Étant donné

A partir de 20


Quatrième de couverture

LE nouveau recueil de poèmes de Jean-Pierre Chambon  — accompagné cette fois par Philippe Cognée. Nombreuses illustrations ; le tirage de tête est rehaussé de deux aquarelles originales de Ph. Cognée.

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Description

|Le vieux palmier|

 

Dans un même alignement le long de la rue

et en contraste avec le paysage de banlieue

qui les cerne de ses immeubles cafardeux

il y a toujours ces cinq à six maisons étroites

à deux étages qui prolongent une époque

apparemment encline à un peu plus de fantaisie

dans la courette de l’une d’elles se dresse encore

un vieux palmier étique étirant crânement son cou

jusque vers la pointe des toits de tuiles

entre lesquels les montagnes intercalent

leurs pics enneigés dans un hiver qui tarde

pourtant à se faire vraiment sentir dans la plaine

 

LE TIRAGE DE TÊTE

30 exemplaires tirés sur BFK Rives, sous emboitage, comprenant la série des illustrations ET deux aquarelles originales de la main de Philippe Cognée.

 

 

page de titre & frontispice, ex 1/30

 

deuxième aquarelle originale, ex. 1/30

 

 

LA CRITIQUE

Jean-Pierre Chambon, Étant donné par Lionel Bourg

Sitaudis, 17/07/2024

Des nuages, lourds, opaques.

Des vieilles gens occupés à ravauder leurs songes.

Des feuilles qui tremblent comme les paupières d’un enfant privé de sommeil. Des minutes soyeuses. Du sable égrené dans la nuit quand on ne parvient pas à s’endormir. L’eau tranquille d’un lac. Rien. Ou si peu. Des minutes infiniment mélancoliques toutefois et qui s’offrent au veilleur penché sur un carnet tandis que l’ombre tamise l’étroite lumière tombée d’un rêve inassouvi…

Il y a tout cela, bien sûr, dans les vers de Jean-Pierre Chambon. Tant de tendresse inquiète, de gouttes de pluie ou de flocons de neige au sein de leurs propres ténèbres, des magnolias, une fleur de giroflée « surgie d’un interstice du carrelage » dans la cuisine, chaque part de soi, chaque moment de vie comme la plus légère boursouflure du réel  ressemblant aux lézardes qui scarifient le champ des significations : une marche de pierre descellée, une toile d’araignée dont les fils noués retiennent les fantômes auxquels on a confié depuis toujours quelques lambeaux d’imaginaire.

Étant donné, donc.

Le bruit d’un tramway. Des bouts de papier. Une sorte d’engourdissement. De qui-vive pourtant. L’attention minutieuse dont Chambon fait preuve avec une douceur lancinante au fil des pages de ce très beau recueil, l’un de ceux, rares, que l’on gardera longtemps à portée de main au chevet de ses insomnies.

Justesse des rythmes. Des images.

L’échancrure du temps où passent des étoiles, un oiseau, la lueur du soleil matinal qui pigmente petit à petit la tapisserie de la chambre, si bien que l’on se lève, pousse les battants de cette fenêtre que l’on n’osait ouvrir, la mort même hésitant avant de se figer « dans la stupeur d’un instant éternel ». Jean-Pierre Chambon en saisit la présence éphémère avec une extrême délicatesse. Perle de sang rosie par la clarté naissante, plumes dispersées au vent, tuiles, lichen, pas familiers d’un père sur un chemin ou sourire d’une mère, l’auteur progresse ainsi « entre un présent criblé d’oubli / et la permanence vacillante d’un avenir », de grands peupliers s’inclinant au bord de la rivière qu’il regarde lentement couler. On s’assoupirait sur la berge. Embrasserait l’écorce d’un saule. Heureux, peut-être, malgré ou à cause de l’agonie doucereuse d’un monde où l’on se promène volontiers, même las, même triste, léger soudain parmi les choses qui demeurent à jamais en partage.

