Description
A la suite de la disparition de Khalil, son maître et ami, Ramzi décide d’armer un navire pour partir à sa recherche. Le périple se transforme peu à peu en un voyage initiatique au cours duquel se succèdent les rencontres, les découvertes, les visions… et aussi les mythes, les légendes, les paraboles, les rêves racontés par ses compagnons, que le narrateur, se fiant à sa mémoire, insère dans le récit qu’il rédige à son retour, tant ils sont liés aux étapes de son propre cheminement. Mais qui est Khalil ? Et qui est Ramzi ? Qu’espère-t-il trouver dans sa quête au long cours ? Jusqu’où parviendra-t-il ?
On retrouve dans ce nouveau livre l’ampleur du ryhme poétique d’Amina Saïd, au service d’une évocation du monde chargée de rêve et de culture.
La critique
Amina Saïd nous donne avec « Les saisons d’Aden » un recueil de poèmes composant le récit du voyage initiatique qu’entreprend Ramzi pour retrouver Khalil, son ami disparu. Initiatique car « tout départ est la distance que chacun de nous crée pour se rapprocher de soi ». Ainsi le conte nous embarque-t-il sur « la mer qui nous remue le cœur » pour courir tous les risques, car « endurer les épreuves de ce monde / est chose infiniment plus
louable que se masquer la vérité » L’écriture d’Amina mêle ici conte et poésie épique : d’îles en tempêtes, et de naufrages en rencontres et métamorphoses, elle conduit au « lent dévoilement du monde », ou du moins à des questions essentielles, par exemple celle-ci : « un navire a une provenance et une destination / ou a-t-il pour seule réalité son passage ? »
Michel Baglin
Une lecture d’Angèle Paoli
“UN PAS VERS LE LIEU DE LA RÉPONSE” (Amina Saïd, Les Saisons d’Aden)
À Aden, les saisons se vivent au rythme des contes qui ramènent au port les voiles ou au contraire les lancent loin des « escarpements rocheux de la côte d’Al-Yaman ». C’est le temps de la mousson d’hiver qui apporte avec lui, ou emporte, aux abords du désert — du désir —, les récits de haute mémoire. Conteuse, héritière des longues traditions orales arabes, la poète Amina Saïd enlève sur ses traces celui/celle qui se risque à suivre ses pas dans Les Saisons d’Aden. Voyage hors des limites du temps, loin des seuils ébauchés par les cartes, le lecteur embarque avec Ramzi, à la recherche de Khalil, l’ami disparu un beau jour sans laisser de signe. Puisque « tout est miroir tout est profondeur tout est signe ». Sur le vaisseau armé par les soins du riche négociant d’Aden, un conteur chargé de maintenir l’équipage en éveil. Lorsque « dans le triomphe du silence » vient l’heure de la parole, le conteur module son souffle sur celui du ney. Montent alors vers la nuit, en même temps que la plainte de la flûte (ney), la voix qui porte les récits. Parfois, répondent en écho les voix des compagnons de voyage qui rajoutent au récit du conteur celui de leurs propres rêves.
Récits du Livre : celui des commencements et de la Création, complété par le conte des Trois Princes et de la princesse « au cœur de glace » ; celui, maritime et divin de Jonas/Younès et de la baleine Noun; celui de Nouh/Noé et de son arche, soulevée par les flots du Déluge « jusqu’au sommet du mont Nour » ; celui de l’oiseau « Anqa qui se nourrit de feu » ; celui de l’ermite qui raconte sa propre histoire et dit avoir aperçu « l’éternel voyageur », celui qui ne possède aucune « demeure fixe ni sur la terre ni dans le ciel ni dans le fond des eaux ».
