Description
réunis et présentés par
Amina Maya Meddeb
Voici l’Avant-propos de ce livre.
Ce livre est l’adieu à l’une des grandes voix poétiques et politiques qui circulaient entre les deux rives de la Méditerranée. Une telle trajectoire a fait d’Abdelwahab un érudit et un penseur, dans le legs des grandes traditions d’Orient et d’Occident.
Cette publication est destinée à réunir ceux qui l’ont connu, aimé, ceux avec qui il a partagé ses espoirs, son travail, son questionnement, ses doutes et ses combats ; comme une trace des rencontres multiples qui ont fait sa vie, lui qui a toujours pratiqué l’exercice de la trace à l’instar du poète préislamique du désert, « le poète absolu » ‘Imru’ el-Qays.
Parmi les textes réunis dans le présent ouvrage, certains ont été prononcés lors de l’hommage à l’Institut du Monde Arabe à Paris le 26 novembre 2014, d’autres ont fait l’objet de publications diverses, d’autres encore ont simplement été envoyés sous forme de lettre. La dernière, écrite en février 2016, est celle de son ami Michael Barry ; par elle débute l’évocation d’Abdelwahab.
Face à l’urgence des questions posées, il a traqué le mal qui défigure le monde et plus précisément celui du monde dont il vient, selon une formule dont il usait souvent : « chacun doit balayer devant sa porte (…) pour reconfigurer le site à partir duquel se dit l’inconciliable et l’irréconciliable provoqués par les conflits qui ont séparé les humains.» Critique contre les dogmes institués, si vigilant pour défendre le primat éthique et percevoir le péril qui l’abîme sous l’instigation des croyances diffusées par les religions instituées, inlassablement il s’est assigné la tâche de lever le mystère qui entoure la désaffection de l’Occident pour le monde arabo-islamique, monde qu’il a aimé passionnément et que l’on retrouve dans ses carnets au fil des centaines de pages qu’il a consacrées à des villes comme Le Caire, Marrakech, Fez, Tunis ou Alep… Ces fragments d’une valeur inestimable, prolongement de l’œuvre achevée, le feront vivre et dialoguer avec nous encore bien longtemps après sa mort.
On y voit sa pensée, en mouvement, en formation, s’enrichir et évoluer, pour répondre aux questions de plus en plus brûlantes de son temps : sur la présence et l’égarement de sa communauté en Occident, sur la dérive de sa communauté sur son propre sol. S’y révèlent ainsi tous les efforts faits pour orienter les siens et interroger le déni de l’Autre.
C’est le propre de l’œuvre poétique d’être une source in-épuisable de suggestions : cette quête jusque-là souterraine, nous allons la mettre au jour. « Je considère le poète comme le meilleur de tous les critiques » disait Baudelaire ; il s’engage tout entier. Nous rassemblerons ses écrits sur la littérature, la poésie, l’art, l’architecture, le soufisme. Ce qui apparaît à la lecture des manuscrits encore inédits, des carnets de voyage, sera le précieux miroir, le révélateur de l’œuvre déjà connue.
« Dans la finitude qui borne notre condition, il est des échappées par lesquelles ceux qui sont entrés dans le néant continuent de participer à l’être », avait dit Abdelwahab à la mort d’un de nos amis chers. Il est avec moi chaque jour, chaque minute qui passe, l’indicible douleur ne s’atténue pas, mais je ressens sa présence, elle me tire de mon enfer, sans elle, il n’y aurait ni remède ni raison.
La critique