 

Le commentaire de sitaudis.fr

Aquarelles de Philippe Cognée
Éditions Al Manar 2024
120 p.
20 €


La geste du ricochet poétique

par Angèle Paoli

 

Étant donné……. la multiplicité des scènes et tableaux, circonstances et signes, traces et empreintes, qui peuplent la mémoire du poète, il n’est pas possible de proposer une suite unique à cette expression, laquelle ouvre sur la multitude des propositions éventualités rencontres et poèmes qui constituent le dernier recueil de Jean-Pierre Chambon. À chacun de nous, lecteur ou lectrice, de poursuivre à sa guise ou/et de prolonger à l’infini par sa propre rêverie le suspens amorcé par la locution prépositionnelle du titre. Étant donné.

Composée de poèmes brefs introduits par un titre qui en synthétise l’objet et capte le regard, la liste des objets et situations pris dans les rets de la sensibilité du poète n’est sans doute pas close. Mais elle donne une idée de ce que sont les mille et un éclats, pépites de pensées, divagations imaginations et rêveries du poète. Les mots de Françoise Ascal, proposés en exergue par le poète, en sont un excellent résumé. Ils définissent dans le même temps l’état d’esprit ou la position exacte de la lectrice que je suis :
« Entrer dans un espace suspendu, juste là,
derrière la main qui écrit, à portée du souffle.»

Dès lors, tout un arrière-pays mental émerge à portée de regard, qui dessine ses contours. Et fait émerger ses paysages. Lesquels sont accompagnés des aquarelles de Philippe Cognée qui décline fenêtres et chevelures, rideaux et vagues, sous-bois peuplés de silhouettes animales graciles, le tout dans des dominantes arborées de verts et de bruns, de bleus et de noirs. Aux aquarelles de Philippe Cognée j’associe volontiers de manière totalement subjective – sans doute à cause du « bruit rose » et de la « vapeur verte» – les derniers vers du poème I Jouvence I :

« dans ce lit d’eau glacée et vivifiante
qui semble s’épancher d’une source
d’éternelle jouvence et de joie pure
pour aller disperser dans la pente
son bruit rose sous la vapeur verte
exhalée de l’ombre des frondaisons »

Le regard du poète est un regard d’observateur minutieux qui se saisit et se penche sur tout ce qui survient à sa portée. Souvent derrière la vitre d’un train, une fenêtre ou à travers un feuillage. Le ciel et la lumière, les miroirs et les reflets d’eau, nimbent les objets, les modifient, les entraînent ailleurs ; les bruits surgissent, comme un fond sonore inédit, rumeurs des villes et des champs, cris d’oiseaux et feulements de bêtes, qui peuplent les poèmes, décors et choses, moments privilégiés. Les images et les mots qui les génèrent sont d’une richesse inépuisable et d’une inépuisable beauté. Le rêveur, souvent mélancolique, se laisse happer, hypnotisé par ses pensées vagabondes.

« Dans une trouée entre des saules
dont la rousseur infuse l’eau
deux canards de leur sillage
décomposent en paillettes d’or
l’étincellement de la lumière… » I Au fil de l’eau I

Ce qui fascine dans ces poèmes, c’est leur facture. Et donc leur déroulement. Brèves mais tout d’une pièce, les scènes se déroulent d’un seul tenant sans aucune ponctuation. À partir d’une amorce temporelle ou spatiale, parfois par le biais de personnes entrant en action, elles se déploient grâce à un enchaînement discret, quasi imperceptible si l’on n’y prend garde, participes présents et subordonnées infléchissent subtilement le parcours. Jusqu’ à ce que survienne une première modification puis une seconde ainsi de suite jusqu’au dénouement ou à la chute. Ou au contraire, au rétablissement du point initial. Ainsi le poète, tout en observant la scène de l’enfant au ricochet, adopte-t-il dans son écriture, la geste du ricochet poétique. Ou comment, à partir de l’impact d’une image qui se répercute sur une autre et rebondit sur une troisième, la phrase se modifie-t-elle, modifiant à son tour l’esprit du poème. Du sourire de l’eau au rictus du crapaud, « sa ritournelle sardonique ».

