Description
La critique
Un Jardin où la nuit respire, Ed. Phi/Les Écrits des forges, 2008. Cette singulière deuxième personne… Les trois dernières livraisons du poète Sylvestre Clancier marquent à l’évidence un tournant dans son oeuvre. De prime abord, le lecteur fidèle semble en terrain connu. Les textes Le temps pluvieux, le temps serein Cette utilisation du « tu » amorce, dans les derniers recueils, une translation vers le mythe. L’apostrophe est lancée à la Lune, puis à Horus – autant dire au symbole féminin, et à la représentation du fils. Isis ta mère (…) Lui, ton père 3 Dans Le Livre d’Isis, la légende est racontée selon différents points de vue qui induisent les personnes verbales. Quatre parties dont les trois premières sont centrées respectivement sur Isis, Osiris et Horus, et une quatrième qui ramène le mythe vers les hommes. Le premier mouvement du recueil donne la parole à la déesse pour une déploration, le second mouvement est un monologue d’Osiris. Dans les deux cas, c’est le « Je » qui s’exprime, les dieux ont la parole. Mais le troisième mouvement revient au « tu » récurrent de l’oeuvre de Clancier, le poète s’adresse au fils d’Isis et d’Osiris, de la même manière que dans ses autres textes, la plupart du temps, le poète s’adresse à l’homme. Le raccourci serait ici un 1 « Quand vient le soir », in Jardin, p.73 peu trop facile : l’apostrophe à Horus serait l’indice de la marque « filiale », le poète considérant qu’il n’a pas encore déployé tout à fait ses ailes et que l’ombre du père est lourde à porter. Ce monologue distancié par le « tu » est un masque trop évident pour que l’on s’arrête à cette première analyse – trop simpliste. Sans doute serait-il plus pertinent de fouiller du côté de l’héritage initiatique du dieu-faucon, comme on pourrait le faire également en ce qui concerne l’apostrophe à la Lune « avec [ses] voiles et [ses] mystère » 4, Lune qui préside à l’ « immense baptême de moi-même à moi-même » 5. La partie du recueil Un Jardin où la nuit respire où apparaît l’apostrophe à la Lune est intitulée « sans peur ni dieu ». Le lecteur y décèle d’emblée le changement de cap du propos de la poésie de Clancier. L’oeuvre, en amont, s’est bâtie sur la nostalgie de l’enfance, sur les paysages familiaux ou les terres de voyage. À présent, le retour sur les sensations enfantines, sur la renaissance adolescente, s’opère dans la perspective de l’âge qui avance, et dans le déchiffrement des arcanes du monde. Dans Isis, dans Le Jardin, quand le « Je » apparaît, la mort rôde. Déploration de la déesse, monologue du dieu dépecé, confession du poète : Sans peur ni dieu Dans cette approche, la singulière deuxième personne prend des tournures d’injonction philosophique. Au remâché « connais-toi toi-même », Clancier ajoute la conjoncture : Ta quête pourrait-elle conjurer le malheur 4 « Sans peur ni dieu », in Jardin, p.57 Et, reprenant Protagoras, mais nuançant la pensée grecque, il poursuit : Croyant en ton étoile Si la mort rôde, si le monde est encore à déchiffrer avant de le quitter, le travail du poète change de cap. La voie à suivre dévie imperceptiblement, et les ombres tutélaires sont nettement affirmées. Un Jardin où la nuit respire offre en exergue des citations de Valente, Camus, Meschonnic, Frénaud, Tardieu, Borges, Miron, tous écrivains dont on reconnaît que le fond est au moins autant littéraire que philosophique. Et tous écrivains du XXème siècle. Mais le grand inspirateur, le maître à qui Clancier rend hommage, et qu’il bouscule quelque peu, c’est Gérard de Nerval. Le livre d’Isis s’ouvre sur une citation du Voyage en Orient, et la dernière partie du Jardin où la nuit respire est tout entière dédiée à l’auteur des Chimères. La mort de Nerval apparaît chez Clancier comme la marque de l’énigme non résolue de notre présence au monde, comme le signe de l’impuissance hermétique, comme la défaite inéluctable du poète face à la résolution des mystères. Dans la partie dédiée à Nerval, intitulée « Attends la fin de la nuit », les références nervaliennes sont des clins d’œil au lecteur – chimères, mélancolie du Prince d’Aquitaine, étoile, feu, etc. – mais également des emprunts 8 « Comme un jardin secret », in Jardin, p.33 Autre clin d’oeil – et pas des moindres : la partie consacrée à Nerval s’ouvre sur une Des jours Là encore, et surtout en ce qui concerne Le Cimetière marin, la référence philosophique est indéniable. La tutelle revendiquée de Nerval et de Valéry orientent les derniers recueils de Sylvestre Clancier vers la voie étroite, et royale, de l’hermétisme poétique, qui est la face noble et généreuse de la poésie hermétique. Les huit poèmes de la partie intitulée « Herméneutique » du recueil Un Jardin où la nuit respire sont à ce titre emblématiques du changement de cap opéré par Clancier : le dévoilement du monde et de la logique de sa marche est bien l’objet de la quête poétique. Et tant pis si la quête est sans fin, et le dévoilement impossible. 9 « Attends la fin de la nuit », in Jardin, p.79 Christine Bini |