Description
« Je pense à William Levinski, mais aussi à Louis Montoyo, les fers de lance de mon enfance solaire, les héros de ma patrie évanouie. L’un derrière les barreaux, l’autre porté disparu à l’âge de douze ans. Quelle négligence, quels poètes ! La place qu’ils occupent dans mon cœur est restée vacante.
Hormis quelques femmes, jamais un homme n’a siégé à leurs côtés. Mon cœur est comme ça. Les femmes et ces deux vieux copains d’abord. Dans le train, je siffle toutes les canettes qui me restent. Je descends ivre mort dans un bled inconnu. Je titube à moitié en chantant l’air de Long John Silver, comme autrefois, à la sortie de l’école, avec Levinski et Montoyo.
Ils étaient quinze matelots sur le coffre du mort, quinze loups, quinze matelots, hi ho ho, hi, ho, ho, qui voulaient la bouteille.
Une patrouille de police m’interpelle en me demandant mes papiers. Le ton monte. Ils m’embarquent pour vagabondage et ivresse sur la voie publique. Je me retrouve au poste. J’aime autant mieux comme ça. Au moins un dimanche qui a de la gueule.
C’est bien connu, le dimanche, les enfants s’ennuient. »
Romancier de la dérision, Fabien Sanchez évoque ici avec mordant, et une efficacité à laquelle nous ont familiarisés les écrivains américains, des destins brisés par la vie, et d’autres, adolescents mais déjà voués à l’échec, dans leurs faux-semblants et leurs vraies angoisses.
La critique
Frédéric Schiffter :
« Je venais à peine de terminer le roman de Jean Le Gall, que je recevais les Jours de gloire (Al Manar) de Fabien Sanchez, un recueil de nouvelles enfilées comme des perles gris sombre sur la ficelle effilochée du temps. En dehors de l’écriture romanesque, Fabien Sanchez s’essaye à celle de scénarios. Il a raison. Toutes ses histoires racontent comment de jeunes hommes captifs de leur enfance peu glorieuse voient leurs rêves se fendre puis se briser et chacune se lit comme si on visionnait un drame, parfois tragique, sous la forme d’un «court». Un style efficace et poétique. Fabien Sanchez c’est du très bon. »
Joël Glaziou :
Jours de gloire, Fabien Sanchez, Al Manar, 130 pages, 19 €
Dans les nouvelles de F. Sanchez, il y a de jeunes hommes qui se racontent des histoires, qui rêvent de vivre leur vie auprès de femmes superbes… mais qui finalement restent à jamais prisonniers de leur enfance.
Ainsi Willam Levinski, personnage qui traverse plusieurs nouvelles, héros d’une « enfance solaire » et d’une « patrie évanouie » rêve de femmes et de « grande évasion » alors qu’il se trouve derrière les barreaux !
Chez eux, mensonges et mythomanies sont une seconde nature : Nourredine n’a pas rencontré Susan Sarandon, l’actrice américaine de Thelma et Louise ;Stan Levinski n’a pas rencontré Lou Reed et n’a pas joué aux échecs avec Marlon Brando !
Multipliant fiascos et échecs, les personnages vivent par procuration : l’un « imite Marlon Brando dans Un tramway nommé désir » (p. 110), l’autre, Nourredine, « ressemble à Humphrey Bogart » (p. 7).
Car dans les nouvelles de F. Sanchez, les références cinématographiques (W. Allen, J.-J. Beineix, L. Malle…) et littéraires (Bukowski, A. Cossery, J. Valles,V. Woolf…) sont nombreuses et variées. Plus qu’une citation ou un simple clin d’œil, elles sont souvent à l’origine même de la narration. Ainsi dans « Manderley » c’est avec la phrase inaugurale de « Rebecca », le célèbre roman de Daphné du Maurier : « J’ai rêvé l’autre jour que je retournai à Manderley » que le personnage semble trouver « son point d’ancrage » (p. 83).
Huit nouvelles de dérision dignes de la grande tradition américaine ; huit nouvelles qui ouvrent aussi à chaque page sur d’autres horizons littéraires et cinématographiques.
(Notons que deux nouvelles de ce recueil : « Play it again » et « Sa majesté des guêpes » ont été publiées dans Harfang N° 38 & 44)