Saison de paradis

A partir de 16


Traduit du grec par Michel Volkovitch.
Tirage courant : 1000 ex typographiés sur bouffant ; accompagnement plastique : Jean Anguera.

Tirage de tête sur BFK Rives au format 15 x 21 cm.
Vingt exemplaires uniques, rehaussés de trois peintures originales de Jean Arguera.

Publié avec le soutien du CNL

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Description

Chacun de tes rêves écrit en rouge
a un sens toujours noir
dans la broussaille d’épines
sa matière pourpre
dégoutte du sang de l’encre
son cœur sombre enfermé
dans le rubis de l’utopie
comme ces deux mûres
qui t’attendaient cachées
sous ton oreiller d’enfant
sœurs jumelles
l’une est perdue l’autre se niche
inconsolable dans le tiroir du Jardin.


La critique

Une interview de Stratis Pascalis

L’ivrEscQ : Natif de l’une des plus belles îles de la Grèce, l’île de Lesbos, qu’est donc la Méditerranée pour vous ?
Stratis Pascàlis : La mer méditerranée est la mer matrice des anciennes civilisations ; elle est un lieu où la nature trouve son équilibre idéal et l’homme lui-même sa plus profonde identité : celle de son vrai soi-même. Pour tous les pays qui composent cette partie du monde qui s’étend de l’Asie Mineure jusqu’au détroit du Gibraltar, autour de ce qui ressemble à un lac d’eau salée, George Séféris, le grand poète moderniste grec, Nobel du siècle dernier (et qui a aussi été ambassadeur), les nommait les «Pays du Soleil». Mais d’un soleil qui resplendit d’une lumière claire et en même temps noire… Une lueur à la fois angélique et tragique. Je crois que cette lumière purifiante et aveuglante est précisément la lumière opaque du midi algérien dont Albert Camus disait : «Une énigme heureuse m’aide à tout comprendre… la lumière du soleil, à force d’épaisseur, coagule l’univers et ses formes dans un éblouissement obscur…. cette clarté blanche et noire, pour moi, a toujours été celle de la vérité…».

L. : Enigme, beauté, tragédie, il y a là tant d’extrêmes…
S.P. : Oui, parce que la Méditerranée est aussi le lieu des grands amalgames. Amalgames de peuples, de races et de civilisations multiples et impressionnantes. La Méditerranée est le lieu de ce mélange (krama en grec) dont le célèbre poète Cavafy a parlé dans ses poèmes en nous révélant sa pluralité, ses atmosphères et son climat toujours complexe, multiforme, imprégné par le mystère d’une condition formée d’une multitude de différences et de contradictions. Une réalité en mouvement qui a abouti finalement à une unité compacte et solide, porteuse dans ses flancs du germe des grandes traditions du monde antique. Naguib Mahfouz a dit, lors de son discours de réception à l’Académie Nobel, qu’il ressentait et vivait l’ingrédient actif de l’amalgame des quatre composants de la substance génératrice de son pays d’aujourd’hui : la civilisation pharaonique, la gréco-romaine, la byzantine, l’islamique.

L. : Méditerranéen de naissance sans conteste, mais vous êtes d’abord Européen par culture et par le socle des intérêts partagés entre citoyens des pays qui composent l’Union européenne…
S.P. : C’est vrai que nous autres habitants de l’Europe du Sud nous sommes sans cesse tournés vers les pays de l’ Europe occidentale et nordique ; des pays qui par leur force et leur prospérité deviennent « normalement » le centre de notre intérêt politique, matériel et culturel jusqu’à ce que nous en oubliions très souvent, trop souvent même, que nous appartenons de fait à la grande famille des pays de la Méditerranée qui nous sont beaucoup plus proches et plus familiers. En réalité, nous sommes beaucoup plus attachés à cette famille, je dirais par des liens presque charnels. Il est vrai, cet «oubli» nous a au fur et à mesure conquis… et éloigné de notre vraie descendance qui est l’osmose entre l’Occident et l’Orient ; un magique et mystérieux mariage de la culture chrétienne et islamique à la lumière d’un esprit qui nous impose à tous une mentalité de vie quotidienne presque commune, que ce soit notre attitude envers la vie ou envers la mort. Ainsi, des notions de l’éphémère, du respect du destin, du souci de ne pas dépasser la mesure, du sens de l’humain dans sa plus simple et profonde expression… Cette réalité qui fait qu’ont est à la fois innocent et coupable sans le savoir, heureux et tragique, libre et condamné, ouvert à la vie et à la perte, à chaque instant comme un enfant qui existe sans y penser, croyant seulement aux mythes et à la poésie de ses fantaisies, primitif et profondément noble…

Par Abderrahmane Djelfaoui


Stratis Pascalis « poète grec » : la plénitude du pléonasme et de l’oubli dans Saison de Paradis

Par Muriel Stuckel| 8 janvier 2016|Catégories : EssaisEssais & Chroniques

 

Les mots cherchent l’oubli – l’oubli dont ils émergent et qu’ils voudraient ramener comme un nageur ramènerait la mer.