Jouant sur les contrastes et les oppositions – temporelles, césure, choc brutal dans la durée, des identités, verticalité/horizontalité, heurt des forces contraires, passage du vaste au minuscule ou l’inverse, de l’individu à l’humanité – le poète joue aussi avec les variations de focales. Muni de sa lunette télescopique, il zoome sur le ciel et sur l’espace pour retomber, à travers le regard filtrant qui est le sien sur le détail des « herbes froissées » et du « papillon bleu ». Du plan d’ensemble à l’insert. Mais aussi dans le mouvement inverse. Il arrive qu’à partir d’une couleur dominante – la rousseur par exemple – laquelle fait le lien entre une « jeune femme » et son chien, entraîne un élargissement de la vision jusqu’à « une madone de Cranach », puis soudain, par resserrement de focale, la scène revienne à la similitude initiale qui a engendré la vision. Dans sa perfection, ce tableau – dont le poète se trouve être un acteur involontaire et discret – n’est pas sans évoquer le très beau poème de Baudelaire, « À une passante ».

Chacun des poèmes de ce recueil est un bijou minutieusement ciselé alors même que les scènes présentées par le regard du poète sont très souvent empruntées à des situations quotidiennes. Le plus souvent transfigurées par l’âme vagabonde du poète, son sens aigu des correspondances, sa grande sensibilité et son goût artiste. Ainsi, par la structure même du poème – déroulement enroulement – le phrasé du poème entraîne-t-il le poète dans un univers mouvant, en perpétuelle transformation, mais aussi bien la lectrice qui se laisse porter jusqu’à perdre le fil, comme le poète lui-même qui l’accompagne au gré des vers et des images, non seulement de sa lecture mais d’elle-même, difractée et éblouie.

Parmi les poèmes de ce recueil, il en est un dans lequel Jean-Pierre Chambon donne sa définition du poème, précise quel est l’objet de son travail et définit son écriture. Et résume ma pensée.  Le voici, pour vous, lectrices futures et lecteurs de ce recueil admirable :

« Bribes de menus événements relégués
dans l’enchaînement des circonstances
et dont la rêverie a rogné les contours
choses vues d’apparence dérisoire
mémorisées on ne sait trop pourquoi
impressions jamais vraiment stabilisées
usées par tant de retours à la conscience
qu’il n’en persiste que l’empreinte fossile
c’est de ces traces d’images gardées
suffisamment vivaces et rayonnantes
que le poème souhaite transfuser
dans les mots la lumière résiduelle
et rendre à la langue la saveur évanouie
par le tournoiement tourmenté de sa phrase
et le cliquètement sec de ses syllabes » in I Le poème I

Angèle Paoli, in Terre de femmes, octobre 2024


Étant donné, Entretien avec Jean-Pierre Chambon par Isabelle Lévesque

 

 
Isabelle Lévesque : Étant donné  : Comment comprendre le titre de ton nouveau recueil de poésie ? S’agit-il d’une simple préposition (ou locution prépositive) annonçant le début d’un raisonnement, débouchant sur quelle conclusion ? Ou doit-on lire, plus philosophiquement chaque mot pour lui-même ? (Le dictionnaire de philosophie nous indique d’une part que l’« étant » désigne « l’être particulier, par opposition à l’Être » et que, d’autre part, ce qui est « donné » est « posé comme existant originaire et indubitable ».)

