Description
« Ce que j’allais faire à Tétouan n’est pas clair, en fait je cherchais le Sahara. Ou plutôt, je cherchais le désert, celui-ci ou un autre, mon désir n’était pas d’ordre géographique, je cherchais le désert en soi, ou mieux : le désert en moi – pour naître, même si je ne le savais pas. À Tétouan, ville plaisante, je mangeai un couscous dans la médina, en plein après-midi. J’étais seul. Quand je voulus payer, le patron m’annonça : « Aujourd’hui c’est gratuit, c’est le premier jour. » Il saluait ma naissance, mais j’étais aveugle, je l’ai dit. » …
L’un des exemplaires (n° 2) du tirage de tête.
Le Lunetier aveugle, de Thieri Foulc
TYPHLOPTIQUE
« Non, dit le lunetier aveugle, il ne s’agit pas d’une rétrospective. Plutôt d’une introspective ». C’est ainsi que le Sérénissime Thieri FOULC ne commence pas le recueil de contes édités récemment sous le titre Le Lunetier aveugle : c’est l’exergue d’un ouvrage plus ancien1, au titre identique mais au contenu tout à fait différent2, et qui présentait la cécité dudit lunetier d’un point de vue pictural (voir le compte-rendu au no 4 des Monitoires, p. 63-64). Dans ce premier opus, les œuvres textiles, découpes de papier, gravures, peintures, étaient en elles-mêmes les lunettes puisqu’elles donnaient directement à voir. Les images sont à admirer plastiquement ou bien à observer, parfois à déchiffrer. Il en est de même pour les récits contenus dans le second Lunetier aveugle qui vient de paraître, et présentés sous forme de souvenirs de jeunesse. Le lecteur peut, s’il le veut, se laisser aveuglément entraîner par les histoires aux accents alternant fantastique et singulier, comme s’il lisait une fiction, mais le pataphysicien décèlera rapidement que ces contes sont cryptés. Quelques privilégiés avaient déjà pu ouïr certains de ces textes, lors de lectures publiques au Théâtre de la Huchette ou à la Halle Saint-Pierre, et remarquer que ces récits autobiographiques sont imprégnés d’imaginaire, au sens faustrollien du terme, bien entendu.
Ces Mémoires du Provéditeur Général Légat retracent le chemin parcouru jusqu’à sa naissance réelle, id est sa jeunesse prénatale à côtoyer le Sahara, puis sa rencontre avec la « Confrérie des Ouds sans cordes » et son chef d’orchestre nommé « la Voix », et enfin ses premières années auprès des dignitaires de cette « Confrérie ». Ce sont bien entendu des visions d’aveugle qui sont narrées, le lecteur doit chausser des lunettes dessillantes s’il veut déchiffrer le texte plus en profondeur. Cette suite de contes, ou de souvenirs, donne non seulement à entrevoir au pataphysicien quelques moments du Collège antéoccultatoire mais, via l’art de la parabole, montre aussi une voie pour se constituer ses propres lunettes afin de voir le monde à la lueur de la Chandelle Verte. L’auteur indique même certaines pistes : « Je cherchais le désert, celui-ci ou un autre, mon désir n’était pas d’ordre géographique, je cherchais le désert en soi, ou mieux : le désert en moi – pour naître, même si je ne le savais pas. »
Les quelques éléments aisément décodables aiguisent la curiosité et donnent l’envie de pouvoir encore davantage lire entre les lignes de cette navigation en terres désertiques . Peut-être verra-t- on se constituer bientôt un Institut de Typhloptique, dont une des premières tâches serait d’annoter ce Lunetier aveugle avec force exégèses et recherches sçavantes afin de faire caisse de résonance, sans pour autant imposer de mélodie. Tel un Oud sans cordes.
& Thieri FOULC, Le Lunetier aveugle, accompagné de peintures de Catherine BOLLE, éditions Al Manar 2019, 102 pages, 17 €.
- Nicole & Thieri FOULC, Le Lunetier aveugle, Plein chant 1986, 84 pages, 48 fr.
- Seul le souvenir du personnage de TOTOVE se trouve dans les deux livres.
Chacun des 20 exemplaires de tête est rehaussé de deux toiles originales de Catherine Bolle.