Livre de la frontière (Le)

A partir de 18


Anthologie (apocryphe) de poésie arabo-andalouse,
accompagnée de 21 dessins de Rachid Koraïchi.
Un chef d’oeuvre d’ironie et de culture,
traduit du catalan par François-Michel Durazzo.

Prix Critica 2001 (Espagne).

14 exemplaires tirés à part sur vélin d’Arches,
rehaussés d’un dessin original de R. Koraïchi,
sous couverture Arches ivoire 300 gr.
3 ex. de chapelle.

Un volume 22 x 16 cm ; 160 pages.

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Description

Avec Divan (1982) Jaume Pont, avait déjà fait quelque incursion dans la poésie d’inspiration andalouse, découvrant avec jubilation sa propre voix dans la tradition qui aujourd’hui encore constitue le terreau de la meilleure poésie espagnole. Le Livre de la Frontière (2000), à travers les multiples voix qu’il présente, féminines ou masculines, ouvre la poésie catalane à tous les possibles : l’éloge, la complainte amoureuse, la satire, l’aphorisme, l’élégie, la pointe d’esprit… qu’assume, avec brio, un je polymorphe. Chaque poète de cette anthologie apocryphe donne lieu à une brève biographie littéraire, où le poète ne dissimule pas son plaisir de plagier la critique, tout en ébauchant peu à peu une véritable galerie de portraits, au milieu de figures historiques. De plus la traduction supposée de textes arabes anciens qui suit chaque biographie se prête à toutes les libertés au regard de la tradition classique. Car au-delà du jeu et de la contrainte se joue, en un lieu où toute distance est abolie, le dialogue entre deux poésies, la catalane et l’arabe, deux civilisations, la musulmane et la chrétienne, deux époques que près d’un millénaire séparent. La représentation d’un islam éclairé, que Jaume Pont brosse avec respect et enthousiasme à travers ces quatorze voix, dont une juive convertie, renverse, en s’appuyant sur les travaux des meilleurs spécialistes, tous les préjugés sur la poésie amoureuse et les mœurs du Moyen Age. Enfin, au-delà de la virtuosité de l’exercice, c’est surtout un poète habité et profondément humain auquel a voulu donner accès cette traduction.

Le Livre de la Frontière a obtenu le prix ‘Critica’ (la plus importante distinction espagnole pour la poésie) en 2001.
Sa thématique, ses enjeux, font de ce livre l’un des titres-phares des Editions Al Manar, qui depuis bientôt dix ans oeuvrent à faire circuler les textes et les idées entre les rives Nord et Sud de la Méditerranée.

Chacun des exemplaires de tête est rehaussé d’un dessin original de Rachid Koraïchi.

Quatorze poètes, dont deux femmes, dont une juive convertie ; quatorze bio-bibliographies d’une confondante érudition ; un long texte introducteur exposant les pérégrinations du manuscrit jusqu’à son éditeur… Et derrière tout cela, Jaume Pont : Borges n’était pas loin, lorsque notre Catalan se lança dans l’aventure…


La critique

Des vers d’amour, de guerre et de vigueur, en une anthologie aux origines mystérieuses, pour revivifier la tradition poétique des premiers troubadours. Un trésor de Jaume Pont, enfin traduit en français.

