Description
L’idée de la métamorphose ainsi que du passage à la Vie est au cœur de ce recueil. Parfois, les stades de la transformation s’imbriquent, se répètent, s’annulent ; d’autres fois ils s’émancipent de la chronologie. La Grande Papillon reconnaît les différents éléments qui la maintiennent. Elle éprouve et affine son pouvoir.
Delfine Guy : La Grande Papillon (Al Manar)
publié le 22 mai 2019 , par dans dechargelarevue.com
Il faut prendre au pied de la lettre le dernier vers de l’ensemble pour tenter de démêler l’écheveau du recueil : « J’abandonne ici pseudonyme et chrysalide. »
Dessin original de l’auteur, en frontispice du tirage de tête. 20 exemplaires de tête sur Arches, chacun rehaussé de 3 dessins originaux.
En effet, Delfine Guy signait auparavant Andréa Taos, c’est sous ce nom qu’apparaissait son premier opus à Polder en 2011 [1]. Cette « métamorphose » n’est pas anodine d’autant qu’elle n’en dissimule pas une autre de même taille avec l’éclosion de la Grande-Papillon, aux éditions Al Manar. On est d’un bout à l’autre quelque peu décontenancé par cette poésie singulière, doublée de dessins de la même main à la fois figuratifs et énigmatiques. L’univers que fréquente l’auteure, où les règnes minéral et animal (baleine, tortue) dominent, frappe par son aspect sauvage, cru et brut comme un retour aux origines. Il y a en effet une communion avec la nature dont on n’a guère l’habitude dans nos poésies urbaines et modernes d’aujourd’hui, et pour tout dire, on a parfois l’impression que cette poésie émane de l’esprit d’une indienne d’avant la conquête de l’Ouest, puisqu’il y est question de tipi, de papoose, et d’appellations-symboles comme « Barque-Silence », « Paupière-Close », ou « Ailes-Fêlées », sans parler du titre général… Le moteur de l’écriture est souvent la transformation, entre les mains de la tisserande entre lignes incurvées du début et lignes droites de la fin, et de la potière « qui recompose les histoires » et qui modèle mol argile en tas. Ne dit-elle pas d’elle-même dans une telle malléabilité : Je suis comme cela chante à la nature… Il y a plusieurs thèmes principaux ou titres-emblèmes : la bouche, le cheveu, les yeux, et l’importance de la femme : entre là où une femme inspire l’autre, le mythe de la vieille femme, la femme-paysage sans oublier ce passage à l’animal avec Angry Wolf et le changement en louve [2]. Enfin ce dernier titre fondateur à prendre dans tout son sens profond et philosophique : Quand le nouveau-né réclame à boire l’essence...
Le livre de Delfine Guy est si aigu dans la recherche du Grand Mystère qu’on est loin d’en avoir fait le tour, il ouvre des pistes inédites et sidère par son originalité. Je suis jarre où le ciel d’un bleu de maïs / crache une grêle de petites dents… La poésie avec elle retrouve ses fondements magiques entre métaphore et métamorphose, elle joue sur le kaléidoscope des mots où les images travestissent des matières subtiles qui changent à vue d’œil.
Delfine Guy : La Grande papillon : 17 €, aux éditions Al Manar (96, Boulevard Maurice Barrès, 92200 Neuilly-sur-Seine).
Du même auteur : Le Pont des deux sœurs. Aux editions du Petit Flou. (Le Graal / Maisons des écritures – Le Village de Blandine – 19380 Saint-Bonnet Elvert) 10€.
Lire de la même auteure les poèmes inédits : La Mansarde et le sorbier, in Décharge 170. Et aussi, sur le changement de nom Andrea Taos / Delfine Guy : Me trouver une nouvelle famille, in Décharge 163.
Dessin original de l’auteur (tirage de tête)
Le témoignage de Marie Huot
Pour avoir traversé avant vous, le livre de Delfine Guy, comme on traverse la forêt profonde ou l’orage, croyez-moi, avant de l’ouvrir, reniflez-le ! Tournez-autour, considérez cette « chose étrange » en oubliant ce que vous savez ou croyez savoir des femmes, des filles et de leurs histoires.
Car s’en est une toute autre et toute nouvelle qui va vous être contée.
Ecoutez ces quelques titres jetés ici et là :
Instinctive ligotée
Expédiée dans l’Antarctique
Reviens-nous petite sœur
Quand le nouveau-né réclame à boire l’essence
Jour de solde des poupées
Le tipi fendu…
Ces titres comme autant de portes à pousser vers l’étrange curiosité de la Grande Papillon.
Car c’est de métamorphose qu’il s’agit, d’envol et de courses, et de bien d’autres choses encore.
« Avec (ses) mains de potière (Delfine Guy) recompose les histoires ».
Femmes, filles, fillettes, sorcières, louves, petites sœurs, aïeules de poils ou de plume, c’est toute la lignée profonde, caverneuse et souterraine des femmes qu’elle nous conte ici.
La lignée de celles qui se forgent au feu d’une connaissance archaïque, contenant les savoirs de la nuit des temps, la nuit des naissances, la nuit des forêts et celle des malheurs.
Je cite :
« Les contes nous protègent
car ils ont été, avant
notre naissance
tannés par les mains qui savent
cousus de dents d’élans.
Parfois les vivres n’ont nul besoin
d’être mastiqués
je mange en rêve le savoir des anciennes
Louve en colère mais reconnaissante »
J’avais laissé, il y a maintenant des années, Delfine Guy, sur le marché Saint Sulpice, dans son « bleu de chauffe » et son autre nom (à l’époque elle signait sous le pseudonyme d’Andrea Taos), avec l’intuition que nous nous retrouverions un jour autour d’inaccoutumés territoires.
Le temps est passé.
L’an dernier la revue Décharge publiait des poèmes de Delfine Guy.
Ces poèmes m’ont immédiatement bousculée, (ce n’est pas à chaque fois que l’on a une vraie nouvelle voix à découvrir).
J’ai cherché à en savoir plus.
Qui était cette femme à voix vive et si singulière qui parlait de choses immémoriales et violentes, cette femme liée aux mythes anciens, aux arbres, aux biches et dont les poèmes semblaient parsemés de fougue, de dents et de merveilles ?
Qui était cette femme, retournée à l’intérieur de son nom comme au centre de sa chrysalide ?
La métamorphose avait eu lieu, Andrea Taos était devenue Delfine Guy , la Grande Papillon venait d’ouvrir pleinement ses ailes.
Marie Huot
Le 9 juin 2019
Dessin original de l’auteur en regard du colophon, exemplaire de tête n° 5/20.