Description
C’était le jour du carnaval des animaux.
Ce jour-là, les lions, le poil déjà blanchi et la tête couronnée de nuages, offraient généreusement à leurs
sujets le spectacle de leur grandeur, surveillant d’un oeil de lynx le bon déroulement de la fête.
Ce jour-là seulement, jour de chaos, les rhinocéros et leurs chemises noires étaient au placard. Mais
d’autres, obscures bêtes de somme, entrevoyaient enfin les couleurs des réjouissances qui, dès potron-minet,
se préparaient d’arrache-patte. Rats, ratons laveurs, taupes et même chevaux, auxquels collait pourtant la sale
réputation d’avoir été les meilleurs amis de l’homme, se repaissaient de couleurs. C’était l’heure bleue. Elles
avaient bourgeonné avec le printemps et éclateraient dans le chant du rossignol, en jaune, bleu, cor et piccolo,
se pavanant sur les plumes du paon jusqu’à presque mourir en indigo ; puis, comme en catimini, réanimeraient
la ville en un somptueux feu d’artifice tiré par Sa Majesté.
Même moi, j’y avais droit. D’ordinaire reclus, je rêvais à ce bain de foule bigarré, en me demandant
pourquoi tant d’espèces avaient disparu. Certes, les ennemis des lions avaient été impitoyablement massacrés.
Et la seule rescapée, cette panthère noire gardée par un chat jaune ailé au large sourire déclinait sa stupéfiante
beauté sur quelques murs où sa fourrure était mise à prix. Selon moi, un mythe.
J’étais bien décidé à cueillir ce jour…