Description
La critique
CULTURES
Le Journal de Saint-Denis
Benoît Lagarrigue
Gens de Damas, de Nathalie Bontemps
Nathalie Bontemps a vécu huit ans, de 2003 à 2011, à Damas. Dès 2005, elle commence à écrire sur la ville et ses habitants, « pour renouveler mon rapport au lieu et aux gens », dit-elle. Elle va dans les différents quartiers de la capitale syrienne, rencontre des hommes et des femmes, rend compte de leurs vies, de la banlieue de Jaramana au camp palestinien de Yarmouk en passant par le quartier kurde ou l’ancienne cité. Rentrée en France, depuis Saint-Denis où elle vit, elle n’a jamais oublié ce qu’elle a vécu là-bas. Aujourd’hui paraît son livre, Gens de Damas, aux éditions Al Manar, qu’elle présente à Folies d’encre vendredi 14 octobre à 19 h. De sa belle écriture aux accents poétiques, sous forme de petites nouvelles ou récits, elle livre ces instantanés de vies qui éclosent malgré la dureté du régime avant d’être meurtries par la guerre. On y suit divers personnages, comme la femme engagée, qui se fond dans la foule pour communier avec elle, ces quartiers fermés où, « pour entrer, il faut déjà être entré », ce Kurde qui traduit Dostoïevski le lundi et vend des chaussettes devant la mosquée le mardi, ces femmes résistantes, prises d’angoisse mais qui vont aux manifestation du vendredi soir, pour lutter contre un régime qui, « quand les enfants jouent à la révolution dans la cour de l’école, les met dans des vraies prisons »…
Le dernier chapitre du livre, « 2013 se termine », écrit à Saint-Denis, aurait pu s’intituler » Que sont-ils devenus ? » « Les photos des amis prisonniers, disparus, décédés, sont toujours joyeuses, prises un jour d’été dans la nature », écrit Nathalie Bontemps. La femmes engagée, palestinienne, perd une deuxième fois son pays. L’auteure se souvient d’un temps où « la gaîté était si vive qu’elle prenait des allures subversives ». De là-bas, on lui crie : « Comme Damas me manque ! Pourtant j’y suis toujours ! » L’exil absolu.
Europe
Cécile Oumhani
Moments de la vie de tous les jours, portraits saisis sur le vif, Nathalie Bontemps met ici en scène la ville de Damas et ses habitants. Elle y a vécu de 2003 à la fin de l’année 2011. Le livre reflète des lieux, quartiers et faubourgs, nommés en têtes de chapitres, Jaramana, Rukn al-Dine ou encore Mouhajerine. La révolution syrienne apparaît dans les deux dernières parties, Vendredi matin et 2013 se termine. Comme le souligne l’auteure, dans son avant-propos, la ville devient ici un personnage à part entière, en même temps que ses habitants. C’est Damas qui est écrite ici, avec ses paysages et une cartographie étroitement liée à l’histoire récente et moins récente, aux personnes qui la font, réfugiés irakiens ou palestiniens. L’éclatement en courts récits, qui ressemblent parfois à des instantanés rend bien la multiplicité d’un espace où se croisent des populations variées. Femme dans son salon vide qui s’installe pour fumer un narguilé, jeune homme flottant dans un nuage d’arak, déambulations d’un rouquin depuis une rue bondée vers les restes d’un verger, certains réapparaissent plus tard, d’autres pas. Certains sont nommés comme Nour ou Ustaz Nassim, d’autres pas, comme « la femme engagée », qui tient plus que tout à avoir une maison à elle, son rêve depuis sa sortie de prison, qu’elle construit parpaing par parpaing, pièce par pièce. Mariage, sortie en famille ou trajet dans un microbus, les moments s’égrènent, au gré d’un quotidien aussi hétéroclite que le tissu urbain qui se développe de manière effrénée. Le poète palestinien sans papiers écrit des haïkus sur son téléphone portable. Le calligraphe, assis à sa table, contemple un tronc d’arbre coupé et rêve au mausolée de son grand-père. A travers la multiplication des récits et des personnes, l’auteur évoque avec force les étendues d’un espace, en même temps que ses strates, étages superposés ou géographie d’une ville cernée de hauteurs. Les cahots des minibus et des microbus ponctuent les traversées de lieux contigus, d’une histoire à une autre, dans l’Orient cosmopolite qui est celui de Damas. Le lecteur suit ces gens, entrevus au fil des pages, suspendu à la chronologie d’événements où il sait qu’ils seront emportés dans la tourmente. Il sait en lisant que tous ces gens dansent au bord du vide, où Vendredi matin les plonge, car c’est chaque vendredi matin, après la prière, que commençaient les manifestations, partout dans le pays. L’auteure saisit l’onde de choc d’une révolution qui bouleverse les rapports humains, depuis ce qui se passe à l’intérieur d’un taxi, jusqu’à cette fausse promenade où un homme et une femme doivent se transformer en couple d’amoureux pour échapper à la répression. Une jeune femme atteinte d’une grave maladie traverse la ville pour se rendre dans l’un des quartiers de « condoléances permanentes » et « d’enterrements permanents. » Un simple d’esprit écoute le minaret égrener la longue liste des morts du jour, comme si l’on annonçait l’entrée de nouveaux arrivants dans une salle de réception. Nathalie Bontemps évoque avec une sobriété aussi pudique que puissante la tragédie qui a fracassé et continue de fracasser les vies et les aspirations de tout un peuple. Des balles de ping-pong inscrites du mot liberté dégringolent les flancs de la colline de Qassioun, lancées par les opposants, incarnant la beauté poignante d’un rêve écrasé de manière effroyable par le régime.
Première rencontre avec le public autour de « Gens de Damas » : librairie Folies d’encre, 93100 Saint-Denis. Modérateur : Nisrine Al Zahre ; lecture Laure Marie Legay.