Empreinte du visible (L’)

A partir de 25


Empreinte du visible, Marie Alloy
Empreinte du visible, Marie Alloy
Quatrième de couverture

Marie Alloy tente, dans ces notes d’atelier et de vie, d’approcher l’expérience picturale au plus intime : « Les notes se saisissent parfois d’une pensée fugitive, en balbutient le sens, l’émotion ou l’étrangeté. Elles traquent ces sortes d’insurrections mentales qui surgissent en peignant ou en gravant, pour à la fois les retenir et s’en libérer. Elles se nourrissent aussi de la nature, de la poésie et des œuvres d’autres artistes profondément aimés. Accueillir le visible et l’imprévisible, entrer en dialogue avec ses propres incertitudes de peintre. La réalité est inscrite dans la mémoire comme un humus, un réservoir de formes, un vivier. Peindre, graver ou écrire sont une manière d’en restituer l’empreinte intérieure et de suivre à la trace les mouvements incessants qui conjuguent et questionnent regard et pensée, sans proposer de réponse définitive ».

Dans le tirage de tête de ce livre, toutes les illustrations quadri de l’édition courante sont remplacées par des originaux de la main de l’artiste : chaque livre devient original.

 

Effacer

Description

Après Cette lumière qui peint le monde (L’herbe qui tremble, 2017), où elle évoquait la peinture de quelques-uns de ses peintres favoris, Marie Alloy écrit sur son propre travail dans L’empreinte du visible.

Entrons dans l’atelier, comme nous y invite la peintre sur le seuil du livre.

L’empreinte est-elle une illusion ou un révélateur ? Peindre relève-t-il les traces ineffables de ce qui nous lie au monde ou distingue-t-il quelques lignes pour que celui qui regarde les laisse à son tour exister ?

L’épigraphe de John Berger présente l’artiste comme un « récepteur », un passeur qui transmet ce qu’il a reçu dans son œuvre. Marie Alloy distingue bien ces deux temps essentiels pour le peintre, celui de la réception et celui de la création. Si elle s’efforce de capter l’instant du regard dans ses peintures, l’artiste veut aussi restituer une forme d’écho verbal au travail effectué dans l’atelier que pour nous elle « entrouvre », comme dans sa peinture apparaît souvent une brèche qui laisse passer la lumière ou la nuit dans une réversibilité énigmatique et signifiante. Quelque chose hésite, se meut sur un territoire instable et devient sans parvenir à être tout à fait. L’inatteignable ne se mesure pas, il pose une équation lumineuse que nous explorons sans la résoudre : un instant puis un autre – succession d’éclats, mesure infime du regard posé sur la succession, acceptant l’insécurité d’un mouvement perpétuel.

Les notes ici rassemblées ne sont pas présentées dans un ordre chronologique, comme le feraient un journal ou un simple carnet. Elles sont regroupées en neuf chapitres qui correspondent à différents moments du travail du peintre, ou différentes façons de l’envisager. Parfois très brèves, proches de l’aphorisme, parfois plus longues, les notes se font réflexions développées, souvenirs, récits de rêves et approchent souvent alors le poème en prose.

L’allure proverbiale est souvent démentie par la réalité exprimée, la fragilité des certitudes, l’acceptation d’être dessaisie pour que la peinture soit possible. De même, les infinitifs, sans limite temporelle, pourraient offrir l’éternité, ils lui substituent une valeur modale teintée de doute, tout est tenté :

« Peindre, préserver la clarté de l’énigme.

Accueillir l’apparition. »

Des impressions d’enfance ont laissé une empreinte devenue pour l’adulte une matière onirique, vivier du trait et de la couleur :

« Campanules. Le bleu de quelques fleurs d’enfance, clochettes habitées d’un cœur. Fragilité presque suppliante qu’on ne les cueille pas. Une sorte de bénédiction poussée de la terre. »

Peintre et poète vivent sur le seuil qui fait passer du pays d’ici à un arrière-pays d’enfance, de rêves, de mémoire, de pensées et d’intuitions parfois sans mots. Si leurs arts révèlent un point commun fort, c’est celui de ce que Pierre Dhainaut appelle l’art du passage (L’herbe qui tremble, 2017). Yves Bonnefoy lui aussi invite à rapprocher poème et tableau : « Ce sera lui le creuset où l’arrière-pays, s’étant dissipé, se reforme, où l’ici vacant cristallise. Et où quelques mots pour finir brilleront peut-être, qui, bien que simples et transparents comme le rien du langage, seront pourtant tout, et réels. »Mais, bien sûr, quand il s’agit de la lumière de la peinture, « c’est au-delà des mots qu’elle fait fleurir » (L’Arrière-pays – Gallimard, 2003).

La forme des notes discontinues, séparées par un astérisque, mais assemblées dans des chapitres thématiques, permet à la pensée de ne pas se concentrer sur un point mais de se livrer à la liberté des impressions. L’empreinte chaque fois détermine une trace (le texte, la peinture, la gravure) figurant un instant.

