Le faux-fils

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Un roman poignant sur l’enfance malheureuse et le racisme ordinaire.

Description

Roman, ou récit de vie ? Le faux-fils évoque l’enfance malheureuse, cette donnée invariante de l’existence humaine. La misère sociale ne l’explique guère ;  misère morale, misère affective, brutalité des uns, indifférence des autres se conjuguent pour produire, partout, les mêmes effets. Quel que soit le milieu dans lequel ils naissent, peu d’enfants sortent indemnes de «l’éducation» que certains parents leur infligent. Ce roman froid, cette écriture rétractée en témoignent. Jusqu’à la nausée : telle est la force de la littérature. Correcteur, metteur en page, éditeur, auteur d’un manuel de microtypographie et de plusieurs esais, traducteur de l’anglais et de l’ancien français, J-L. M. Paul est un professionnel du Livre. On découvre ici son talent d’écrivain.

 


Communiqué de l’auteur, à propos de « l’affaire  » Yann Moix, romancier habitué des plateaux de télé qui nous raconte (à moins qu’il ne l’invente) son enfance qu’il dit malheureuse…

Combien d’enfants maltraités, voir d’enfants martyrs, ajouteraient légitimement leur voix à l’effervescence soudain motivée dans le monde culturel par la publication du livre de Yann Moix, Orléans ? Elle met en avant son évocation de traitements extrêmes – le câble électrique en guise de fouet [voir note en fin de ce communiqué], les excréments servis à table… –, « insoutenables » mais, peut-être, vendeurs. Puis le père publie à son tour, minore : sans doute il a pu se montrer brutal, il a été élevé ainsi, il a fait de son mieux. Ces autojustifications – j’en ai entendu de semblables – ne démentent pas, je dirais même pourraient confirmer les excès de cette « banalité du mal » combien enfouie normalement depuis tant de siècles. Le frère cadet intervient à son tour – quelle famille médiatique ! – : non, c’est lui qui fut victime, pas de ses parents, mais de son aîné, de l’auteur non de ses jours, mais de ce livre, avec des traitements analogues. L’œuvre serait-elle une projection psychotique attribuant la position de victime au tortionnaire ? Puis il ressort que privatum l’auteur d’Orléans, qui présentait son ouvrage comme autobiographique, confie lors de ses « dîners en ville » vite colportés avoir exagéré systématiquement.

En mars 2019 a paru mon roman le Faux-fils, aux éditions Al Manar. Son éditeur a choisi pour le prière d’insérer un extrait du chapitre IX où est mentionné l’emploi nullement ludique d’un jouet en plastique filiforme, une épée façon fleuret. Ce roman est tissu de mon histoire personnelle et, s’il transpose quelques hypothèses construites sur le doute et le mensonge dans lequel je vécus enfant, il n’ « exagère » aucun des « traitements insoutenables », mais non pas inconcevables, qu’il évoque. Ceux-ci sont authentiques.

Je ne sais s’il existe un club des enfants si mal nourris, mais ont resurgi dans mon récit telles scènes, lorsque j’arrivais, vers mes cinq ans, dans mon espèce de famille que je n’acceptais pas, où je vomissais dans mon assiette sitôt la soupe ingurgitée ; et en effet (ce n’est pas moi qui exagère), j’entendais « Remange ton vomi », et devais m’exécuter. Je me souviens du goût de l’amertume, et que je pleurais.