Amours métissées

Entre deux êtres ou deux cultures, entre soi et le monde, entre Dieu I’homme, la frontière est ténue, parfois, mais le plus souvent présente ; elle s’impose et traverse, (dé)limite et cloisonne les espaces réservés, inatteignables. Bordure et paroi, espace ambigu, la frontière est à fois une barrière et le lieu par où elle s’efface. Selon la façon dont on la considère – tout comme la peau de notre corps – elle est écran autant qu’interface. En Espagne, la frontière entre la culture d’AI Andalus, période de l’occupation de la péninsule par les Arabes (711-1492), et veine poétique chrétienne, essentiellement castillane, garda longtemps une allure de duègne impénétrable – malgré les efforts des arabisants, E. Lévi-Provençal en tête, pour souligner la parenté entre les troubadours occitans et ces poètes de l’Espagne médiévale. Aujourd’hui, la poésie espagnole a renoué avec ses métissages – et décidé d’en jouer. Traverser la frontière, explorer l’inconnu, ou danser sur sa peau tendue comme un tambour et en faire jaillir des accords à la fois familiers et inattendus. Peu savent aussi bien s’y ébattre que Jaume Pont, poète catalan, doté d’une rythmique tour à tour feu grégeois et soupe claire, et qui ne cède en rien à la virtuosité des poètes des Xe, Xl e et XIIe siècles qu’il introduit malicieusement dans cette anthologie exhumée d’une bibliothèque poussiéreuse du Caire. L’origine du Livre de la Frontière de Musâ Ibn al-Tubbi, évoquée en préambule -épopée gigogne, tapis volant pour folâtrer dans les jardins de la langue – mérite que l’on s’y attarde. Un érudit de père égyptien et de mère italienne l’a découvert, traduit, annoté, commenté, puis l’a transmis à l’auteur avant de disparaître ? la dernière fois où il fut repéré il était à New York. Travail de forcené, qui prit quinze années. Somme d’érudition et d’amour de la parole, iss

Sous la plume de Pont, quatorze voix ? dont trois femmes ? chantent à l’unisson l’amour et la liberté, l’honneur et la fierté, la loyauté et la blessure. Ironiques et lapidaires  » La balance de Dieu a rendu sa justice : tu boites de la plume d’en haut comme de celle d’en bas « , languides  » Sois humble et tremblant : ce sera ton meilleur trophée / et l’offrande la plus douce / que tu puisses m’offrir « , élogieuses  » la rumeur de ses yeux versait sur nous / le miel de cette nuit infinie « , sensuelles  » La demi lune qu’il me montre fait moins / grandir mon désir que celle qu’il me dérobe « , érotiques  » A quoi nous sent d’être des héros / s’il me manque le fourreau / s’il te manque l’épée dure ?  » , fiévreuses  » Verse moi du vin, jeune homme / jusqu’à la joie extrême / que l’aube nous prépare. / Et que le scorpion pique ! « , tendres  » Je t’aime de deux amours :/ l’amour où règne la passion / et l’amour que vraiment tu mérites « , oniriques  » Et je garde l’eau où les puits couvent la fièvre des prés  » ? foncièrement libre  » Les poètes écrivent sur le clignement de Dieu « .

Quatorze portraits, et autant d’occasions d’éclairer les multiples facettes du poète dans la société raffinée de l’islam éclairé – vizir, trouhadour, poète de cour, négociant, vagabond, noble ou danseuse, esclave ou guerrier – en contraste sensible aux rôles rébuits qui lui ont été accordés par la chrétienté ? occasion d’éradiquer les préjugés. Réalités historiques autant que métaphores de sa place, de son identité et son intégrité, tissées au fil de notices bio-bibliographiques mélange d’anecdotes savoureuses, analyse critique et références académiques convoquant les plus grands arabistes ? Jaume Pont est aussi essayiste.

Au fil des pages, et des dessins de Koraïchi, la barrière des langues se brouille, se dissipe comme une vapeur aux senteurs délicates. Cet opus, paru en 2000, reçut le prix  » Critica « , l’une des plus importantes distinctions espagnoles de la poésie, en célébration au bonheur des cœurs vivants et des passe-murailles.