Par l’entremise du capitaine, hommes et prophètes prennent la parole à leur tour. Les uns pour confier au voyageur les vérités qui toujours se dérobent de génération en génération ; les autres, Moussa (Moïse), Al Khadhir le « Verdoyant », pour transmettre leurs actes à leur serviteur. Sacré et profane mêlent leurs voies/voix, aisément identifiables par le passage à l’italique. Entre ces leçons porteuses de la sagesse orientale mais aussi universelle, le récit principal poursuit son cours. Récit de voyage sur mer et de navigation — dont les péripéties rejoignent celles d’autres lectures, d’Ulysse à Sindabad le marin, de Noun à Moby Dick, de Marco Polo à Lord Jim — que Ramzi s’applique à rédiger à son retour à Aden. Devenu vieux et oublié de nombre de ses connaissances, Ramzi confie à ces pages le souvenir des tempêtes essuyées en pleine mer, des affres de l’angoisse provoquée par la descente aux enfers dans « la mer de la mort » et la vision de la géhenne ; ou tout au contraire le souvenir délicieux de l’harmonie entrevue au cours de séjours vécus dans les îles bienheureuses. Il dit les connaissances acquises au cours de la navigation, « la poésie des vagues », les rencontres avec les monstres redoutables, la terreur des hommes et leur vaillance, les heures passées à égrener le chapelet d’ambre donné par l’ami. Toujours, au plus fort du désarroi comme aux instants de délices, Ramzi poursuit sa quête de l’ami perdu, « pèlerin perpétuel » qui « avait échappé à tous les liens ». Toujours le guette, tenace et douloureux, le souvenir de leur complicité passée, de la richesse de leur échange. Au-delà se dessine cette vérité :
« Je suis lui il est moi j’ai trouvé l’autre moitié de mon âme
son absence n’a été qu’une longue absence à moi-même
je n’ai fait que chercher ce qui jamais n’a été perdu… »
Peu à peu, la mélancolie liée à la quête sans fin se change en sérénité. La sagesse est au bout du chemin, qui révèle à Ramzi « la profondeur des choses ». La leçon d’Al-Khadhir le « Verdoyant », « patron des navigateurs », guide Ramzi vers son centre. Et vers l’exil définitif.
« Cherche la réponse en ce même lieu d’où t’est venue la question », écrit Jalal-ad-Din Roumi dans le Mathnawi. Au terme de son voyage et de sa quête initiatique, Ramzi comprend que le lien tissé avec l’ami ne se rompra qu’avec la mort.
À travers la complexité d’un texte admirable et envoûtant, Amina Saïd conduit une réflexion de grande envergure. Mais toujours le souffle poétique est au cœur de l’écriture du poète.
« Par le poème
par ce qui tremble
et brûle dans ses ailes
s’affranchir
du poids du monde »
écrivait hier Amina Saïd dans le recueil De décembre à la mer. À ces vers, elle répond aujourd’hui dans Les Saisons d’Aden :
« le poème du monde s’écrit avec le corps
et l’esprit de l’homme comme calame
trempé dans la lumière de sa vision ».
Angèle Paoli
Le Soir Echos (Maroc)
« Culture » Amina Saïd et Les Saisons d’Aden, jadis
Publié le 10 novembre 2011
Chercherait-on une preuve de la prééminence de la poésie sur le roman que l’on pourrait presque en découvrir quelque indice à la lecture des Saisons d’Aden (Al Manar, 2011) que signe Amina Saïd, Franco-Tunisienne universelle qui, depuis 1997, a traduit de l’anglais sept romans de F. Sionil José, grand écrivain philippin.
Le pouvoir de la poésie apparaît nettement à lire Amina Saïd, et ce n’est pas d’hier. Dès 1980, elle publiait Paysages, nuit friable chez Barbare, c’est-à-dire là où Abdellatif Laâbi voyait ses livres édités par son ami Ghislain Ripault, du temps où nul académicien Goncourt ne se serait avisé de le lire encore moins de le faire lauréat du Prix Goncourt de la Poésie.
