Description
ses feux brûlent doucement la mer nuit et jour
par des chants si doux que s’égrène l’été
pour la révéler patient il a le temps et l’espace il le sait d’elle
souple sur sa plage antienne infinie d’évasion suffisante verse
ligne multiple du rivage en trace d’horizon régularité plurielle
souffle immuable que sa chevelure détachée brise en douceurtu vois notre point d’abandon est tel
possédant les yeux possédés d’amouren surcharge d’intensité ployant à rompre
tu es à portée tout de nous-mêmesdanse des reflets pour te faire fléchir
et que tu viennes toute
bien davantage s’il te plait
avec révérence
car tu es légère
et plus lumière encore plus légère et plus douce encorebrûlante à merveille et de plus belle par innocence tue
danseuse à ce point tel l’inconnu
La critique
Eugénie Paultre : Lettre à un éditeur
A l’étale.
Ce titre évoque cet instant singulier, entre la marée montante et la marée descendante, lorsque le mouvement de la mer semble s’arrêter – pour laisser place à un temps, que l’on sait fragile, passager, – à un temps sensible, de calme et de concentration.
A l’étale : est-ce une manière de nommer ainsi ce qu’est l’état poétique, et l’incroyable délicatesse de sa manifestation, ou encore : l’état amoureux et son particulier suspend, merveilleux en lui-même ? Des instants plus qu’heureux – dont la joie particulière est à ce point insaisissable qu’elle exige tout notre soin, toute notre attention ?
Cela indique pour moi cela, mais aussi tous les états – bref, aigus, profonds – où la vie se ressent tout particulièrement : dans une intensité souveraine.
Voici ce qu’un ami avait écrit au sujet du titre : « In French, l’étale stands for a moment of the tide, when the sea gets slack; then, the tension gives way to a quiet moment during which everything becomes smoother and clearer. In A l’étale, this smoothness and this clearness are that of a mystery which gets deeper as it gets clearer, and which therefore is perhaps even more captivating than the plot of a novel. »
Pour ma part, le titre me fait penser, aussi, à ce moment où le cours des choses est sur le point de s’inverser, si bien que se ressent là, précisément là, l’impulsion même où prend naissance le cours des choses.
Dans tous les cas, je songe à un moment, privilégié, en un sens parfait, proche de l’insoutenable, et avant tout véritablement vital – ce pourquoi nous vivons.
Ce moment, c’est aussi, à mes yeux, l’époque qui est la nôtre, une époque suspendue, inquiète, où semble se décider un destin. Lequel ? Nous ne le savons pas – et c’est ce qui rend toutes nos peurs si
profondes. Seulement, il y a une extrémité, maintenant sensible, qui nous traverse tous et chacun, même si nous n’en pensons rien, – et cet état, en un sens mondial, a un rapport – décisif – avec l’état poétique : où quelque chose, essentiellement, se trouve, touchant à l’essentiel, sans que cela puisse se dire – alors, pour cela même – d’un mot ou d’une phrase – un état en tout point exigeant, que le poète, plus que personne, d’instinct, cherche, cherche à dire et à partager, le plus qu’il lui est possible – par sens inné de la nécessité.
Notre époque serait exceptionnellement poétique ? Hölderlin l’avait déjà annoncé. Nous ne faisons aujourd’hui que l’éprouver – le plus souvent pour le fuir, tant c’est, apparemment, insupportable ? Le poète en ce sens nous précède pour nous donner confiance, épousant
d’instinct ce moment – vital à ce point qu’il révèle – la nature même de la vie.
Qu’il soit possible de vivre, pleinement, heureusement, calmement, cet état en apparence intenable, bouleversant, c’est ce qu’indique la longueur du poème de François : il y a là un courage, une endurance, une confiance, qui manifeste à quel point la poésie est, par vocation, entièrement mariée à la vie jusqu’à en épouser d’une certaine manière la durée (je vous avais dis qu’A l’étale était le poème d’une vie – il l’est en bien des sens) – ou même encore, qui manifeste que vie et poésie peuvent s’égaler l’une à l’autre. C’est peut-être cela, le projet de ce livre, s’il y en a un. Et le souffle que cela demande, le
poète le trouve en premier lieu (mais peut-être pas en ultime ressort) dans une forme d’invocation : à « elle » – qui prend tant de visages, tant de formes, tant de noms, si bien qu’elle n’est plus rien de seulement humain (vous le dites très bien), ou même de seulement divin, mais une source – intarissable – qui donne élan et raison à la parole.
