Description
Le livre
Sur le mur blanc
un arbre cent fois dessine
la parole de la terre processions d’épopées perdues son chant a tant voyagé
il n’est plus que souffle
entre de larges étoiles d’ombre
La critique
Cécile Oumhani : « La nudité des pierres »
Avec « La nudité des pierres » , Cécile Oumhani entraîne le lecteur dans un voyage à la fois initiatique et symbolique, un voyage consacré à la quête d’un passé, d’un pays disparu. Mais celui qui se livre à une telle entreprise est-il certain, d’accéder au lieu quêté ? L’incertitude s’empare du voyageur : « Ton pas se rappelle, en un temps si lointain qu’il ne t’appartient plus tout à fait », écrit Cécile Oumhani. Au long de ces poèmes, de cette quête, reviennent les références à ce passé, cette impression d’une errance infinie. Dans une atmosphère à la fois légendaire, onirique se dessine le parcours de l’errant qu’est le poète. Le langage se charge alors d’un poids de sensations, de couleurs : « de passage en traversée / tu as partagé le sel avec les vagues / et gravé de nouveaux cercle / aux astrobales ». Le regard du poète s’élargit jusqu’à l’infini, vers ces étendues où fusionnent la terre et le cosmos mais si l’errance se poursuit n’est-ce pas à une illusoire destinée que représente ce parcours dont l’issue se dérobe au fur et à mesure qu’il s’accomplit ? « Iras-tu assoiffé de transparence / rejoindre la nuit du miroir ? » Un miroir qui, peut-être, ne réfléchit qu’une image trompeuse, apparente. Se manifestent les failles, les difficultés d’un tel retour vers un temps en miettes. Pourtant il convient de poursuivre, de se laisser porter par ses propres pas, par la « béance de la mémoire » qui ne peut livrer que quelques aspects de ce passé : « nous allons voués / aux brefs étonnements / de simples fragments ». Dans une atmosphère orientale, c’est un monde à la fois impalpable et pourtant bien réel qui est suggéré, une atmosphère que les rêves contribuent à entretenir : « nos rêves de couleur / accrochés comme des fruits / bruissent doucement / sous les feuillages ». Dans ce décor, malgré ces couleurs et la présence des éléments, la mort demeure aux aguets qui s’oppose à ce désir de conquête d’un temps révolu : « Pieds nus les pêcheurs ont quitté / leurs lits de pierres / accroupis sur le sol fané / pour cueillir la mort à pleines poignées ». Il y a, au cours de cette quête comme le souhait de voir reculer la mort ou comme l’écrit Cécile Oumhani : « honnir ces parfums de mort / et leurs relents d’étoffe ». Aussi n’est-ce pas plutôt à un désir plus tenace que l’errant aspire, lui qui demeure sensible à tous les appels de la terre, à ce qu’il contemple, le désir de « rejoindre la brèche / où se mêlent passé et présent ». « La nudité des pierres » possède le chatoiement des pierres rares et le regard de l’auteur porté à la fois sur le passé et sur un temps immatériel saisit le monde dans sa diversité, sa richesse de palettes que Cécile Oumhani sait mettre en valeur, une valeur à la fois esthétique et humaine.
(Cécile Oumhani : « La nudité des pierres », Al Manar, 15 €.)
Max Alhau, Textures
[« DÉMÊLER L’OPACITÉ DU MONDE | À L’HEURE IMMOBILE »]
« cheminer à rebours
inaugurer d’antiques présages»
Miniature.
La Nudité des pierres recèle-t-elle en son sein un univers entier, celui peint par Diane de Bournazel qui a déjà illustré les couvertures de plusieurs livres parus aux éditions Al Manar ? On distingue des formes multiples, enchâssées ou juxtaposées. Tout un monde. Par ce chemin nous entrons dans le livre de Cécile Oumhani.
Le recueil en effet s’ouvre sur un cheminement, dans « une ville du Nord », pour rejoindre un « rêve tendu de lin », la « contrée d’envol ». Un paragraphe en prose inaugure le livre. Nous sommes situés avant : sur le seuil du voyage, vers les terres australes, sous le signe du destin que le livre surprend pour « ce vœu de nudité » éclairant le titre. La nudité originelle fonde les retrouvailles avec « l’ampleur du rêve ». Marcheur (marcheuse) à l’immobilité vacillante, sensible à la seule lumière. Sommeil dont il faut s’abstraire pour qu’un rêve entamé, loin dans le temps, renoue le tissu du ciel et des temps séparés :
« Tu fis ce vœu de nudité
âpre et lumineuse »
Le tutoiement porte au chant, il incite au départ accompagné d’une lyre des songes que les « odyssées muettes » réveillent pour une remémoration bienheureuse. En elle, les origines et légendes se mêlent et s’abreuvent : rêverie où l’histoire et l’épopée se meuvent de nouveau.
