Description
La critique
“Tunis-Goulette-Marsa, la litanie des stations s’égraine d’elle-même comme une comptine d’enfance”… Sur les traces de Nello, l’oncle très controversé tout juste décédé, le narrateur vient aussi retrouver son enfance, tâtonnant à travers la géographie perturbée d’une ville, Tunis, qui a tant changé. Les souvenirs reviennent, au gré des rencontres mais surtout des lieux, avec plus ou moins de netteté et de facilité, toujours incomplets toujours imparfaits, dans une nostalgie douce-amère qui n’explique pas tout, qui suggère. Comme lui, le lecteur emprunte le petit train capricieux de la mémoire, presque angoissant, se met en quête, lui aussi, de l’insaisissable oncle Nello, jusqu’à la révélation finale qui dissipe les doutes et apaise.
Tel Quel, Casablanca, n° 260, 2/02/2007
Henri-Michel Boccara : l’écrivain humaniste
Merieme Moumine
Amoureux de Marrakech où il s’est installé depuis 1964, Henri-Michel Boccara est tout sauf inconnu pour les lecteurs en quête de texte de qualité. Des pièces de théâtre, il en a écrit une trentaine comme « Ici et ailleurs » ou « Qui se souvient de Jonathan ? ». Mais il a pris la plume aussi pour écrire des nouvelles et des romans. Son dernier-né est «Tunis-Goulette-Marsa», où il évoque la figure tutélaire de l’oncle Nello retrouvée, et avec elle toute une enfance juive en Tunisie, dans la remontée douce-amère du temps – jusqu’à la lumière. Rencontre avec ce médecin écrivain.
Marrakechnews.net – De la médecine à l’écriture, comment le passage s’est-il fait ?
Henri-Michel Boccara – J’ai toujours fait du théâtre. Quand je suivais mes études de médecine, je faisais partie d’un groupe de théâtre à Paris. D’ailleurs, j’étais parti à Paris pour faire des études de cinéma à l’Institut des Hautes Etudes de Cinéma.
Quand je suis venu m’installer à Marrakech, j’ai créé le Groupe des Neuf avec lequel une quarantaine de pièces ont pu voir le jour. La plupart en collaboration avec l’Institut Français. Dix d’entre elles ont été montées par France Culture.
Par la suite, j’ai commencé à écrire des nouvelles et des romans parmi lesquels je cite «Itinérances », « L’ombre et autres balivernes », « La corde d’Annamer », très élégamment éditée par Traces du présent, « Le plumier » et deux recueils de théâtre « Pièces Claires, Pièces Fauves »
Marrakechnews.net – « Tunis-Goulette-Marsa » est votre dernier-né. Pouvez-vous nous faire une présentation générale de ce roman ?
Henri-Michel Boccara – J’ai eu le plaisir de pouvoir présenter, la semaine dernière, ce livre dans une galerie marrakchie, avec Christine et Alain Gorius. Deux merveilleuses comédiennes m’ont accompagné dans cette aventure : Françoise Atlan et Emmanuelle Sarrazin. Ce livre est un retour, 50 ans plus tard sur une enfance en Tunisie. Les dix premières années de ma vie et qui sont en rapport avec la deuxième guerre mondiale (39-45).
Le prétexte est ce retour sur les lieux de ma naissance est le fait d’apprendre la mort d’un oncle qui avait été un rayon de soleil durant mes premières années « l’oncle Nello » que j’appelais aussi « Palco » ou oncle plafond parce qu’il était de grande taille.
Ces lieux revisités sont observés de biais comme si l’on voulait éviter de faire une description trop conventionnelle et pittoresque de la ville. Ce retour est l’occasion pour le narrateur de renouer avec des racines avec lesquelles il croyait avoir totalement rompu.
Marrakechnews.net – Comment est née l’idée d’intégrer les dessins de l’artiste peintre Sébastien Pignon dans votre dernier roman ? Et selon vous, que peut apporter ce type de rencontre à l’œuvre littéraire d’une manière générale ?
Henri-Michel Boccara – C’est par l’intermédiaire de mon éditeur que j’ai connu le travail de Sébastien Pignon qui a, entre autres, illustré de nombreux ouvrages des éditions Al Manar. Le manuscrit lui a été proposé alors qu’il était l’hôte de la ville de Médicis et il m’a fait le plaisir de mettre en image certaines scènes de ce livre.
