Description
Ecoutez la chronique de Djilali Benchikh, sur Radio-Orient :
Le Courrier de Genève, 28/03/2009
Les dits du fleuve, de Tahar Bekri
64 poèmes formant un ensemble fluide et puissant ou réciproquement un long et sinueux poème qui va va de la source à l’estuaire et, dans le même temps, remonte de la mer à ses origines poétiques en revisitant les lieux névralgiques et les souvenirs de ses crues et de ses périodes de sécheresse.
Un constat épouvantable aussi: celui d’une terre et des peuples qui l’habitent, dévastés par l’avidité meurtrière des passions humaines les plus incohérentes qui soient .
« A Sarajevo/ Ils brûlèrent l’illustre bibliothèque/ Où je veillais sur ta mémoire »
Le poète tunisien Tahar Bekri, qui écrit aussi bien en français qu’en arabe, apporte beaucoup plus qu’un témoignage. Il éprouve l’unité vivante à travers la diversité des lieux et des cultures. Le Nil et le Jourdain accompagnent la Seine, L’Oued de son enfance qui traverse la palmeraie n’a rien à envier au Saint Laurent. Il nous enseigne la marche lente, patiente où l’amour et le poème se partagent la fraîcheur de l’aube et la fournaise des déserts.
Voleur de lumière/ Le coeur transhumant/ Au gré des errances »
Un petit livre doublé d’un voyage au long cours, un voyage initiatique semé d’embûches, de luttes, de tragédies, d’épreuves mais surtout une méditation « Loin de la résonnance des tombes, Loin de la clameur orpheline ». Le poète nous invente « …des nuits plus étincelantes que les astres ».
Au bout du compte, douceur et silence finissent par l’emporter sur l’agitation stérile des hommes.
« Ici la course s’achève/ Et la mer te vaincra// Mais rien ne te limitera/ Si tu mêle ses eaux à ton sel » (LVII).
Joël Leick a illustré ce livre édité par Al Manar (Poésie du Maghreb), 2009.
Andre Chenet, www.poesiedanger.blogspot.com
Denise Gellini, à Tahar Bekri
J’ai pris le temps de savourer Les dits du fleuve et j’ai retrouvé avec plaisir votre voix généreuse, votre goût pour parcourir le monde, « rompre les amarres »et céder à l’appel du large.
J’ai apprécié le titre qui rassemble dans le singulier « du fleuve », tous les longs chemins liquides, parcours immémoriaux et lieux de vie, où se sont rencontrés et mêlés les hommes ; et toutes leurs histoires, de guerre et de paix, leurs établissements, leurs jardins et leurs villes, les ponts qui unissent ou qu’ils détruisent – qui dira la tristesse du vieux pont de Mostar ?- ce sont « les dits » que le poète voyageur-fleuve évoque avec des images empreintes de tristesse face à la beauté du monde souvent saccagée.
Il y a la voix du poète qui dénonce la stupidité avide des hommes, il y a aussi « la nature »qui nous offre son printemps tranquille après avoir rappelé par la violence de la tempête et la crue du fleuve voisin qu’il convenait de vivre avec plus d’humilité.
Double leçon…mais je préfère votre humanisme aux soubresauts des éléments.(!)
Denise Gellini
Centre de Recherches Poétiques-Université de Pau
Tahar Bekri, le funambule des océans
(MFI) – On ne présente plus Tahar Bekri. Né en 1951, à Gabès, en Tunisie, il est l’auteur d’une œuvre poétique de grande qualité, scandée par la nostalgie et la quête de l’absolu. Exilé en France depuis plus de trente ans (1976), il écrit en français et en arabe. Sa poésie a été traduite dans de nombreuses langues. Son nouveau recueil, Les dits du fleuve (Edition Al Manar), raconte la mer : ‘Il y a longtemps que je n’ai pas vu la mer… ‘ ; ‘Je ne suis ni gouverneur de la rosée/Ni capitaine des sables/Mais le funambule des océans’. Le poète est hanté par cette mer océane aux trésors enfouis qu’il a laissée derrière lui en quittant son pays natal et dont il tente d’atteindre depuis ‘les rives miraculeuses’. Tous ses efforts, ses pensées tendent vers elle, vers cette mer originelle, mais aussi ‘mer ultime’ dont les vagues sont des échos de la ‘désespérance des migrateurs’
Tirthankar Chanda
Tahar Bekri, Les Dits du fleuve
Notes de lecture par Gabriel Okoundji
Le rêve s’élargit en son point de vérité dans le regard de qui sait voir la terre dans sa complexité. C’est de cela que semble nous conduire à méditer Tahar Bekri dans cet ouvrage au format qui se tient aisément dans la paume de la main.