Grâce et au travers d’une endurance – qui fait l’épreuve du temps et du risque, éminent : de perdre le fil de l’inspiration ou de la justesse de la langue, de pervertir la pertinence et l’à propos de la parole – se joue peut-être la possibilité de faire signe vers la source même d’où viendrait au poète sa force, la force d’écrire coûte que coûte, pour parvenir à découvrir toujours plus profondément le mystère que la langue – le bien humain par excellence – recèle.
C’est peut-être là une autre manière de répondre de notre temps. Et je suis d’accord avec vous au sujet de la forme courte, plus susceptible de rendre compte de notre époque (j’ai le même goût que vous pour les écrits brefs, dont la brièveté doit manifester l’essentiel, dont nous avons plus que jamais besoin). Mais ici, il s’agit bien de répondre du désenchantement, d’une lassitude, d’en répondre : non pas pour lui opposer un intarissable réenchantement béat, une euphorie insensée, mais pour manifester combien l’heure d’aujourd’hui permet – c’est notre chance – au poème de se déployer, quand la poésie devient
instinctivement le lieu de l’existence.
Alors, si le poème de François est poème d’amour, il l’est comme « The morning of the poem » de Schuyler, en ce qu’il se laisse, lui aussi, aimanter par l’infini tendresse de la lumière à son aurore, par la rencontre lumineuse du ciel et de la terre, par la rencontre – en ce
qu’elle a de prodigieux, par l’horizon visible où se résolvent les contradictions du monde, qu’il nous est donné, amoureusement, d’éprouver. Alors, oui, François, risque un lyrisme, résolument, calmement, avec une confiance, en elle-même remarquable : comme pour
revenir à sa manière à la source de la poésie – peut-être par essence lyrique, si on entend là le chant, et le musical qu’il comprend, et la résonnance dont il se sait gardien. Dans cette mesure, je reprends vos
mots, le lyrisme (aussi ancien – éternel – que la poésie elle-même ?) est un « risque » à prendre – que la poésie ne peut (peut-être pas) éviter de prendre (pourquoi les poètes aujourd’hui en ont-ils peur à ce point ?).
Ce que vous dites sur les différents registres (savant, parlé) est parfaitement juste, mais il y a aussi, me semble-t-il ici une langue à part, une voix, singulière comme l’est une voix, qui n’est pas sans faire écho aux « voix » qui l’ont précédée, qui ne peuvent pas être ne doivent pas être ignorées (A l’étale aime d’ailleurs, comme en passant, à citer les poètes), parce que l’on ne peut pas faire comme si ces voix n’existaient pas encore – vraiment ; mais pour autant, la voix à l’étalienne ne saurait s’y ramener, ayant, musicalement, sa propre résonnance, sa propre vie.
Je ne prétends pas ici résumer ou épuiser le sens de ce poème – évidemment. Et ce qui me semble bien, ou juste, c’est qu’A l’étale, je crois, suscite au moins une interrogation, et ne laisse pas indifférent, et le projet qui est le sien reste une question (un suspend, comme l’étale), mais je sens en tout cas, intuitivement, que se joue là quelque chose, qui ne pouvait se jouer à une autre époque, que l’époque elle-même offre et exige, et c’est pourquoi le poème me semble contemporain. Voilà, fugitivement, mes impressions. Et je serais heureuse de recueillir toutes celles qui pourraient encore vous venir – car cela m’aide, aussi, à clarifier celles que je peux avoir.
E. P.
François Angot, A l’étale
par : Gwen Garnier-Duguy
Les éditions Al Manar publient le poème monumental de François Angot, A L’ETALE. 550 pages d’un poème tendu, aéré, aérien, concentré, déployé, foliacé. Le poète « ne cesse de dire son amour pour « elle ». Par vagues, avec ampleur, selon les modulations d’une fugue, « elle » se déploie en sa venue, ses apparitions, ses paysages. Métamorphose de la féminité en ses possibles, « elle » n’est pas seulement « elle », mais, en son intime et secrète présence, un champ de blé, un refrain, la tendresse de la lumière à son aurore, la rencontre, en son invraisemblable justesse, d’une voix, d’un ciel, d’un signe », précise Eugénie Paultre, auteur de la quatrième de couverture du livre nous présentant le poème.
Ce poème, malgré son épaisseur, se lit, une première fois, en deux heures. Car le poète a laissé la voix dont il se fait le serviteur prendre place sur la page avec aisance. Aussi cette voix est-elle ample, prend-t-elle toute la place dont elle a besoin pour s’étirer entre les blancs, entre les silences dont elle est issue. Elle s’étire, en réalité, depuis le silence dont elle surgit, à force d’attention et de contemplation du poète.