Christine et Alain Gorius font de très belles publications. Des livres fabriqués encore avec beaucoup d’amour à l’ancienne sur de beau papier, avec de belles polices de caractère en plomb. C’est un plaisir d’avoir ces livres en main d’autant qu’ils sont vendus à un prix raisonnables parce que les livres des éditions étrangères atteignent souvent des prix très élevés ici.
Marrakechnews.net – Vous êtes à la fois dramaturge, romancier et nouvelliste. Parlez-nous un peu de l’ensemble de vos œuvres ?
Henri-Michel Boccara – Mes thèmes principaux et récurrents sont l’exil, le déracinement, la mise en rapport de cultures différentes et le choc qui peut s’ensuivre.
Mon premier roman par exemple «Itinérances » était l’histoire d’un jeune européen qui, entre itinérances et errance, traversait le Maroc, du nord au sud. Mon avant dernier roman, « Le plumier » est l’itinérance inverse. Il s’agissait d’un jeune berbère partit du Haut Atlas et qui tentait de rejoindre le nord, l’Europe et qui se perdait en route.
Dans mes pièces de théâtre également, je mettais en rapport des personnages d’ici et d’ailleurs. J’ai même écris une pièce de théâtre réalisée par France Culture qui porte ce nom là « Ici et d’ailleurs ». Et puis, ne suis-je pas moi-même un émigré ?
Marrakechnews.net – Si l’on vous demande de faire une critique de vos œuvres, que diriez-vous ?
Henri-Michel Boccara – Ce genre d’approche de la réalité d’autrui n’est jamais complet et total. D’ailleurs, c’est bien qu’elle en soit ainsi puisque l’altérité est une chose respectable et qu’il faut constamment aller à sa rencontre, même si le chemin ne mène pas à l’absolu.
Marrakechnews.net – Quel est votre futur projet d’écriture ?
Henri-Michel Boccara – J’ai un livre en cours de lecture qui s’intitule « Migration : le rapport Alpha ».
Marrakechnews.net – Que représente pour vous la ville de Marrakech ?
Henri-Michel Boccara – C’est la ville dans laquelle j’ai exercé mon métier de médecin, c’est-à-dire ma mise en rapport avec d’autres individus qui me demandent de partager les douleurs de leur corps. Le corps est extrêmement présent dans beaucoup de mes écrits. Ce corps qui peut subir tant de déformations et de souffrances, est le meilleur véhicule pour manifester la présence de l’esprit, la réalité profonde des êtres.
Je suis venu à Marrakech en 1964, pour faire un remplacement d’une semaine et j’ai prolongé cette semaine pendant 43 ans. C’est donc que je m’y trouvais en bonne convivialité avec ses habitants.
Marrakechnews.net – Que pouvez-vous souhaiter à la ville à laquelle vous vous êtes attaché depuis plus de quarante ans?
Henri-Michel Boccara – Je souhaite qu’il y ait une dizaine de librairies en plus. Elles sont plus nécessaires que certains projets grandioses qui apportent peu à la culture au Maroc.
Marrakechnews.net – Et à vous, que peut-on souhaiter ?
Henri-Michel Boccara – Je souhaite de ne pas lâcher la plume, même si quelquefois on a l’impression qu’elle est un peu lourde.
Extrait du dernier roman de Henri-Michel Boccara « Tunis-Goulette-Marsa »
« La bombe est tombée, mon père s’est couché sur l’enfant pour le protéger de son grand corps d’adulte. La cave de fortune sent la chaux et le ciment. Le père est lourd et malcommode et l’enfant voudrait bien qu’il s’en aille. D’ailleurs si la bombe tombait vraiment sur nous, ce ne serait pas une bien bonne affaire que d’avoir tout ce père mort sur soi. Les choses se sont déroulées comme à l’accoutumée. Avant les bombes, il y a eu les avions. Avant les avions, les sirènes ont crié. Les avions sont ce bruit sourd et lointain, cette lamentation. Viennent ensuite les bombes, si elles viennent, parce quelquefois, c’est plus loin que les avions vont faire leur travail. Les bombes sont claires. Elles deviennent de plus en plus aiguës en s’approchant. Et puis il y a un silence, un tout petit silence avant le fracas. C’est à ce moment que l’enfant pleure; pourtant, allez donc savoir pourquoi, il y a une sorte de joie dans ces explosions, une allégresse difficile à concevoir, mais certaine. »