Le poète s’exprime ici dans une langue qui invente les nuits plus étincelantes que les astres. Il vogue « corps et âme dans la dérive des continents » (P.8), au gré des flots d’un fleuve qui serpente la terre du nord au sud, de l’est à l’ouest, traversant des oliviers centenaires, des eucalyptus à l’écorce renouvelée, des lauriers roses et amers, etc.
À parcourir ce livre, nous vient immédiatement en écho l’inusable doctrine d’Héraclite fondée sur l’écoulement universel des choses : « Tout s’écoule », disait Héraclite ; « rien ne demeure. Le même homme ne descend pas deux fois dans le même fleuve ». Tahar Bekri, bien évidemment, ne l’ignore pas, lui dont la sève de vie est « Née des torrents et de la patience des berges » (P.16). Voilà pourquoi, à la vue de chaque fleuve, attiré, il « descend » dans le cours qui est celui de la Seine, celui du Nil, de la Nubie, du Tigre, de l’Euphrate, de l’Amour, du Gange sacré, de l’Ankou, du Niger, du Congo, etc.
Lors de ces traversées, le poète garde sa lucidité. Il sait ce qu’il n’est pas et il l’exprime dans un clin d’œil adressé à Jacques Roumain et Jorge Amado :
« Je ne suis ni Gouverneur de la rosée
Ni capitaine des sables
Mais le funambule des océans » (P.15)
Ce « funambule des océans » ne peut cependant pas s’épargner les réalités de la terre. Le voilà malgré lui, témoin des guerres de Sarajevo, de « Ce sang qui soude les flots » sur les berges du Congo, de ces pratiques ignobles des « marchands de sommeil », de l’impunité de ces « sangsues habillées en mercenaires » … Excédé, le poète implore Moïse et, en guise de catharsis, pousse un cri profond : « Je hurle à la lune » (p. 71). Dans ce hurlement, demeure vivace la charge d’inquiétude, d’interrogation et de mélancolie que charrie ce chant poétique à l’écriture concise.
« Au fond de moi
S’endorment des pierres
Leurs fêlures
Brisent le sommeil
Qui sait
Les galets naîtront ainsi plus tendres » (P.62)
Toujours à propos de l’âme des fleuves, le très généreux poète Jean L’Anselme écrivait en 1952 :
« Moi, dit la Seine, je voudrais être la mer pour avoir des enfants qui jouent avec le sable ». De quoi nous consoler après la traversée des Dits du Fleuve ; de quoi apaiser la panique des poètes.
Gabriel Okoundji
Cultures Sud, octobre 2009
Poésie
Écrit par Hassen Bahani
02-06-2010
«Les dits du fleuve» de Tahar Bekri
Poétiser sur le mode du jaillissement
«N’eût été
Cet appel du large…», le monde n’aurait pas pris figure de poésie, n’aurait pas embrassé ce jaillissement tumultueux des mots sur les promesses de visions toujours neuves que Tahar Bekri tisse en français et en arabe pour les nommer «Poèmes à Selma» (Chez L’Harmattan, 1991), «Journal de neige et de feu» (L’or du Temps, 1997), «Le vent sans abri» «Ed.Sygnum, 2002)» «Les Songes impatients» (Ed.Aspect, 2004), «La brûlante rumeur de la mer» (Al Manar, 2004) etc…
«N’eût été
Cet appel du large
Pour rompre les amarres
Mon eau lisse
Serait devenue carapace de tortue»,
Ecrit Tahar Bekri dans le présent recueil nommé «Les dits du fleuve», pour continuer l’éprouvante régénération d’un flux de départs vers les rives d’autres langages à inventer. Toute glissant, mouvementé, de cet entre-deux pour sillonner la terre et le temps de l’Homme, sans haltes, dans un désir de dépassement. Les mots sont fixés sur les mâts d’un espace mobile; où ils se portent, ils édifient un autre territoire de rêves. Ils sont chargés de mythes, d’histoire et de destin. De visions philosophiques aussi. Et le poète «se fait fleuve» pour rejoindre l’espoir à éteindre et le langage à inventer. Il est en quête de beauté et de sagesse, pris dans les tenailles de la gravitation humaine, entre abîme de l’angoisse et euphorie de l’amour, pris dans les tourments d’un exil de mer, avec pour seul complice les feux de la parole et pour seul horizon la marche brûlante à l’isthme des continents.
