Description
Huit dessins de Hamid Tibouchi accompagnent les nouvelles de Jean-Pierre Millecam.
Ce jour-là, des trombes allaient s’abattre sur la capitale et, de fil en aiguille, nous conduire à ce café que Jamal allait bientôt nommer notre » Troquet secret « .
Le déluge avait quasiment attendu la fin de la manif avant de se déchaîner. La veille, Foskifo et Beur de Cacao (alias, respectivement, Ould Hennia et Ben Salam) nous avaient conviés à les rejoindre tôt le lendemain à un angle de la place de la Bastille afin de les aider au service d’ordre : l’ennemi pouvait se glisser dans nos rangs et éveiller la frénésie des casseurs – extrémité à éviter à tout prix, car il fallait persuader les caméras que nous ne nous battions pas pour le plaisir, mais pour prouver le sérieux de notre cause : » Le FN, à genoux ! avait décidé Foskifo. Les casseurs, à plat ventre !… »
La manif avait déroulé sur plusieurs kilomètres son écume chatoyante. Le populo se répartissait par vagues : là, un tronçon de front graves, parfois le faciès prudent des leaders politiques en période électorale, plus loin une lourde démarche de pachyderme — des syndicalistes prêts, le cas échéant, à en venir aux mains. Plus loin encore, des banlieusards qui se déhanchaient au son de la darbouka, mobilisant chez d’autres jeunes, certains recrutés parmi les « visages pâles « , les esprits coincés au sein des chairs frustrées qui, d’habitude, attendent la fièvre du week-end pour secouer leurs chaînes. (…)