Amina Saïd en est à son quinzième recueil, trente ans plus tard. C’est dire la fécondité de son inspiration. Elle a plus d’une corde à son arc, de la méditation abrupte à la rêverie sans ruse. En outre, elle possède un tempérament de conteuse (confirmé par la publication de deux volumes de contes de Tunisie : en 1994 chez Critérion et en 1997 à L’Harmattan). Ce goût pour le récit magnifié trouve son plein épanouissement dans Les Saisons d’Aden, sans que le souffle poétique n’en pâtisse. C’est ce mystère-là qui fait songer à une prééminence de la poésie sur le roman : la persistance d’une musique intérieure et sa propagation de vers en vers.
À Ramzi fils de Soulaïman fils de Fadhlan, fils de Hassan al-Badr, paisible négociant établi à Aden qui va se retrouver à la tête de plusieurs navires, Amina Saïd fait dire « la mer tenait une grande place dans la géographie de mes rêves ». On a connu sa poésie plus inquiète, mais l’iode lui réussit manifestement.
Ce qui séduit désormais dans la production si abondante d’Amina, c’est une éloquence dans le partage d’expériences et d’explorations qui sont tout à la fois documentées et rêvées. La reconnaissance de l’originalité de sa vocation commence à venir. Au moment où l’auteure de Marcher sur la Terre (La Différence, 1994) n’est pas loin de nous inviter à… marcher sur l’eau, voici qu’un choix de ses poèmes écrits entre 2000 et 2009 paraît en anglais dans une traduction due à Marilyn Hacker, The Present Tense of the World (Black Widow Press, Boston, 2011). Il s’agit d’une édition bilingue, si bien que ce volume pourra avoir une utilité pédagogique.
Les Saisons d’Aden retentissent d’un lyrisme clairement puisé dans la tradition poétique arabe. Voici que Ramzi arme un navire et engage « un capitaine expert dans l’art de la navigation ». Il s’apprête à traverser les sept mers sans l’assurance de trouver l’ami Khalil : « vient la saison d’Aden vient le moment du départ / quand souffle le vent de la mousson d’hiver / du seul songe de la lumière sur la mer / la terre soudain se fait obscure/ confiance est alors le nom de ton bateau / foi ton gouvernail espérance l’autre face de ton angoisse / mais entre le scintillement des eaux et celui des étoiles / que peut redouter l’homme de bien des périls de la traversée ? / et le risque n’est-il pas frère du salut ? »
Le poème nous entraîne « sur la chair liquide du monde ». L’éloquence frise parfois la grandiloquence : « comme au jour de la création / l’étendue liquide réfléchissait l’immensité du ciel. » Or ce a quoi parvient précisément Amina Saïd, c’est à communiquer l’exaltation, à nous la rendre mieux que plausible, palpable.
Chaque vers nous semble bientôt un flot parmi les flots. Le voyage est naturellement initiatique ; il s’accomplit au centre de l’énigme la plus bouleversante. Tandis que les marins sont « entre les mains des éléments », les lecteurs se savent, eux, entre les mains des mots : « face à l’océan le péril le sentiment sublime de l’infini / et l’esprit qui s’ouvre aux grandes lois du monde ». Le récit sinue, accoste, dérive, tourmente, apaise, rumine ou est chanté presque. Le récitant, en fin de course, n’aura été corsaire que de soi : « à défaut de trouver le lieu de la réponse / j’étais parvenu au lieu de la question / ce lieu n’était autre que moi-même. »
Il devient patent que la quête à laquelle se livre Amina Saïd sous le masque du conte, c’est la quête de la conscience de soi, laquelle passe par l’hypothèse que « peut être verrons-nous briller des soleils pour tous ».