Lucie CLAIR

LE LIVRE DE LA FRONTIÈRE DE JAUME PONT, traduit du catalan par François-Michel Durazzo,
dessins de Rachid Koraïchi, Al Manar, 153 p.
LE MATRICULE DES ANGES n°79, p. 47


Le Livre de la frontière à la librairie Mollat, Bordeaux

Jaume Pont : Le livre de la frontière de Mûsa ibn al-Tubbî
Traduit du catalan par François-Michel Durazzo
Dessins de Rachid Koraïchi
Editions Al Manar, 18 €

Le livre de la frontière aurait pu n’être qu’un canular littéraire, histoire de bluffer ou divertir un public rendu versatile par les media et toujours à l’affût d’une rumeur à répandre. En ouverture, Jaume Pont nous conte l’histoire de son livre. Cheminement de la copie en traduction italienne et française d’une anthologie apocryphe en arabe classique. Le manuscrit original trouvé au Caire daterait du début du XIIIème siècle. Quant à la copie, elle aurait été envoyée de New York, après sept ans de silence, par un mystérieux correspondant. L’expéditeur prenant tout son temps, Mohamed Omar Sumi, ex-ami de Daniel Cohn Bendit, connu à Paris un certain mois de mai, serait né à Palerme. De Sicile au Paris des barricades et d’OULIPO… Mais c’est au Caire que se cache le précieux ouvrage dans sa version première jamais visible !
Si l’auteur de Divan (1982) a cru bon de jouer ce tour et d’ajouter des voix imaginaires aux voix immortelles de la période d’Al Andalus, c’est parce que peut-être tout n’a pas été écrit par les érudits spécialistes de la poésie arabo-andalouse et qu’il est aujourd’hui urgent de jeter de nouvelles offrandes par-dessus les frontières, renouer des correspondances, réactiver la mythique leçon d’humanité advenue de la découverte de l’autre grâce à la poésie amoureuse et savante développée en cette époque faste et cependant cruelle. Curiosité contagieuse aiguisée par l’attente, le prétendu professeur Sumi, d’une réponse récurrente, entretient le suspense :  » L’œuvre bien faite vaut bien une vie.  » La fiction et la documentation écumée se tissent pour faire vivre et revivre  » une singulière poétique du bazar,  » métissant l’Orient et l’Occident. Mais l’énigme subsiste, en apesanteur, -frontière fluide entre le réel et l’imaginaire ?-, faute de la moindre trace de l’original en langue arabe (le Kitâb al-Zugr) prétendument découvert par le sieur Sumi !
Comme son mystérieux correspondant, l’auteur catalan animé d’une conscience libertaire préfère  » l’esprit de la lettre à la lettre même…  » Du pastiche à l’imprégnation créatrice. Sans frontière…
Autre particularité, sur les quatorze auteurs révélés dudit manuscrit, trois sont des femmes et, d’après les notices biographiques subtilement contextualisées, elles semblent plus libres encore que leurs contemporains mâles ! Temps béni pour les poètes ?
Morceaux choisis :
Tel poète de Lleida, Abd allâh ibn Yahyâ, aurait composé en son ascèse des poèmes et aphorismes mystiques :  » La joie est la semence de l’âme,  » mais il y perce aussi une réjouissante sensualité :  » D’abord tes lèvres puis le vin.  » On y découvre avec bonheur cette définition insolite qu’aurait pu revendiquer Cocteau lui-même :  » La poésie est le tatouage de l’enfance.  » Ou défi à la charia, cet avis aux persécuteurs qui fait écho à certaines condamnations dans le monde arabe d’aujourd’hui :  » Le bûcher emportera mes livres, / pas ma pensée.  »
Une amoureuse, un rien libertine, Zaynab bint Yûsuf, se serait illustrée dans un tout autre registre :  » Si un jour ma langue / meurt d’épuisement, / ce ne sera que de t’avoir appelé…  » Férocement satirique, cette femme d’esprit dit son désir comme son dépit avec des métaphores hardiment suggestives :  » remue donc ton petit cul d’anguille, / très chaste inverti, / et cherche un nouveau nid qui accueille / le piètre moineau / que t’a donné la nature.  » Ou encore :  » Tu boîtes de la plume d’en haut comme de celle d’en bas.  »