                                                                 Bernard Noël

     Jacques Lacarrière, dans sa préface à l’Anthologie de la poésie grecque contemporaine proposée par Michel Volkovitch (Poésie / Gallimard, 2000), souligne qu’« être poète en Grèce ou poète grec est presque un pléonasme ». Vérité certes immémoriale, mais n’est-ce pas en dépassant la redondance de l’expression « poète grec », qu’on peut saisir l’exigence d’une création littéraire authentique, comme celle de Stratis Pascalis, l’une des voix majeures parmi les poètes grecs vivants ?

     Son cheminement poétique singulier s’effectue au fil d’une dizaine de recueils dont les titres révèlent la variété et le désir de renouvellement constant qui l’anime : AnactoriaFouilleUne nuit d’HermaphroditeCerisiers dans les ténèbresFleurs d’eauMihaïlComédieEn regardant les forêtsLes icones, et Saison de paradis, publié par les Éditions Al Manar et traduit par Michel Volkovitch, en janvier 2014.

     À ce travail de création poétique se superpose sa vocation de traducteur. Véritable poète-passeur, Stratis Pascalis s’intéresse à nos plus grands auteurs pour les traduire en vers grecs, défi relevé avec les tragédies de Racine, AndromaqueBérénicePhèdre, et avec Cyrano de Bergerac de Rostand notamment. En outre, sa traduction des Illuminations de Rimbaud, des Chants de Maldoror de Lautréamont, de la poésie de Mallarmé, sans oublier celle du  Passant de l’Athos de Bernard Noël, ne cesse de tisser des échos entre son écoute précautionneuse de ces prédécesseurs prestigieux et substantiels et sa propre création poétique.

     Riche de toute une érudition littéraire, mythologique, philosophique, picturale, musicale, le lyrisme de Stratis Pascalis affirme ses profondeurs sismiques, ses fulgurances hermétiques mais aussi et surtout son charme incandescent symbolisé par la prédilection manifestement accordée à l’antithèse voire à l’oxymore, comme l’atteste le titre Cerisiers dans les ténèbres. Ce recueil de 1991 qui s’inscrit au cœur du parcours littéraire de Stratis Pascalis semble en effet faire signe comme les trois arbres d’Hudimesnil dans l’œuvre de Proust. Il annonce  et confirme tout à la fois le goût majeur du poète pour l’alliance des contraires, sous l’ombre tutélaire et multiple de Racine et de Baudelaire, de Rimbaud et de Lautréamont.

     Pour appréhender les profondeurs sismiques du recueil Saison de paradis, on peut retenir dans le poème Empreinte aveugle où se proclame « qu’il n’y a plus de voix / Rien qu’une empreinte aveugle – », une superposition de pluriels abondants :

Chroniques inachevées de l’Eden
Biographies d’innocents interrompues,
Enfers qu’éteignent des anges-pompiers 
Avec des fontaines de pureté transcendante,
Des zones neutres de vie ordinaire
Bombardées par l’invisible,
Des pièces portant les tampons périmés des dieux –

(p.26)

avant que ne jaillissent à la clôture du poème des jeux d’opposition entre « la nécessaire passion violente pour le néant » et « son apothéose – trouvaille de l’ontologie / Enigme vaine d’un doigt latent / Sur un couteau tragique » où prédomine la vocation du singulier à l’abstraction. Même la lame tranchante du vers ultime avec son couteau « tragique » n’y échappe pas.

     La poésie de Stratis Pascalis se caractérise par ses fulgurances hermétiques et ses éclairs verbaux qui subjuguent d’autant plus le lecteur que l’intelligibilité des poèmes lui résiste. Ainsi, dans le texte Code où s’entrelacent « sang » et « cristal », la voix lyrique annonce de façon paradoxale :

Et lorsqu’enfin viendra la vengeance
Odeurs des couleurs et chair et pot-à-eau spartiate
Je m’évaderai en hâte avec elle,
Dans une vie que j’ai tuée toujours tuée –

avant de proférer sentencieusement :

Voilà pourquoi je me convoque à nouveau
Immuable législateur d’imaginaire
Impénitent faussaire de solitude.