Le narrateur, porteur de ces chants de quatre vents, se soumet aux indices laissés pour trace sous son pas :
« tu caresses sous ta paume
l’empreinte silencieuse
des bribes d’étoiles en guise de récit »
« En guise » car reviennent en chaque poème des bribes ou éclats. Au vent, la parole se disperse et soulève du passé ses poussières lumineuses et secrètes. En elle, les naufrages et la pierre nue des lumières qui renaissent :
« le vent a cousu à nos paupières
des sorts anciens
noués dans l’étoffe éraillée
de tribus disparues »
Tout semble perdu, nous sommes « en deuil d’une heure évanouie ». Cette perte augure des retours flamboyants, le fil d’or du récit intègre « de nouveaux cercles ». Gloire amuïe, confondue « au ciel de crêtes ». Tout renaît, sous la plume du goéland, adepte du souvenir lorsque l’alphabet ne demande qu’à faire réapparaître des mondes engloutis.
Le texte de Cécile Oumhani, peu ponctué, tend vers la fluidité du sable glissant dans les failles du temps. Rien ne l’interrompt, il se nourrit des surgissements successifs que le chant suscite. Le poète nomade, aède à la lyre figurée du ciel, lit les étoiles pour que le passé se souvienne, levant des « calligrammes », « [a]rc tendu vers l’onde ». Ce qui se courbe relie les temps, le poète lit en ces formes douces la parole oubliée.
La nudité parcourt le texte et dépose sa nécessité sur les pêcheurs « pieds nus », sur « le souffle nu des chanteurs » (ou sur « nos regards nus »…). Devenue espace possible, elle se change en condition nécessaire, cruelle parfois lorsqu’il faut entendre « le cri des oiseaux qu’on égorge », vidés de leur sang, entrailles livrées « pour cueillir la mort » ou lire, dans les traces de sang, l’immémorial assaut de la mort. Cette nudité révèle enfin les parfums, « traîne de musc » des passants, fil méditerranéen de terre et mer mêlées dans le souvenir, comme s’il s’agissait de la creuser pour qu’elle signifie enfin (« le vide s’ouvre » — « Démêler l’opacité du monde / dans l’heure immobile »).
Départ ou arrivée. Nous sommes promis à l’agonie. Égarés, soumis à la perte et voués à la célébration blanche, incomplète et flamboyante de « la nudité des pierres » où les mythes rejoignent la parole comme l’origine et la fin se confondent.
Isabelle Lévesque
D.R. Texte Isabelle Lévesque
pour Terres de femmes
Cécile Oumhani, La nudité des pierres Al Manar, 2013
C’est un livre sur le dépouillement. Sur l’ascèse d’une terre qui rappelle des contrées désertiques. C’est un livre sur l’espace. Celui que l’on s’invente, à la limite des confins.
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Tu fis ce voeu de nudité
âpre et lumineuse
tu allais à tâtons
assourdie de murmures et de chants
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Le texte s’écoule avec paix, formant un chant ancien et harmonieux, rappelant un texte sacré. C’est un livre sur le mystère, sur un ailleurs que l’on devine, auquel on accède en rêve.
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Etroite la gorge de ronces
brûlée de sel et de braises
tu t’enivres du seuil
enfiévré de mots et de pétales
collés à ta bouche
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Ira-t-on rejoindre la nuit du miroir, rejoindre ces temps anciens où les enfants devenaient rois ? Mondes anciens rappelant les mille et une nuits, où l’on pactise avec les djinns.
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Le chemin est escarpé, il reste le pas de la terre, le voyage. Cécile Oumhani chante une terre perdue, une terre d’Orient aux doigts de jasmin.
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Il est tard au café
vaincues
des silhouettes d’hommes attablés
rejoignent les fonds marins.
Valérie Canat de Chizy
Terre à ciel, Lus et approuvés, février 2014
C’est à un « tu » qui parfois se fond dans un « nous » rassembleur que s’adressent ces vers de Cécile Oumhani, des vers qui accompagnent un sujet en marche, espèce d’émigrant parcourant un monde dévasté. « La nudité des pierres », dans sa froideur inerte, interroge ainsi, à grand renfort de métaphores, nos « migrations intérieures ». Cette poésie narrative tient de l’épopée, puise à rebours parmi des « sorts anciens », des « tribus disparues », tant nous portons sur nous, « pèlerins de contrées perdues », la trace des origines. En tentant de « démêler l’opacité du monde », Cécile Oumhani ne désire rien d’autre qu’un rapprochement des voix, leur fusion même dans la perte du nom et le partage d’une errance commune qui pourrait ouvrir les horizons. « Entre les pierres ma voix se meut / nourrie de son seul chemin », écrit-elle, comme une invitation à la rejoindre. La lecture de cet ouvrage pourrait y contribuer.
ALAIN HELISSEN, CCP n° 28