Autre figure surprenante, ce poète au nom compliqué, Hisham ibn Halid al-Zebrun, surnommé le Chauve de Rufea et le Silencieux. Loué pour son laconisme, il touche la sensibilité du lecteur dès les trois premiers vers d’un emblématique poème :  » J’ai un olivier / où dort chaque nuit / la lumière de l’aurore.  »
Encore dans le registre du merveilleux, un eunuque, Mubashir ibn Sulaymân, amoureux des fleurs, parle aux étoiles :  » Je jette de la lumière sur la terre dévastée / que, d’un pas altier, tu abandonnes aux ténèbres…  »
Figure truculente de jouisseur, Ibn Sharaz. Ses détracteurs lui prêtent d’avoir fait plus d’enfants que de vers et pire, l’accusent de fréquenter les tavernes des infidèles… Qu’importe, le poète le leur rend bien avec ses satires mordantes. Ainsi persifle-t-il à propos d’un  » éminent philosophe du néant  » :  » Yûsuf al-Hadramî est tellement l’ami de ses amis que même son ombre ne le reconnaît pas.  » Et de l’assassiner, d’un trait acerbe, à la chute :  » au fond de son pantalon meurt la métaphysique.  »
Juive convertie, Hayât al-Waydiyya (XIIème siècle), originaire de Barcelone, est fille de rabbin. Elle est admirée pour sa connaissance de l’hébreu, de l’arabe et du latin. Point d’orgue du raffinement :  » Elle teignait ses pigeons de différentes couleurs et, quand elle les lançait en l’air, le ciel n’était plus le ciel, mais la roue du paon.  » Victime d’une irréparable déception amoureuse, elle fait entendre des accents d’intense émotion :  » Que doit aimer le noir chagrin d’une femme / constamment déçue, / si quand s’assèche le larmier, / un brin de poussière dans l’œil / pèse dans son cœur comme un rocher ?  »
Démarche qui rappelle d’autres bibliothèques imaginaires, telle celle d’Edmond Jabès, notamment en son Livre des Ressemblances, dont les rabbins virtuels, tous nommés, multiplient et renouvellent la tradition talmudique, égrènent de savoureux aphorismes, hors du temps. Jaume Pont ouvre et brouille les pistes, parodie et célèbre la quête des orpailleurs de l’écrit. Avec humour, il se projette lui-même dans le roman de sa fable. Avec amour, il réactive les traces perdues,  » comme les fruits d’un arbre planté au beau milieu du jardin de l’avenir…  »
Palimpseste en millefeuille ! Du canular mineur à l’art majeur…
Le livre de la frontière (Prix Critica 2001), traduit du catalan par François-Michel Durazzo, est magnifiquement illustré de dessins de Rachid Koraïchi qui a déjà contribué à plusieurs ouvrages publiés avec le même soin exigeant par Alain Gorius, directeur des éditions Al-Manar. Raffinement pour l’œil et l’esprit à la mesure de cette civilisation éclairée qu’a tenté de faire revivre Jaume Pont en sa ville de Lérida (Lleida).

Ménaché
Europe

Présenté comme la ‘redécouverte’ miraculeuse d’un poussiéreux manuscrit du XIIIe siècle, cette belle anthologie de poésie amoureuse arabo-andalouse est un admirable exercice de style, que rehaussent les 22 planches dessinées et calligraphiées par Rachid Koraïchi.

Le Livre de la Frontière ( Kitâb al-Zugr ) est une aventure imaginée entre divers personnages, ou plutôt entre diverses facettes d’un même personnage : Jaume Pont (universitaire catalan et lauréat de nombreux prix littéraires), un certain professeur Mohamed Omar Suni (bibliothécaire de l’Université d’al-Azhâr et découvreur-traducteur du manuscrit), et enfin le mystérieux Musa ibn al-Tubbi, grand calligraphe du XIIIe siècle, compilateur ou copiste dudit manuscrit. Il faut leur adjoindre les quatorze poètes de cet inventaire ayant vécu aux Xe, XIe et XIIe siècles au nord-est de l’Al Andaluz, soit peu ou prou l’actuelle Catalogne. Musa ibn al-Tubbi fut lui-même originaire du district arabe ( a’mâl ) de Lârida, l’actuelle ville de Lérida ou Lleida en catalan, où vit et travaille l’auteur.