Ce que nous vivons est lu toujours à l’envers
Par des roses remords de paradis.

(p. 34-35)

     Inversion, fulgurance, hermétisme déroutent et fascinent en profondeur le lecteur. Ils se retrouvent en apothéose dans le long poème clausulaire Le Chant perdu d’Arion qui, faisant discrètement référence à Lesbos, l’île originelle de Strastis Pascalis, incruste en son cœur des bribes de vers en graphie italique :

Vie sans idéaux
Idéale
Rien que la vie — toute simple

Mort- vivant
Aède sans langue

Aimé amèrement
Par un dauphin
Contemplant la mer de sa fuite

Du vertige désert
Impitoyable contemplateur
Traces de toi
Frissons d’une fugitive
Rafale

Clefs d’une musique en sourdine
Sur des cordes de remords

Traces de moi
Pieds humides sur la pierre

Traces de pas sur l’eau

Ce que je bâtis devient tombeau
Ce que je détruis fleurit sans scrupules

(p.70-71)

 Cependant, en dépit de l’« aède sans langue », l’oxymore du « mort-vivant », enrichi de l’antithèse architecturale entre « bâtir » et « détruire » ne manque pas de faire émerger finalement un poème « tombeau » dont le chant tisse ses notes « en sourdine » mais avec un bel effet d’envoûtement.

     Sous les fulgurances hermétiques se décèle en effet le charme incandescent d’une voix lyrique s’affirmant comme telle tout en luttant bien sûr contre les facilités complaisantes et « les embêtements bleuâtres du lyrisme poitrinaire » fustigés par Flaubert. Dans Idiolecte, le charme se fait explosif, émanant d’une brièveté pour le moins percutante qui exalte les effets conjugués de l’oxymore, de la polysémie et de la personnification :

Je parlerai d’une voix de silencieux
En pressant la détente
Sur la tempe du silence

(p.55)

Dans Restauration soudaine se relèvent d’autres traces d’incandescence sidérante :

(…)
Par une séisme de volupté –

Tempête dans un palmier !
Respiration de ruines !
Joie profonde et funèbre acquise dans ces maisons jaunes
Ces ruelles tortueuses brûlées par le dépeuplement –

Par une fissure est apparue toute la mort
Avec des frontons d’oiseaux des oliveraies de paradis
Et l’amour presque rien
Goutte infime
Devant cette brise qui promettait
Des mers entières d’avenir immortel
Comme un passé.

(p. 36)

    Le lyrisme de Stratis Pascalis n’exerce-t-il pas son charme puissamment pictural et musical en franchissant ses limites spatiales voire insulaires pour accéder à une vibration universelle ? Oubliant d’être grecque, de n’être que grecque, de n’être que « pléonasme » originel et indubitable,  sa poésie cherche l’oubli célébré par Bernard Noël, l’oubli nécessaire et vital dont elle émerge et qu’elle aspire à « ramener comme un nageur ramènerait la mer ».

      Ainsi, en guise d’ « épilogue secret », entre l’élégie d’une « note en bas de page » et le « badinage » qui oppose vie et mort, entre « fragments bibliques » et « parasites métaphysiques », cette voix de poésie propose tant ses inflexions personnelles que ses modulations universelles, se dévoilant à la fois comme « balbutiement voluptueux », « blessure suprême », fanfare secrète », et « langue de cri », dans une « valse » de mots et de vers « dont seule subsiste la musique ». Telle est la fécondité prodigieuse de l’oubli : la mer s’approche grâce au poète nageur dont les mots éblouissent notre page de silence.

mmMuriel Stuckel

Muriel Stuckel est poète, critique, professeur de littérature en khâgne au Lycée Fustel de Coulanges à Strasbourg, vice-présidente de l’association littéraire Ouï Lire qui organise des lectures d’écrivains.

Outre des articles, des proses, des poèmes en revues (Europe, Littératures, Les Carnets de l’exotisme, L’Act’Mem, Voix d’encre, La Revue alsacienne de Littérature etc.), elle a publié des livres d’artiste et notamment aux éditions Voix d’encre en 2011 Eurydice désormais, avec des peintures de Pierre-Marie Brisson et une préface d’Hédi Kaddour.

Exemplaire de tête (couverture peinte et encres originales de Jean Anguera)

Caractéristiques

Dimensions N/A
exemplaire

courant, de tête

isbn

978-2-36426-031-3

parution

Auteur

PASCALIS Stratis

Artiste

ANGUERA Jean

Collection

Bibliophilie

Poésie