Douze parties structurent ce chant que l’on énumère ainsi : Disparaissent, Comme, Immense, Toute, Un, Genoux, Elle, En, Toujours, Le, Tremblant, Sous.
Nous ne nous arrêterons pas sur la dimension symbolique, à la polysémie sémantique, du nombre douze, tant il rassemble de lignes de forces. Mais ces mots choisis par le poète François Angot pour nommer chacune de ces parties dit l’ambition qui fut la sienne lorsqu’il s’élança dans la composition de son chant. Une ambition confinant au chant total, au chant dévoué, dédié, au don, un chant appelant à travers la féminité la réalisation de toute une vie, car les mots constituant les titres des douze parties placent le poème d’Angot sous le zodiac de la pensée philosophique réalisée par la vision métaphysique.
Cette féminité qu’invoque le poète est comparaison, elle est totale, elle réunit l’un et le plusieurs, elle palpite d’éternité et elle se laisse percevoir par-delà ses apparences illusoires, se mouvant entre les plis de l’Univers.
Chant d’amour pour la femme ? Certes. Pour la féminité ? Absolument. Mais davantage poème relevant du genre courtois pour chanter la Dame, c’est à dire l’éternel féminin, cet éternel qui est la grande quête de tout l’humain depuis la nuit des temps.
Angot était un chevalier. Un chevalier dans une époque sans château et sans roi, sans chevaux et sans Graal. L’éternel féminin, c’est la Dame inconnue vivant en nous, c’est la poésie et la parole silencieuse entendue dans le murmure des forêts intérieures, c’est l’érotisme des paysages du monde appelant la vocation de la beauté ; l’éternel féminin, ce sont les mystères invisibles faisant signe à la surface de nos vies pour attirer notre attention sur sa présence créatrice.
« oh oui tu es en moi ma non humaine
c’est pour la vie »
Ainsi chante le poète qui, nommant son « elle » sa « non humaine » dit toute la quête qui est la sienne, qui fut la sienne, en cette époque de transition entre le vingtième siècle finissant et le troisième millénaire s’ouvrant. Cela aussi, c’est un signe. Un signe du Poème dans un temps anti poétique. Comme pour nous dire que rien ne change et que, malgré le fait que tout se meut tout le temps partout, rien n’altère l’Etre en sa permanence.
A l’étale nomma-t-il son poème. Comme pour dire ce non mouvement de la mer, cet espace entre le flux et le reflux, se situant après la marée montante, ou après la marée descendante. Un mouvement immobile en réalité. Mouvement tout de même, car les vagues bercent toujours la plage, mais ne montent ni ne descendent. Une caresse du féminin apaisant le rivage, et l’ourlant de sa présence imaginale. De sa présence procréatrice. Pour la plus grande joie sur la terre…
Recours au poème, 15/10/2014
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François Angot : À l’étale
Ce second ouvrage de poésie de François Angot dont la publication a été encouragée par Eugénie Paultre voit le jour aux éditions Al Manar. D’aspect volumineux cet écrit se laisse pénétrer petit à petit pour finalement se déguster agréablement.
Par sa mise en page ainsi que par son contenu, À l’étale évoque la mer, les vagues qui vont et viennent sur le sable, toujours humide, afin de le marquer de sa présence, éternelle. Présence d’Elle, de la mer. De la féminité surtout et avant tout. Cette présence perpétuelle qui ne cesse de grandir au fur et à mesure de la lecture est confortée par la symbolique du chiffre douze. Douze parties structurent ce poème. Douze comme un cycle parfait, immuable, de la nature et de la vie même tout comme « Elle ».
De cette féminité, l’auteur se fait le défenseur ainsi que l’annonciateur. Il nous étale son amour, son désir pour « Elle ».
Dans cet éloge à la féminité, les attributs féminins – omniprésents – dressent un panorama quasi érotique : bouche, seins, fesses, sexe, chevilles. De ce tableau de la féminité, le jeu de la séduction est tout proche : les lèvres encore chaudes, tes lèvres les seules nues, douce poitrine. Cet amour que porte l’auteur et qui le transporte vers « Elle » s’accroît afin d’aboutir au point de non retour. Elle se déshabille, elle est chérie, contre son ventre le corps léger, entre ses seins, soudain en moi tu viens. De cette sensualité totale, de ce désir fatal qui nous tient en haleine – insoutenable, elle nous tient – les mots éclosent l’un après l’autre. Ils sont enfantés par le dialogue. Ils prennent vie.
François Angot signe là un hymne à la beauté, à la femme sensuelle et féconde et plus largement à la poésie. Comme la poésie est création, « Elle » vient donner naissance à ce long et magnifique poème.
ALEXANDRE PONSART, CCP février 2015