Genèse d’un Exercice de Style

A l’évidence bon connaisseur et grand amateur de poésie arabo-andalouse, Jaume Pont prit grand plaisir à ce voyage temporel dans la culture mozarabe, tout en se fondant dans les personnalités fictives de quatorze poètes de cette lointaine époque. Le chiffre même de quatorze interpelle comme moitié du mois lunaire, si présent dans la culture arabe : quatorze est donc l’équivalent des phases croissante ou décroissante de la Lune, selon qu’on considère la créativité ou l’immersion dans les sentiments. Tous les poètes ou mystiques cités, qu’ils soient hommes ou femmes, ont une voix personnelle, un verbe et un style propres, qui témoignent du talent littéraire de Jaume Pont.
De plus, pour chacun de ses personnages dans lesquels il sut se fondre, la sélection des poèmes est précédée d’une biobibliographie détaillée, chacune créée de toutes pièces mais dont l’originalité et la saveur des détails constituent un exercice littéraire à part entière, quand bien même éloigné de la poésie qu’il sert. En fait, l’appareil critique s’avère être ici une œuvre parallèle, puisqu’aux quatorze biographies s’ajoutent, en guise de présentation, les Quelques notes sur l’histoire de ce livre qui ouvrent l’ouvrage. Ecrites dans le style et le ton universitaires, le lecteur apprend l’histoire atypique de cette découverte, le détail des délais et problèmes rencontrés, avec diverses précisions et réserves sur l’originalité des textes poétiques. L’ensemble termine par une liste des noms arabes, propres et communs, employés dans les poèmes et notamment dans l’appareil critique ( notes et bibliographies ).
Tout a donc été fait pour rendre cette découverte crédible, tout en effaçant les aboutissants de l’entreprise. Ainsi de la dernière lettre du professeur Sumi, lequel avait chargé Jaume Pont de traduire en catalan ses propres traductions et annotations en français et italien du manuscrit, et qui met un terme à leur relation épistolaire ; les deux protagonistes ne se seront jamais rencontrés :  » avec la livraison de ces traductions, il n’y a plus d’autre horizon entre nous deux que le silence des années et les mots des vers que vous avez aujourd’hui entre les mains. Ne cherchez pas, mon ami, à dresser un mur entre nous, par votre fidélité d’érudit et votre souci de documents. C’est inutile. Le manuscrit restera où il est resté le long des siècles. Je préfère l’esprit de la lettre à la lettre elle-même. Ne tentez pas de verrouiller la plaine. Vous me direz que c’est là un préjugé anti-historiographique, un purisme insensé hérité de ma conscience libertaire. Vous avez peut-être raison. Mais c’est mon choix, aussi entends-je y rester fidèle (p.24) « . Naturellement, les efforts ultérieurs de retrouver le manuscrit restèrent vains, et l’écrivain derrière l’exégète Jaume Pont prit soin de brouiller les pistes :  » la bibliographie reste sommaire, car nous l’avons limitée aux œuvres utilisées dans les citations. Toute surcharge érudite, dans la mesure où nous étions privés du manuscrit, nous semblait artificielle et inutile, et c’eût été au détriment de la dimension poétique des textes, qui, dans le Livre de la Frontière, doivent, ici et dès à présent, occuper la première place (p.26) « …

Extraits

Les formes poétiques alternent et varient entre les quatorze poètes, à savoir fragments ( qitâ’a ), poèmes ( qasîda ), satires, ou encore aphorismes, comme ceux de ‘Abd Allâh ibn Yahyâ ( extraits, pp.34-36 ) :

 » Ecrire avec son sang le livre de l’esprit »

« D’abord tes lèvres, puis le vin »

« Cet œil qui écoute parmi les ombres »

« La joie est la semence de l’âme »

« Ce n’est qu’avec la mort que nous apprenons à être seuls »

« Le bûcher emportera mes livres, pas ma pensée »

Il y a aussi quelques femmes ; personnellement, c’est justement l’Eternel féminin de Jaume Pont qui m’a le plus interpellé sous l’identité de Halwâ al-Abbâr  » al-Miknâsiyya  » ( † 1064 ), dont voici deux des huit poèmes (centrés dans l’original) :

 » Tourment (p.60)

Naguère nos corps ne faisaient
qu’un seul corps, une seule âme.
Et toi, tu fus l’amant,
moi l’aimée, l’infortunée aimée.
A présent tu es mon seigneur et je suis ton épouse.