Jean-Pierre Chambon : Ce titre, Étant donné, se réfère à la fameuse préposition, mais qui, laissée seule et nue, n’introduisant aucun élément, ouvre ainsi sur l’infinité des circonstances. Car le livre ici a pour projet d’accueillir tout ce qui est donné, et il nous est tant donné pour peu que l’on y prête attention. Tout, micro-événement, bribe de pensée déjà gagnée par la divagation, souvenir remonté à la conscience à travers le tamis de la mémoire et son miroir déformant, observation ou rêverie, tout étant donné dans le seul enthousiasme de l’écriture, sans tri, sans hiérarchie, dans l’humeur du jour et le désordre de la vie. Le don de chaque jour en somme, même s’il n’est pas toujours un cadeau.
Si l’on veut lire les deux mots du titre d’après les définitions philosophiques que tu rapportes, comme ton questionnement le propose aussi, on peut être autorisé à se demander si l’Être majuscule existe vraiment, sauf idéalement, puisque tout change, s’il n’y aurait pas que du devenir, des modalités ou des manières d’être, des étants en résumé. Et, par ailleurs, concernant ce qui est donné et « posé comme existant », je crois qu’il est plus sage de lui accorder une pointe de doute.

I.L. : Le livre s’ouvre sur une giroflée offrant « l’expression de sa pure joie de vivre » menacée « par le vent de novembre » après l’avoir été par ta main. Dans quels « interstices » le poème pousse-t-il ? Qu’est-ce qui le menace ?

J.-P.Ch. : Ces poèmes sont nés de réminiscences plus ou moins lointaines, extraites des interstices du vécu et de la mémoire. Ils sont nés de presque rien, une sensation, une image, un moment retenu et on ne sait trop pourquoi revivifié. Dans le profond dépôt des impressions, parmi celles qui ont persisté, quelques-unes se réactivent mentalement, avec plus ou moins d’insistance, et appellent alors les mots qui, en tentant de les traduire, pourraient en transmettre la teneur sur le plan verbal. L’écriture qui les retrace les déborde, alors est suggéré un prolongement inattendu qui fait glisser le sens vers une autre direction. Quelquefois, l’image première qui a servi d’appel au poème se teinte d’une part d’imaginaire. Ces poèmes sont faits en quelque sorte de petits coups de pinceau qui veulent saisir une vibration, mais jamais trop appuyés car il faut veiller à garder une certaine légèreté.

I.L. :
« J’adore
les morts-vivants
m’a répondu
tout à trac
en me dévisageant
de ses grands yeux
étincelants
la petite fille » p.10

Après la « petite giroflée », voici une petite fille qui déstabilise l’adulte. C’est une nouvelle surprise qui brouille les frontières entre réel et irréel présumé. Quels rapports entretient l’univers d’Étant donné avec celui des « morts-vivants », fantômes et autres monstres adorés par cette petite fille ?

J.-P.Ch. : Dans ce poème, en l’occurence, c’est le narrateur qui se trouve inopinément renvoyé à un statut de mort-vivant par l’innocente malice de la réponse de l’enfant. Il y a bien quelques fantômes qui viennent de-ci de-là hanter le recueil. Des présences évanouies que l’écriture réveille, car on sait que les morts continuent de vivre en nous. Mais le poème, parce qu’il prend en charge ce qui revient à la conscience, ne peut-il pas en lui-même être considéré comme un fantôme, un revenant ? À moins qu’il soit un ange, l’ange de la présence.

I.L. : Dans le troisième poème, le narrateur évoque son présent tel qu’il l’imaginait lorsque ce n’était qu’un futur lointain, « le gouffre sans fond de l’avenir ». Comment le poème transforme-t-il le temps en espace à explorer, entre gouffre du passé et gouffre de l’avenir ? Si la peur, ou l’appréhension, est présente, ne serait-ce pas une manière de la transcender ?