Dans certains poèmes en prose, comme pour les peintures, on peut « [d]eviner ou reconnaître […] un visage ou un jardin ». Tout est devant nous inachevé, la promesse d’un regard pourrait suffire à proposer une forme complète, elle variera chaque fois. Œuvre ouverte, œuvre offerte, elle est inépuisable et modestement soumise à qui la regarde, spectateur invité à y tracer son propre inachèvement.

Isabelle Lévesque
Europe, mai 2018, n°1069.

 

L’empreinte du visible, Notes d’atelier

Les éditions Al Manar publient les notes d’atelier de l’artiste Marie Alloy dans la collection La Parole peinte. Rassemblées sous le titre, L’empreinte du visible, ces notes sont des « instants du regard ». Le livre contient 27 reproductions de peintures et gravures, certaines en pleine double page, ce qui permet une lecture accompagnée de créations à regarder et à méditer. Au-delà du questionnement sur l’acte de peindre lui-même, le livre est guidé par les pensées et surtout le « regard » qui accompagnent le geste. Ce qui frappe en lisant ce livre, c’est la proximité entre la peinture et la poésie. Regard et émotion du peintre et du poète se rejoignent. Marie Alloy est peintre certes mais écrit également de la poésie, ce livre en est la preuve. Elle reste humble néanmoins : « comme j’écris un poème chaque matin, cela ne fait pas de moi peintre ou poète. Juste quelqu’un qui cherche à voir, à dire, à approcher ce qui ne se laisse pas saisir. »

*

Réflexions sur le temps, lenteur de peindre, d’observer les choses, la nature, les couleurs, la lumière, les saisons. Notes parfois courtes, proches de la fulgurance, pensées effleurant et qu’on ne laisse échapper, parfois longues où pensées se développent. Peindre ou écrire un poème relève de l’imperceptible, de ce que l’on voudrait approcher. C’est chercher à atteindre « une forme de beauté ». On peint « sans savoir où cela va, comme pour un poème ». Ce titre L’empreinte du visible, comme pour laisser trace, immortaliser ce qui est visible, ce que l’œil voit. Mais cela peut aussi bien être « un sentiment intérieur » ou une manière de « regarder autrement ».

« L’acte de peindre est une traversée, non des apparences, mais d’un plus vaste que soi qui contient le monde, les autres, le présent, le passé, mais aussi les besoins de l’âme. »

(tirage de tête, l’un des 25 originaux)

« Regarder est le travail du peintre » écrit Marie Alloy, le peintre serait « celui qui n’a pas les mots ». Et pourtant, les pensées de Marie Alloy révèlent que ce que voit le peintre, le poète peut le voir aussi. Et inversement. Le peintre se perd, contemple, remarque chaque détail. Le peintre « aime peindre les fleurs de la lumière », le geste du pinceau « appelle, en silence, le ciel du poème ». Et se pose cette question « où habiter entre la peinture et le poème ? »

« J’aimerais tenir un journal de la lumière », cette lumière qui nous frappe dans les toiles de Marie Alloy. Ces percées de lumière. Et avec la peinture, le passé, l’enfance, qui reviennent, comme souvent avec l’écriture. « Peindre des lieux remémorés au hasard des empreintes ».

Toutefois, peinture, poésie sont bien deux arts différents selon Marie Alloy : « le poème est parfois une forme de retombée du vécu ; la peinture est davantage en amont – plus irréelle avant d’être. Du moins, je le sens ainsi, ce n’est qu’une affirmation ». « On ne pourra jamais troquer la peinture contre des mots. »

Cécile Guivarch, in « Terre à ciel »

L’empreinte du visible, Marie Alloy

Ecrit par Carole Darricarrère 04.07.18 dans La Une LivresLes LivresCritiquesArts

L’empreinte du visible, éditions Al Manar, 2017, 148 pages, 25 €

Ecrivain(s): Marie Alloy

L’empreinte du visible, Marie Alloy

 

« La peinture ne peut être ni actuelle ni inactuelle (…) inutile de vouloir situer sa propre recherche en fonction de la période contemporaine car le geste artistique précède la conscience temporelle et la dépasse par la force de sa propre nécessité ».

Marie Alloy est artiste peintre, graveur, essayiste, éditrice de poésie et de livres d’artistes, et une gardienne des quatre éléments en partage de rencontres qui « rêve de peindre des poèmes » et peint « de l’intérieur vers l’intérieur ». Elle participe de cette part souveraine qui roule inlassablement sa pierre de silence en direction du feu créateur, acte revivifiant du chaos de l’harmonie, rayon serviteur de l’ordre alchimique d’un univers-monde. En exergue, une citation de John Berger donne le ton du livre : « L’illusion moderne concernant la peinture, c’est que l’artiste est un créateur. Il est plutôt un récepteur. La création est l’acte par lequel il donne forme à ce qu’il a reçu ».