Je n’ai jamais lu de livres, ni de chroniques, ni d’articles, ni de caricatures antisémites de M. Y. Moix, ni vu ses films, ni assisté à ses émissions télévisuelles. À parcourir les « bonnes feuilles » que l’éditeur d’Orléans affiche sur son site, je suis surpris de tout ce que pouvait penser à cinq ans l’élève de classe maternelle, ce qu’il savait qu’il éprouvait, avec les mots de ce savoir… Ce qui me semble immoral, calculateur, ce n’est pas de se dépouiller, comme on fait quand on se livre, mais de se repouiller avec les oripeaux d’une expérience qu’il aura « exagérée ». Une manie récemment surgie de la surabondance informationnelle fait émerger un quart d’heure des quidams, connus ou non, qui « cherchent à exister » par la dénonciation mensongère d’un tort délictueux – enlèvement, agression, viol, etc. Formellement, ni éthiquement, on ne saurait se tenir dans une « zone grise » où le témoignage de faits que l’on prétend avérés se révèle une fiction romanesque, genre où l’on peut à l’inverse, et à la rigueur, imaginer tout ce que l’on veut puisque le lecteur est prévenu que « c’est du cinéma ». Les maltraité(e)s, les torturé(e)s, les humilié(e)s trop réels, et le plus souvent muets, ignorés ou bâillonnés, sont trop innombrables pour qu’on s’en attribue l’ « image ».

Je ne veux rattacher le Faux-fils à cette attention momentanée autour de l’enfance malheureuse, attention plutôt collatérale, polarisée en fait sur l’auteur célèbre et versatile. D’abord cette maltraitance n’est pas le seul fil conducteur de mon livre. Puis j’aurais scrupule à valoriser cet aspect. Depuis Jules Vallès, Jules Renard, Gaston Leval, notoire et oubliée, elle est une réalité que l’on écarte de la vie collective – dont elle est partie intégrante – et que l’on ne peut exagérer.

Jean-Louis Mohand Paul

 

Note du 30-08-2019. – L’auteur évoquait déjà ces sévices dans le roman Panthéon paru en 2006. À ce propos, il « nuançait » dans Libération du 2 août 2006 : « Pas enfant martyr, pas frappé de façon systématique, pas mis au placard, mais frappé de façon disproportionnée par rapport à mes conneries. » Que telles scènes traumatiques ressortent et orientent l’histoire individuelle est attesté surtout par le sentiment que pour ses « conneries » il eût dû être « moins » frappé, comme s’il était en cela une façon « proportionnée ». Y. Moix ajoutait alors, vantard et comme pour prévenir ou surpasser des « concurrences »: « Les autres enfants battus qui veulent faire larmoyer méritent une bonne correction. » La motivation concurrentielle, (extra-)littéraire, procède par intimidation, méthode élitaire fréquente chez ceux qui ont part au monopole de la parole publique. « Plus battu que moix, tu meurs ! » Comme s’il s’agissait de concours, de podium ! Et qui d’autre parlerait ou écrirait de cela voudrait « faire larmoyer ».

 

Les fictions créent des habitudes comme une coutume

« Une initiation à la douleur de la rupture résonne comme un rappel. Sous les quolibets répétés, l’enfant attend, cherchant à ne pas les croire, les croyant de fait. Leurs auteurs, bientôt, rentrent dans la halo familier. La porte se referme »

Les mots et ce qui ne doit pas être nommé, les cris sans nulle liberté, , « le mot devient son rêve attristé », ces adultes regroupés semblables aux murs, « Sortir est interdit, demander quoi que soit se conclut par l’affirmation que l’on verra plus tard, quand on aura oublié, que ça n’a pas été possible ».

Des chapitres aux titres courts, souvent un seul mot, une voie étroitement délimitée mais non bornée dans la force du récit…

Les rêves, les jeux et les réalités, « Jean-Pierre mélange ses souvenirs, ses anciens souhaits, ce qu’il aurait voulu », les interdictions, « Il faut et il ne faut pas », l’orthodoxie du placement des mains et « leur inactivité conforme », les objets d’infamie, les mots du racisme contre « ceux-là » et leur sale travail…

