Sahariennes, suivi de « Célébration de la lumière »

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Alors sur l’herbe ancienne et brûlée
Qui se souvient de l’eau
Si douce aux lèvres du caravanier

Neigent aussi soleils imprévisibles
De blancs papillons et l’impérieux désir
Où la vie recompose ses verdeurs

Description

La critique

Éric Brogniet, Sahariennes, suivi de Célébration de la lumière, Al Manar / Alain Gorius, 2015.

Ces deux courts recueils, nés dans le désert du Wadi Rum, en Jordanie, et du Sahara, en Égypte, se sont tout naturellement ancrés dans le dépouillement, de l’être, de l’écriture, du monde. La forme, librement inspirée de l’haïku, se concentre, dans le premier ensemble, à trois vers de rythme différent, pour capturer l’instant au plus près de sa perception, mais sans tomber dans l’excès de formalisme d’un genre fixe aux règles strictes. Le travail sur les mots se double en permanence d’une recherche de sonorités, douces ou rugueuses (Ocres / Rocs rouges…), instaurant comme une évidence une équivalence entre le mot et la chose.
Et c’est bien d’instants qu’il s’agit : ceux qui s’ouvrent sur l’éternité par l’abolition de la durée conçue comme addition de secondes. Le désert n’est pas plus un nombre fini de grain de sables que l’éternité un étirement du temps commensurable. C’est une exploration permanente, un voyage qui ne se limite pas à un déplacement. Petit à petit l’exploration intérieure se confond avec le parcours extérieur. La même expérience du néant fondateur se vit dans le désert et dans la conscience libérée de soi.

Ébranlement
Conscience
Du vivant et du néant

Plusieurs thématiques s’entrecroisent et s’enrichissent mutuellement, révélant un dessin d’ensemble comme des hachures, pour qui sait regarder au-delà du trait, esquissent une silhouette : le désert volcanique, l’écriture comme trace dans le sable ou comme simoun de voyelles, le retour en soi-même dans le dénuement de la conscience, la suspension du temps… Tout cela se glisse dans des images aux multiples résonances, en particulier, dans le premier recueil, les variations sur la blessure ou la fissure — lézarde, cicatrice, convulsions, ornières, fente des falaises…

Ce travail intérieur, de corrosion et de fissures, laisse filtrer par moments des échappées de lumière, qui s’exaltent jusqu’à l’éblouissement dans le second ensemble, Célébration de la lumière. La thématique des failles s’estompe mais reste présente, transfigurée (« la clarté dans la fracture »). L’horizon s’ouvre, mais c’est le même travail entre l’intérieur et l’extérieur : la « foudre du cœur » s’abat sur la palmeraie. Lorsque la blancheur succède aux couleurs et à l’obscurité, l’expérience mystique atteint son comble : comme dans une transmutation alchimique, « le silence nous blanchit ». Le recueil débouche alors sur une discrète thématique amoureuse qui réintroduit le thème de l’autre (« mon aimée, ma lointaine ») dans ce recueil intérieur.

Jean-Claude Bologne

Eric BROGNIET, Sahariennes suivi de Célébration de la lumière, Al Manar 2015, 72 p., 15€.

Le poète de « Le feu gouverne » poursuit inlassablement sa radioscopie des éléments. Le désert, la lumière « noire », « la fournaise du ciel » sont des signes qui explorent cet univers de matières, dont il faut dire tout à la fois le peu, l’incision dans l’espace et la forme poétique choisie sert bien le propos.
« Sahariennes » propose une quarantaine de tercets d’une densité parfois glaçante, pour exprimer cette suspension des espaces pris sous la chape de la chaleur, les « empreintes des caravanes », comme les « graphies » d’éléments mobiles, chahutés par les simouns.
Les sizains (essentiellement) de « Célébration de la lumière » prennent davantage de temps pour dire aussi « l’air brûlé dans le bleu », les « sentiers pleins d’air », « « l’air où rien ne remue », ainsi que les « sables de lumière arasés ».
Un lyrisme mesuré ordonne cette seconde partie d’un livre soigné, qui offre, du désert, des palmes, et du parfum « des amandiers », et ce « noir soleil (qui) toujours nous tanne ».
Brogniet se livrerait-il, sous la métaphore ardente, à une forme de portrait ? Le dernier vers semble nous dire tout le remuement d’un sang qui sait aussi jouir de l’instant, de sa « belle ».

Philippe Leuckx
Association Royale des Écrivains et Artistes de Wallonie

Eric Brogniet, Sahariennes suivi de Célébration de la lumière, Al Manar

Deux suites, qui se répondent ou se font écho, composent ce recueil. La première se termine par ce vers “A la lumière du monde” qui annonce la seconde intitulée “Célébration de la lumière”. Les deux suites ont pour caractéristique de se situer dans le désert.
Je ne ferai pas au lecteur l’injure de citer le bas de la page 49 qui fait état des lieux où a été écrite la première suite ou l’ont inspirée. Je remarquerai seulement qu’elle est composée de quasi-haïkus, des tercets qui ne respectent pas la règle des 17 mores. Ces brefs poèmes sont tantôt descriptifs (“Empreinte des caravanes / Le pied du chameau / L’ornière des pneus”), tantôt interrogatifs (“Quelle présence / De spasme en spasme / Entre la stase et l’extase ?”), tantôt métaphysiques (“L’énonciation / Pas l’énoncé : / Transe thérapeutique”)… Évocation d’un univers où l’humain est réduit à l’état de traces…

La seconde suite, “Célébration de la lumière”, est rédigée en poèmes brefs qui ne dépassent pas les dix vers (en deux quintils) ; deux, trois ou quatre distiques ou deux tercets pour les autres poèmes. Ces poèmes disent une vie intérieure qui débouche sur l’amour, une relation marquée par la plénitude alors que la précédente suite disait un paysage aride où le vide et le rien régnaient en maîtres. Mais de la première à la dernière page, Eric Brogniet évite la mièvrerie.  Peut-on pour autant parler d’expérience mystique ? Je ne sais pas trop ! La couleur réduite à l’air brûlé, le noir de la lumière sont le cadre de cet amour qui prend différentes formes : l’oasis, les nourritures terrestres (le lait de chamelle, les vins de palme, les raisins…) et l’on pense à ce vers de Paul Éluard (“Grandir est sans limites”, extrait de Le Visage de la Paix de 1951, avec vingt-neuf illustrations de Picasso) : les pierres parlent de l’aimée “croissante” et “qui grandit” avec le sang…

Lucien Wasselin, Recours au poème, octobre 2017

Caractéristiques

parution

isbn

978-2-36426-047-4

Auteur

BROGNIET Eric

Collection

Poésie