J.-P.Ch. : Si nous transposons le temps en espace, c’est peut-être pour pouvoir l’appréhender plus aisément : il reste fuyant, insaisissable, tandis que l’espace paraît plus tangible, avec des profondeurs que l’œil peut évaluer. Dans ce poème, s’opère une sorte de dédoublement : le narrateur se revoit encore jeune s’interrogeant sur son avenir dont il ne devine aucun trait, quand l’angle de la chambre en offrant un support matériel à sa spéculation abstraite formait pour lui la pointe d’une flèche s’enfonçant dans l’inconnu… Y a-t-il une destinée, et que serait-elle ? Telle est en substance la question qu’il se posait alors le soir avant de s’endormir. Dans cette rétrospection, il peut, devenu adulte, mesurer l’écart qui le sépare de sa jeunesse et en quoi le devenir l’a changé, comme s’il avait désormais basculé dans cet ailleurs temporel qu’il ne savait alors envisager. En réfléchissant sur cette spéculation, je tombe sur cette phrase de Malcolm de Chazal : « Si l’arbre pensait à l’avenir, il ne pousserait pas » – qui vient à point nommé refermer la question, ou du moins l’apaiser.

I.L. : Beaucoup d’enfants apparaissent dans Étant donné, mais également beaucoup de vieilles personnes (« la vieille dame » p.57, « ce vieux citadin » p.59, « la vieille aubergiste » p.72, « un vieux chat » p.73, « la vieille dame » p.80, « ce vieux petit monsieur » p.81…). En quoi ces deux âges sont-ils plus proches du poème ou du conte ?

J.-P.Ch. : Je ne sais pas si les uns et les autres sont plus proches du poème, mais le poème se plaît à essayer de voir, d’entendre, de sentir autrement à travers eux. Les enfants l’attirent par leur faculté d’émerveillement, leur ingénuité, leur spontanéité, leur pétillement, leurs craintes aussi. Leur manière d’être en contact immédiat avec le monde, que nous avons perdue. Les vieilles personnes, par leur fragilité, leur désillusion, leur inquiétude, leur dignité. Deux âges plus touchants parce qu’ils se situent en marge des habitudes et des tracas de la vie active, aux deux extrémités de l’existence. Innocence et expérience, c’est justement ce dont le poème aimerait se charger et ce qu’il voudrait transmettre.

I.L. : Les poèmes évoquent souvent le rêve du sommeil, la rêverie, l’imagination… Tu sembles aussi parfois refuser le sommeil et saluer fraternellement la « communauté des veilleurs ». Qu’est-ce qui domine dans ta poésie ?

J.-P.Ch. : Ce qui domine, je ne sais pas. Peut-être d’abord un souci de la langue, c’est la moindre des choses pour la poésie, et en tout cas pour ce livre une attention à ce qui semble caché dans ce qu’on appelle la réalité, ce qui la déborde, l’excède et lui échappe, ce qui tient du secret, un secret fuyant à mesure qu’on croit l’approcher, car sans doute inconsistant. Tout part d’une espèce de perception fugitive, entre le réel et la rêverie, l’entrechoc des deux produisant une étincelle qui enflamme le désir d’écrire.

I.L. : Chaque poème se limite à une page. Sans ponctuation, chacun ne semble comporter qu’une seule phrase, donc souvent très longue et très articulée. Pour composer ce recueil, t’es-tu donné des contraintes de forme comme celle-ci ?

J.-P.Ch. : Ce livre s’inscrit dans la continuité d’un autre, Tout venant (paru aux éditions Héros-Limite en 2014), constitué d’une succession de poèmes courts écrits sur des motifs divers. Il s’agissait de retenir, dans le parfait désordre, tout ce qui venait sous la plume. Pour Étant donné, le principe est le même, si ce n’est que les poèmes sont un peu plus longs, légèrement plus développés, ce qui leur donne une autre tonalité. Dans le poème intitulé « Le poème », j’ai tenté de livrer la clé d’écriture du livre, de suggérer un art poétique : […] c’est de ces traces d’images gardées / suffisamment vivaces et rayonnantes / que le poème souhaite transfuser / dans les mots la lumière résiduelle / et rendre à la langue la saveur évanouie / par le tournoiement tourmenté de sa phrase / et le cliquettement sec de ses syllabes ». La seule contrainte que j’aie adoptée – mais je n’en ai pas fait une règle absolue et je ne l’ai pas strictement respectée – aura été de composer le poème sur une seule phrase – ou presque – qui s’enroulerait sur elle-même comme autour d’un axe, avec ses charnières et ses emboîtements. L’idée d’une spirale donc, portée par un mouvement centrifuge.