« Après avoir été chassé dehors le voici, à six ou sept ans, chassé dedans ». Il y a ici plus qu’une simple phrase mais bien la force de cette violence qui fait que certains actes ou mots se gravent et esquintent, figent et ferment le temps. L’enfance n’est pas simplement le temps des contes et des merveilles. L’environnement des petit·es, de celleux qui sont en état de dépendance envers la bienveillance des adultes, ne peut-être abstrait des rapports sociaux. Si l’enfance reste un temps de découverte, d’émerveillement, de construction des possibles, c’est aussi le temps des effets matériels des manques et de la violence sociale, de la violence familiale, de la violence scolaire, des formes plus ou moins sophistiquées de dressage social. Les socialisations – fortement genrées et hiérarchisées – sont de plus rythmés et contraintes par les temporalités inadéquates des adultes.

Pour des millions d’enfants dans des milliers de lieux, la violence s’inscrit durablement dans les corps et les esprits. Comment formuler ce qui ne semble arriver qu’à soi, comment penser ce qui semble naturel ? L’enfance se fracasse contre les silences et les impensés sociaux, la naturalisation des relations marentales/parentales, les emballages fantasmatiques de l’amour, de l’obéissance, de l’apprentissage, de la discipline… loin des expériences et des rythmes propres au développement et à la maitrise des immenses et multiples facultés de chaque petit·e en devenir.

La douleur comme point de fixation, le stress chaotique de la peur, les scènes et les fêtes, « Ainsi le sacrifice du bouc émissaire restaure fugacement la cohésion du groupe », la honte refoulée comme une glu qui freine tous les pas, et pourtant ce qui fait brèche « dans l’enceinte de verbe violent qui mure son enfance », les soupçons de l’indicible, ce qui est dit mais pas entendu, de qui se devine dans la surdité…

Les accélérations et les ralentissements, « Encore une journée perdue à ne pas lire », les sévices, les usages conventionnels, le hors-jeu honteux, « Il est en attente de rien, ou de rêves impraticables, heurté, sur le qui-meurt », l’ambiance du h.l.m, le scolaire… « Ce qui a changé imperceptiblement, c’est que, intérieurement, Jean-Pierre se révolte »…

Mai, les chevelus, les voyous, les étrangers, un commissariat, l’abandon, la vérité enfin au delà des leurres, les détails et la guerre d’Algérie, l’amour comme exhaussement et non comme chute, la nouvelle biographie comme recomposition, la distance et le doute, le nom occulté et un prénom mal orthographié, l’inscription dans la fiction accommodée, l’image d’un instant…

Jean-Louis Mohand Paul : Le faux-fils

Al Manar, Neuilly 2019, 124 pages, 17 euros

Didier Epsztajn

Entre les lignes entre les mots, 3/05/2019

entreleslignesentrelesmots.blog/…/les-fictions-creent-des-habitudes-comme-une-coutume


Le faux-fils roman de Jean-Louis Mohand Paul,

éditions Al Manar, 2019

 par Denise Brahimi

Ce supposé roman est de ceux qui de toute évidence comportent une grande part d’autobiographie, mais étant donné le caractère très douloureux de son sujet, il est peu probable que l’auteur souhaite expliciter la part cruelle de vérité qu’il a plus ou moins remaniée pour la publication du livre. Cette vérité rejoint d’autres témoignages d’écrivains sur l’enfance maltraitée (pour Le faux-fils, ce mot paraît faible), chaque exemple comportant des traits particuliers.

Ici, l’enfant qui dans le livre s’appelle Jean-Pierre subit de la part de son père appelé Michel (et aussi de Raymonde sa mère, toujours prête à le renier) un rejet qui a au moins deux explications principales. On ne connaîtra l’une des deux que vers la fin du livre : Michel n’est pas le père de Jean-Pierre, il a accepté d’être considéré comme tel lorsqu’il a épousé Raymonde, à un moment où Jean-Pierre avait déjà quatre ou cinq ans. Mais on dirait que ce faux-père ne cesse de déplorer l’existence de son supposé fils et en conséquence de le punir d’exister. Il s’agit d’un usage incessant de châtiments corporels violents et brutaux mais pas seulement, car ce « père » l’accable aussi de mots grossiers, injurieux, dont il est évident qu’ils sont sans réplique possible de la part de l’enfant écrasé. Celui-ci n’a aucun recours, et certainement pas chez sa mère puisque elle aussi lui reproche d’exister. Raymonde a sans doute le sentiment qu’elle doit abonder dans le sens de Michel pour se faire pardonner ou se pardonner à elle-même d’avoir eu un enfant avec un autre homme avant de l’épouser.

