savais rien de tout cela. Depuis les contes libertins jusqu’aux fables pour les petits et les ruses de la femme de Djha… Nora me révèle le trésor que je n’ai eu la tentation de découvrir. Le trésor restait secret et il arrive jusqu’à moi par la voix, les voix de Nora, puissantes ou chuchotées, murmurées, séductrices… La curiosité me tient, comme les femmes de Barbe Bleue, mais je ne vais pas mourir dans le cabinet sanglant de l’ogre. La conteuse ne punit pas la curiosité de la petite fille que je suis à ce moment-là. Celle qui ne s’étonne pas du mariage entre une tortue et une grenouille, du désir amoureux d’un loup pour une chèvre, d’un chacal pour une jeune fille. Elle connaît les légendes mythologiques grecques et romaines, les unions contre-nature des « Contes et légendes » Collection Fernand Nathan, dans les biblio-thèques de la maison d’école. Elle ne s’étonne pas non plus des métamorphoses déjà lues dans les fameux Fernand Nathan. Que le Pois-chiche du conte des Hauts Plateaux se transforme en petit garçon pour satisfaire le désir d’une vieille femme stérile, ne l’étonne pas davantage et la réjouit autant que les ruses de l’enfant de la vieille, plus rusé que Djha. La petite fille lectrice, spectatrice, approuve la solidarité forte et efficace entre espèces différentes, humaine, animale, végétale, solidarité exceptionnelle qui permet de vivre ensemble, de consolider les relations à l’intérieur de la collectivité et de surmonter les épreuves quotidiennes. Les fables lui sont familières, elle les connaît et les récite par cœur. Alors, lorsque Nora Aceval, la conteuse magnifique dit, rieuse ou grave ou confidentielle, l’histoire singulière et universelle de ces êtres, vivant à travers plaines, savane, forêts, prairies, montagnes… c’est magique. Comme les enfants, on répète « Encore ».
Leïla Sebbar, Postface
La revue des livres pour enfants, BnF, Centre national de la littérature pour la jeunesse, n° 309, nov 2019