Salim Jay
Christian Désagulier, CCP n° 23, mars 2012
Quelques commentaires sur l’œuvre d’Amina Saïd
» Une dialectique constante des complémentarités et des séparations hante cette poésie, dont l’une des composantes est l’attachement inquiet aux deux rives de la Méditerranée. L’errance est une origine et un destin. Prise de vertige, la parole funambule oscille sur le fil des mots. La double appartenance légitime la quête du lieu, comme elle génère la prolifération du double et des oppositions. Cette poésie, toute d’alliances et de métamorphoses, acquiert une dimension cosmique tant l’être y est en symbiose avec les éléments. […] Une parole intense, dictée par l’absolue nécessité, une œuvre mouvante et émouvante qui atteint à l’universel. »
Ghislain Ripault
» Il faut croire Amina Saïd sur parole. Elle est l’enfant du verbe labouré par l’insondable mystère des choses, la complexité des astres, la faille entre le désir et la vécu, la tentation du silence. Elle se bâtit un corps avec la chaux vive des illuminations. Mise à nu, mise à mort, mais aussi naissance au plus profond du ventre maritime de la parole, mordue par la terreur et l’extase. » André Laude
» Ce poète interroge la place de l’être au monde à partir des profondeurs cosmiques qui l’entourent. […] Une telle parole cherche à nous ramener vers la symbiose du vertige créateur. » David Cantin (Le Devoir, Montréal)
» Amina Saïd écrit à mi-voix un hymne empreint de la résolution et de la mélancolie antiques, allant sans faillir sur un « sentier de lumière ». » Claude Michel Cluny (Lire, Paris)
» Une indépendance ombrageuse caractérise cette poésie. Le souci d’une intégrité également. Un verbe concis et sobre, travaillé par autant d’exigence que de permanente inquiétude, nous entraîne toujours plus loin vers le gouffre innommé de notre intériorité… » Tahar Djaout (Algérie-Actualité)
» Entre extase et philosophie, [Amina Saïd] a sa rigueur propre. » Alain Bosquet (Le Figaro, Paris)
» Amina Saïd a le secret de conduire son lecteur à la lisière d’un monde où les mots se transforment en perles de lumière, car il s’agit là d’un voyage initiatique… » (Le Temps, Tunis)
» Pur, sobre, limpide, le verbe d’Amina Saïd est de ceux qui confèrent aux lettres françaises du Maghreb leur importance. » (Libération, Paris)
» De grandes constantes traversent cette poésie : une voix parle de l’intérieur… » (Sindbad, Maroc)
» Une clarté apparaît au fil des pages, lumière d’un partage qui est une opération physique de la générosité, une incarnation des phrases en acte de sens. » (Esprit, Paris)
» Une poésie juste qui ne se contente pas de paraphraser la vie. Elle est la vie… « Le Renouveau (Tunis)
Travaux académiques sur la poésie d’Amina Saïd
– Convergences et fractures de deux mondes : l’Orient et l’Occident chez Amina Saïd, par Grazia Rita Salonna (université de Bari, Italie, 1995)
– Du berceau méditerranéen à l’esthétique de l’hybridation, le cas d’Amina Saïd et de Chams Nadir, par Ilaria Bruno (université de Bologne et université Lumière-Lyon 2, 2008)
– Le Paysage dans l’œuvre d’Amina Saïd, par Ines Moatamri (université François Rabelais, Tours, 2008).
Peintures
Et le jour se fait femme, 27 tableaux du peintre Nichole Ouellette (Québec) à partir d’extraits de Sables funambules (exposition salle J. A.-Thompson, Trois-Rivières, Québec, 1er octobre-1er novembre 1993).
Poèmes mis en musique
Sous le titre Le Livre de sable, le pianiste et compositeur Thierry Machuel a choisi un ensemble de poèmes d’Amina Saïd pour le chœur de chambre mixte Mikrokosmos, vidéo d’Antonella Bussanich (création : Cité de la musique, Paris, 2003).
Raphaël Terreau, compositeur, a mis en musique deux poèmes pour Alphabet des nuages (CD, Vocations Records, 2007).