Mais tout se complique, et aussi s’explique, du fait que cet autre homme était porteur d’une tare sur laquelle l’auteur insiste de plus en plus à mesure qu’on avance dans le livre : c’était un Kabyle ! On imagine bien que le racisme préexistait chez Michel à son mariage avec Raymonde, mais le fait d’héberger chez lui et de devoir considérer comme son fils un enfant demi-kabyle ne pouvait manquer d’exacerber son racisme et de le rendre toujours plus virulent. Le racisme consubstantiel à son être de Français moyen et fier de l’être est encore accru, non seulement par ce pseudo secret familial qu’à aucun moment il ne parvient à oublier, mais aussi par les circonstances historico-politiques qui caractérisent le monde ambiant, du fait que l’enfance et l’adolescence de Jean-Pierre se passent en bonne part pendant la guerre d’Algérie.

Le livre donne de nombreux échantillons de la façon dont le racisme s’exprime dans les propos de Michel, et les mots qu’il emploie ne sont malheureusement que trop reconnaissables, ce sont ceux du langage courant, fréquents chez un grand nombre de gens comme lui. Leur effet est accru dans le livre du fait que le narrateur fait partie de ceux que ces mots désignent, et que l’enfant qu’il a été, même sans le savoir, le sentait ou le devinait. Michel les emploie au moment où à brûle-pourpoint et sans la moindre préparation, il révèle la vérité à Jean-Pierre, alors âgé de huit ou neuf ans : « Et d’abord, j’suis même pas ton père ! C’était un Crouille ton père, j’peux bien te l’dire maintenant. Ah ! C’était un joli coco ! On sait pas où il est, si ça se trouve il est crevé ! »

Jean-Pierre est si habitué à vivre dans un mélange de brutalité odieuse et de racisme qu’il ne ressent pas immédiatement les propos de Michel comme une sidérante révélation. Ce n’est que petit à petit qu’il s’en imprègne et qu’il émerge d’un rapport très flou à la réalité, jusqu’au moment où il reçoit une confirmation extérieure et définitive de sa filiation. Le style du livre est fondé sur ce contraste entre la rudesse effrayante de ce que Jean-Pierre subit et l’absence de toute consistance possible dans ses sentiments ou sa pensée. Plus que jamais on comprend comment il a fallu le travail de l’écriture et le passage au livre (avec sa part de fiction ?) pour que le ou les traumatismes énormes du passé puissent être exorcisés.

On sait par d’autres exemples qu’il faut parfois beaucoup de temps avant que cet exorcisme soit possible. Et le lecteur devinant ce qu’a dû vivre l’écrivain pour en arriver là, ne peut manquer d’en être troublé. Même s’il s’agit d’une histoire désormais bien éloignée dans le temps, comme celle que raconte Jules Renard dans Poil de Carotte (1894) ; et surtout quand l’écrivain est bien connu pour d’autres œuvres, ce qui est le cas de Patrick Modiano, qui donne à entendre dans Un Pedigree (2005) un ton tout différent.