Je procède souvent ainsi, un livre est là, refermé de desserte en desserte, infusant-diffusant ce qui l’a fondé, je le lis d’abord à distance, à livre clos, par imposition de regard. Je n’ai jamais rencontré Marie mais j’ai la sensation de la connaître depuis toujours, le sentiment d’une parentèle, d’une connivence poétique. Ce livre d’empreintes et de mues je sais déjà que je vais le lire avec ma peau de lézard, mon corps de becs, mon pelage de serpent à sonnettes, mon grelot d’elfe magicien, mes éclaircies de fissures dans la voix, mon parfum sortilège de pierre de meulière après la pluie, mes chaussettes de picots de laine vierge, mes bois de cerf, mon panier de fraises, mon pipeau : l’été de préférence dans le sac ou dans le pré, l’hiver au coin de l’âtre. Je vais le lire aussi avec la vocation contrariée de mes mains.

Marie peint. Marie écrit. Marie crée. Au doigt et à la plume écrit et peint comme l’on écoute et se tait. Virtuellement Marie neige en vertus de flocons sur la toile. Elle témoigne de l’invisible dans l’écrin de la visibilité. Tient sa patience de l’élan du chat. Ramène dans ses robes nues de grandes chutes de beiges et des habits bleus comme d’autres gerbes de simples ou berges de blés. « Attendre la peinture est déjà peindre » résonne avec attendre de lire c’est déjà lire. J’ajouterai qu’écrire est chez elle un geste de peintre, calligraphie spontanée d’une émulsion de blanc de zinc, pages de clarté en pensivité d’une toile intitulée par hasard : Plage de clarté.Peindre ce qui la fixe de loin « dans l’angle mort du regard », dire le blanc qui vaque entre deux contours, adjoindre la parole sensorielle au geste pictural. Écrire et peindre « aux lisières du silence », dans cette qualité intacte de regard de l’enfant né, paupières closes à mi-chemin du souvenir des rives que l’on quitte et de l’éblouissement à venir, l’ombre portée de l’illisibilité sur le voir félin du dos de la vue, laissant ouverte la question du réel. Écrire sur le geste de peindre avec le moins de complaisance possible : « Je regarde, et j’ai la sensation que c’est la peinture qui m’éclaire (…) », une peinture « qui embrasse l’absence » au même titre que l’écriture, une écriture au service de l’art. « Passé la frontière (…) le vide enfin », tel l’aboutissement de journées entières, cet aveu alors de « ce besoin irrépressible d’une couleur orange ». Une question demeure : « De quel amour secret le tableau (le poème ?) porte-t-il le fruit ? ».

Dans cette vacance de peindre s’inscrit le regard en filigrane de l’écrivant, son ruissellement imprévisible validant le cheminement, son avantage de plume à passer la main, son présent de racines à qui voit le jour ;apercevoir, entre les persiennes à lamelles, dans les virages de la vue, un chemin de veille qui vaque ; voir enfintout le champ du possible d’un lieu de ronces que l’on n’avait jamais fait qu’ignorer de dos ; traverser de face jusque-là sans mièvrerie l’immense cécité à l’aplomb du sommeil de la vue sans jamais « fatiguer le tableau, règle essentielle » : « Les tableaux, comme les êtres, doivent être libres en eux-mêmes et laisser libres. Nécessité vitale ». Tout ce qui s’applique ici à la peinture pourrait s’appliquer au poème, « si loin aller, vers si peu d’espace et de réponses durables (…) entre deux toiles, toute les toiles possibles (…) puis, chemin faisant, comme le jour se lève ou comme s’écrit un poème, l’une d’entre elles naît, se défroisse et vit ».

Beau livre de textes de confidences et de textures, hommage à la couleur libre fourmillant de références, en neuf chapitres à (s’)offrir, disponible également en vingt exemplaires de tête rehaussés de dessins et de peintures numérotés et signés par Marie Alloy, considérer cet objet livresque comme un tableau, une toile impressionniste exécutée patiemment à la palette, un rouleau de peintre déroulant ses pensées tentaculaires comme autant de questions ouvertes, un rêve de la peinture elle-même séchant à voix haute, haut lieu de sources, de croisements et de mirages, le contraire d’un lieu mental ces inflexions de l’invisible sur l’effacement lent d’un noyau de matières, un herbier de sagesse, l’anémone flottante d’une suspension de radicelles ou un manuel d’éclaircies à l’adresse de malvoyants, socle à lire à regarder et à relire dans un cycle sans fin de partages être avec, en se souvenant que « c’est du cœur que provient ce chant de toile, fragile et nu », et qu’un livre, à l’égal d’un tableau, « est un état ou une étape, jamais une arrivée ».

« Toute gloire d’atteindre la véritable peinture s’en est allée rejoindre le ciel, en exil parmi les hommes qui ne la regardent plus ».

Carole Darricarrère, La cause littéraire

 

Caractéristiques

exemplaire

courant, de tête

isbn

978-2-36426-209-6

parution

format / papier

22 x 16 cm

Auteur

ALLOY Marie

Artiste

ALLOY Marie

Collection

Bibliophilie

La Parole peinte