Voici le fruit d’une vie tourmentée
sur ce chemin plein de cailloux
que les orphelins appellent l’amour.??o Indifférence (p.61)

Elle ne l’empêcha pas d’entrer
dans sa chambre
et ne lui dit pas de mots
pleins de rudesse.
Elle le regarda simplement dans les yeux,
comme s’il était un étranger chez elle.

Dans un tout autre registre, la leste et mordante Zaynal bint Yûsuf (994 – 1072) montre une intelligence affranchie, toute féminine du reste, qui littéralement crucifie l’ego de ses benêts d’amants :

Si un jour ma langue
meurt d’épuisement,
ce ne sera que de t’avoir appelé […]
( extrait, p.40 )

Pourquoi tant insister sur les dociles préambules de l’amour

D’où te vient cette manie de prolonger l’office ? […]
( extrait, p.41 )

[…] Je savais que tu étais un peu aveugle
et qu’en matière d’amour tu dérapais
plus qu’il ne faut,
mais pas au point de confondre
un jardin plein de musc et de fruits tendres
avec cette flaque pleine de pourriture.

Je ne me plains pas du choix,
mais du temps perdu.

Remue donc ton petit cul d’anguille,
très chaste inverti,
et cherche un nouveau nid qui accueille
le piètre moineau
que t’a donné la nature.
( extrait, p.42 )

Lettre au même (p.43)

Je vois à ton billet rimé
que faute de talent qui embellisse
de collier de mensonges
auxquels tu m’as accoutumée,
tu recours à la larme facile?et à la fraude peu subtile de la métaphore.

Si tu fus un amant mou et maladroit,
si tu chantais comme un eunuque,
à présent je sais aussi que tes vers
ne te nourriront pas non plus.

Il te reste au moins la consolation d’être un homme
assez simple et équilibré.?La balance de Dieu a rendu sa justice :
Tu boites de la plume d’en haut comme de celle d’en bas.

De fait, la satire est récurrente aussi bien chez les hommes, comme ces deux citations tirées des biographies respectives d’Abû-l-‘Abbas al-Magribî (1102) et de Muhammad al-Amir ibn Shâraz (1121) :

 » En raison de sa vie dissolue, dit Ibn al-Tubbî, ses nombreux détracteurs le nommaient malicieusement ‘l’étoile à cinq pointes’, deux pointes pour se maintenir debout, deux autres pour compter l’argent et le cinquième, on ne la voit pas, car elle est toujours fourrée dans le premier trou venu. S’il faut en croire Ibn al-Tubbî, sa renommée était rehaussée de touches de cruauté au raffinement d’un goût douteux : ‘Il avait pour habitude de cultiver dans ses jardins toutes sortes de fleurs, cultivées avec art dans les crânes de ses amants et familiers disparus’ (p.86) « .

 » Très jeune, il était déjà connu à Lârida pour son habilité et son génie dans l’improvisation de vers et pour fréquenter les tavernes des chrétiens. En revanche les critiques ne lui manquèrent pas. Ses détracteurs disaient de lui que dans sa vie il avait fait plus d’enfants que de vers, ce qu’Ibn Shâraz prenait vaniteusement comme un éloge (p.103) « .


Erwan L’Helgouach
ArtsLivres.com

Caractéristiques

exemplaire

courant, de tête

isbn

2-913896-42-1

parution

Auteur

PONT Jaume

Artiste

KORAÏCHI Rachid

Collection

Voix vives de la Méditerranée