Le livre le plus proche de ce Faux-père est sans doute Profession du père de Sorj Chalandon (2015) qui en tant que journaliste sait bien ce qu’attendent de lui ses confrères quand ils l’interrogent sur les sources personnelles de son livre, mais ne peut cependant ni ne veut leur répondre d’une façon tout à fait claire. Ce qui est très frappant si l’on rapproche le livre de Jean-Louis Mohand Paul et celui de Chalandon est que l’un et l’autre y mettent en rapport les idées politiques du père avec la maltraitance, voire la torture qu’il inflige à l’enfant. Ils nous montrent chez ces deux pères dévoyés (celui de Chalandon est tout à fait fou) une sorte de mélange pernicieux, monstrueux certes mais qui n’est pourtant rien d’autre que celui du fascisme ordinaire avec la vie familiale au quotidien. Et comme les faits évoqués dans les deux cas sont encore récents, liés à la Guerre d’Algérie beaucoup plus qu’à la Seconde Guerre mondiale, on se dit après Brecht que « le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde », toujours prête à resurgir .

Denise Brahimi


Le faux-fils, Jean-Louis Mohand Paul (par Yasmina Mahdi)

Le faux-fils, Jean-Louis Mohand Paul, éditions Al Manar, 2019, 124 pages, 17 €

Le faux-fils, Jean-Louis Mohand Paul (par Yasmina Mahdi)

 

La part de Kabyle

Le début du roman Le faux-fils est dramatique, à l’instar des films du cinéma français juste après-guerre ou de ceux des années 1960, au sein d’un vieil immeuble d’un quartier populaire parisien, surpeuplé, où l’ombre des couloirs dissimule des locataires sujets à bien des privations et des douleurs. L’histoire est celle d’un petit enfant victime du sadisme familial, un peu comme le Antoine Doinel des Quatre Cents Coups de François Truffaut. Ici, l’enfance n’est pas cet îlot de rêve et de bonheur, ce cocon d’amour mais un abandon sans mesure, une jeunesse martyre. La colère, la peur, la crédulité, traversent le petit protagoniste (re)nommé Jean-Pierre, souffre-douleur du couple, ce qui l’entraîne vers une étrangeté radicale. Une revanche à prendre, par l’auteur, pour défendre un enfant amputé par le non-dit et le ressentiment, pour lequel on apprend à ne pas parler, à ne pas dire.

Jean-Louis Mohand Paul agence des épisodes d’un temps atrophié, entre rupture et chaos, aux détails atroces. L’on constate que la privation économique va, hélas, de pair avec la privation affective – ou pour le dire autrement, la misère rend cruel. L’auteur n’épargne pas la famille, le lieu de l’éducation, plutôt du dressage à l’obligation de normalité, en décrivant les scènes de scatologie, les insultes racistes, les doubles injonctions contradictoires. L’assujettissement par les coups marque intérieurement Jean-Pierre, enfant complexe, sensible, marqué aussi extérieurement, lui qui reçoit tant de trempes que ses mollets sont striés. Dans une France ouvrière, à la lisière des cités et en dehors des beaux quartiers privilégiés de Paris, les Arabes sont considérés avec méfiance, devenus boucs émissaires des frustrations et des aliénations populaires.

L’on avance dans cet univers désolé, saccagé, où sévit une forme de barbarie. L’auteur s’éloigne de ce passé houleux (autobiographique ?), et trace profondément telle une incise sur verre les contours du faux père et de la mère, leurs angles durs de gens du peuple. Une langue hachée, coupante comme la tranche acérée du couteau (lancé contre Jean-Pierre et qui le blesse), remâchée comme la mauvaise nourriture, soude les événements sans chronologie linéaire, en une litanie saccadée, entêtante, rageuse. Ce n’est pas un peuple qui fait rêver – celui que campe Zola, altier, courageux –, mais plutôt affublé d’horribles penchants à l’iniquité, à la lâcheté envers un enfant sans défense. Les stigmates sont nombreux dans Le faux-fils : mère tuberculeuse, fille-mère, métis orphelin de père, conjoint dément et violent. Le ton est d’une grande justesse, pour qui vient d’une famille dysfonctionnelle et maltraitante. Le garçonnet se révèle un petit scribe fasciné par les ornements graphiques, lesarabesques picturales rehaussant les manuscrits colorés (une tradition du monde arabo-musulman) : un inconscient culturel, une sauvegarde contre l’ignorance du père adoptif ? Un appel venant des profondeurs de la psyché, des mots proférés à demi (le secret familial), poussent le jeune garçon à imaginer un pays « arabe », mélangé à des soldats bleus et des Indiens en Tunisie, à l’aide de quelques vieux livres de la bibliothèque verte. Au contraire du conte, le vilain petit canard ne se transformera pas en magnifique cygne, pas quand on échoue dans une cité de la rue Nationale, où tant de sévices sont perpétrés. Ni quand on naît chez les prolétaires, lesquels, en plus de la précarité des fins de mois, subissent une infamie, assignés à croupir au fond des millions de cases avec l’autoroute au-dessous de chez soi. L’unique solution sera d’y échapper à dix-sept ans.

