Description
Ces meubles déchus
en bout de succession
désossés
plus que
morceaux de bois
pas même
branches ou sarments
bons à brûler
à cause du vernis
protection dérisoire
maintenant que
sortis du cadre
en tas
sur le trottoir
dans les marges
d’une histoire qu’on va
continuer sans eux
leur faisant un tombeau léger
des mots arrangés d’un poème
pour James Sacré
« Vider les lieux n’est pas vider le cœur » (dit-elle en me quittant)… et ce dernier bat ici son plein.
Ce petit livre publié par les éditions Al Manar nous donne, comme en une procession et avec beaucoup de douceur, les mots d’un deuil très humain. Mais c’est derrière les morts, ou à travers eux, la vie entrevue dans son tracas immense : Un abandon, les affaires qu’il faut trier, une visite guidée des catacombes à Rome, des branches au jardin qui obligent à courber la tête, des meubles entassés sur un trottoir, le souvenir d’une cuisine des années 50… toutes ces images se déplient avec pudeur et délicatesse. « le mot cheval souffle doucement sur un pré » pour nous faire sentir l’absence, ou encore cette impression comme notée «à la verticale du vert/ remonte une fraîcheur lointaine ». La mort n’est pas ici exploitée, ni même explicitée. Elle est présence d’une absence, présence d’un mystère auquel l’auteure ne donne pas de nom. C’est avec douceur qu’elle évoque l’image de ceux qui ne sont plus, « assemblées timides et fortes / abandonnées à l’invisible », qu’elle imagine celle qui « viendra nous cueillir pour nous coucher dans ses herbiers géants », qu’elle évoque la chute du temps « Vertigineuses les années / s’abîment au centre d’un éventail/ qu’on abandonne là/ sur la chaise renversée ». Et « J’ai lu dans Homère… » n’est pas une référence culturelle, c’est comme le souvenir timide, partageable, d’un vieux récit sur la vie des morts.
Les lieux se vident, mais pas le cœur, qui semble se remplir de ferveur, comme un cri vers l’amour : « serions-nous plus attentifs/ si nous savions/ qu’il n’y aura pas d’autre chance » : la vie qui nous est donnée, et même ce désir « furieux » de vivre, il faudrait sans cesse en voir la chance profonde… et rester bien plus attentifs à ceux qui nous sont confiés. Ce n’est pas une foi religieuse, mais l’espérance pourtant se dessine d’un au-delà, bien présent, caché dans la vie elle-même.
Anne Belin
UNE FURIEUSE ENVIE DE VIVRE
Angèle Paoli, in Terres de femmes, septembre 2019
D.R. Texte angèlepaoli
Les 3 encres originales de H. BAUMEL rehaussant le tiré à part.