I.L. : Étant donné, ce sont tes poèmes, mais aussi les aquarelles de Philippe Cognée. Comment les mots et les couleurs se sont-ils rencontrés ? D’abord les uns puis les autres ou l’inverse ? Que s’apportent-ils mutuellement ?

J.-P.Ch. : C’est l’éditeur, Alain Gorius, qui a proposé de solliciter Philippe Cognée pour accompagner ce livre. J’en ai été évidemment ravi, connaissant son travail pictural et ayant pu admirer ses grands tableaux traités à la cire. Philippe a choisi de réaliser pour le livre des aquarelles, technique qui s’accorde mieux à l’apparente légèreté des poèmes. Il a travaillé sur quelques-uns des poèmes dont il a cherché à donner une traduction visuelle. Ses aquarelles sont forcément des interprétations, qui m’ont surpris en même temps qu’elles m’ont séduit, car ce qu’elles montrent ne correspond évidemment pas à l’image mentale que je me forgeais à l’écriture du poème. L’aspect liquide de l’aquarelle, le contour des figures qu’elle laisse embué, l’allure diluée, tamisée, tremblante, des choses ou des scènes qu’elle saisit s’accorde bien à l’univers diffus des poèmes, il me semble. Les aquarelles paraissent comme des émanations, au sens presque volatil, des poèmes. J’avais noté que ces poèmes étaient composés comme par petites touches de pinceau, ce qui les rapproche de l’aquarelle, le sujet étant fixé par un procédé d’imbibition qui s’applique à garder la translucidité recherchée.

***

Bibliographie

Evocation de la maison grise, Le Verbe et l’Empreinte, 1981.
Matières de coma, Ubacs, 1984.
Les Mots de l’autre (avec Charlie Raby), Le Castor Astral, 1986.
Le Corps est le vêtement de l’âme, Comp’Act, 1990.
Le Territoire aveugle, Gallimard, 1990.
Le Roi errant ; Gallimard, 1995 [prix Yvan Goll].
Rimbaud, la tentation du soleil, Cadex, 1997.
Carnet du jardin de la Madeleine, Cadex, 1999.
Assombrissement, L’Amourier, 2001.
Goutte d’eau, Cadex, 2001.
Corps antérieur, Cadex, 2003.
Sur un poème d’André du Bouchet, Jacques Brémond, 2004.
Méditation sur un squelette d’ange (avec Michaël Glück), L’Amourier, 2004.
Labyrinthe, Cadex, 2007.
Nuée de corbeaux dans la bibliothèque, L’Amourier, 2007.
Le Petit Livre amer, Voix d’encre, 2008.
Trois rois, Harpo &, 2009.
Tout venant, Héros-Limite, 2014.
Matières de coma, postface de Bernard Noël, Faï fioc, 2016.
Des lecteurs, Harpo &, 2016.
Zélia, Al Manar, 2016.
L’Ecorce terrestre, Le Castor Astral, 2018.
Un écart de conscience, Le Réalgar, 2019.
La Peau profonde, Jacques Brémond, 2019.
Une motte de terre (avec Michaël Glück), Méridianes, 2020.
Musique de chambre – pour Leonard Cohen, Atelier du Hanneton, 2020.
La Montagne lumineuse, Voix d’encre, 2022.
Je ne vois pas l’oiseau, Al Manar, 2022.
Étant donné, Al Manar, 2024.


 

Caractéristiques

Dimensions N/A
exemplaire

courant, Tiré à part

format / papier

Tiré à part : 175 x 250 sur Arches

nombre de pages

116

parution

,

Auteur

CHAMBON Jean-Pierre

Artiste

COGNÉE Philippe

Collection

Bibliophilie

Poésie