La récurrence de la tyrannie, des abus perpétrés par la famille, n’anéantira pas les belles aptitudes intellectuelles et artistiques du frêle garçon. Cette famille (…) incohérente (…) comme tant d’autres compose le lot des pauvres figés devant le téléviseur. C’est l’atomisation de l’existence des démunis, d’où rien ne subsiste ni ne fructifie, avec au milieu, la solitude. Les non assistés endurent également la répression, celle du milieu scolaire, à l’époque parfois indifférent aux malheurs des enfants, du système policier en place, qui pénalise surtout les petits maghrébins. Le roman recouvre une partie de notre histoire contemporaine, par le biais de l’itinéraire d’un personnage qui retrouve sa véritable filiation, et renaît au monde, cette fois parmi les venus ou les descendants de l’histoire franco-algérienne (…) ces demi-autochtones en somme. J.-L. Mohand Paul raconte les fragments dispersés de l’incohérence familiale, les manquements, raccorde des dialogues, des impressions et des faits concrets en huis-clos, ce qu’il appelle une fiction accommodée.

En comparant une autre œuvre littéraire, par exemple Ma part de Gaulois de Magyd Cherfi, nous pouvons établir des parentés, à la fois avec l’assimilation et le rejet, une homothétie de deux figures de même forme – Jean-Pierre rejoindra le groupe isomorphe nord-africain – Jean-Pierre est l’immigré va-nu-pieds de la famille –, tout en étant élevé comme Magyd Cherfi au sein de l’Éducation Nationale de l’hexagone. Des réussites futures sont imaginées : Magyd y fait ses devoirs, y va être ingénieur, ainsi que pour Jean-Pierre (les plans du père) : ce qu’il faut être plus tard revient si souvent, pompier, maître d’hôtel, docteur, banquier. Ainsi, la part de Kabyle du faux-fils rejoint anthropologiquement celle du Gaulois.

Yasmina Mahdi

La Cause littéraire, 3/04/2020

Jean-Louis Mohand Paul est un professionnel du Livre. Correcteur, metteur en page, éditeur, traducteur de l’anglais et de l’ancien français, il est auteur d’un manuel de microtypographie, de plusieurs essais et romans.


« Dans Le Faux-fils, Jean-Louis restitue la vie intime de son cercle familial sans détours, les violences physiques et psychologiques subies, qu’aucun enfant ne devrait subir, qui engendrent des séquelles ad vitam æternam. Le lecteur découvre un auteur muni d’une importante érudition et d’une belle écriture…»
Fragments – Revue de littérature prolétarienne, n° 5

Caractéristiques

exemplaire

L'un des 500 ex sur Bouffant de l'édition originale

format / papier

15 x 21 cm

isbn

978-2-36426-246-1

nombre de pages

120

parution

,

Auteur

PAUL Jean-Louis Mohand

Artiste

BOURNAZEL Diane de

Collection

Contes, récits & nouvelles