Le poète est ce feu ardent lancé au cœur des tempêtes de la vie.
«Je criais aux occupants
Ne jetez pas toute cette neige
Sale et piétinée
Dans mes fonds
Je ne suis ni le dépotoir
De vos moteurs fielleux
Ni la poubelle de vos couchants
Mais le feu ardent
Amant fait de tous bois
Je languis de la mer
A l’épreuve des tempêtes».
Il est celui qui voit dans les remous de la vieille mer, «les gémissements du désert en lambeaux», les réverbérations et horizons de sens. Il perçoit la pensée des choses, leurs mouvements, leurs vérités, leurs incertitudes, leurs rumeurs. Et sa poésie doit pouvoir réaliser la jonction, la pensée de l’homme et la pensée des choses, la réalité de l’espace et celle du temps, le sens du passé et celui du présent.
Exprimer les limons de l’Histoire relève du seul regard des poètes remplis de cette «brûlure d’espaces», que Tahar Bekri explore avec le don d’un geste unique, d’un mot altier, d’une figuration instantanée, d’une sensation furtive, d’une mémoire vive, d’un existence abrupte, d’une fin annoncée
«Dites-moi, météores
Qui peuplez la visite éphémère
Comment éclairer la nuit…»
Le Renouveau,
11/06/2010
***
Tahar Bekri, Les dits du Fleuve, (photographies de Joel LEICK), Ed. Al Manar 2009, 75 pages. ISBN : 978-2-913-896-67-3
Composé de 64 chants, le nouveau recueil de Tahar Bekri épouse le mouvement d’un fleuve qui charrie dans son débit à la fois les convulsions du monde et la sagesse de la nature. Cette poésie favorise allègrement l’éclosion des métaphores dans le seul but de discourir sur l’état inquiétant et troublant du monde. A la manière des Vents de Saint John Perse, le Fleuve de T. Bekri avance lui aussi à travers le monde, avant d’atteindre la mer, et croise au fil de sa traversée la grandeur et la petitesse des humains.
C’est dans le partage
Des cimes des montagnes
Que les fleuves reconnaissent
Leurs sources
Leur cours
Comme mélancolie rebelle
Habitée par la panique des poètes (p12)
K. Ben Ouanès, M.Jabbéri et C.Harbaoui
***
« Les poètes ont toujours été là pour dénoncer les tyrans, pour défendre la liberté, pour chanter l’amour, pour abolir les frontières, pour protéger la nature, pour dévoiler les vérités humaines, pour » donner à voir » et à émouvoir. »
C’est ainsi que Tahar Bekri, poète né en 1951 à Gabès en Tunisie, et vivant à Paris, parle du rôle du poète en société. Poète en deux langues, naviguant entre le français et l’arabe, la poésie de Bekri est publiée aux éditions Al Manar, « le Phare » en arabe,
maison indépendante parisienne liée à la galerie d’art qui porte le même nom à Casablanca. Poésie, littérature et peinture du Maghreb, cette maison publie en 2009 « Les dits du Fleuve », un recueil de poèmes de Tahar Bekri, qui reflète une parole intérieure qui traverse le temps et l’espace en quête d’infini.
Gwenaëlle Abolivier, France Inter, 21/04/11
Les dits du fleuve de Tahar Bekri
illustrations de Joël Leick, éditions Al Manar
Dans le lit des fleuves soufflent les vents. Et les poèmes disent notre besoin de revoir la mer. Un « dit » est un poème au Moyen-Âge. La définition paraît insuffisante à propos du recueil de Tahar Bekri, composé au gré des voyages et conférences à Québec, Guadalajara, à Boston et Sarajevo. Le poète part à la rencontre des grands fleuves départagés par les montagne ; il les entend et les laisse parler par sa voix :
« Que je m’appelle Tigre
Ou Euphrate
Qu’importe
Qui dira aux peupliers la déroute des palmeraies
Désertées par les colombes… »
Le fleuve est nomade, richesse, il irrigue les continents, témoin des pillages, du martyre des femmes exploitées, victimes des razzias.
« Cette eau douce que je t’apporte
Pour apaiser ton sel
Ne me dis pas qu’elle porte
Tant de naufragés
Comme bêtes empaillées
Par la ruse des passeurs
Fugitifs de l’illusion
Jetés à la confusion des certitudes «
Une fois que le le lecteur a compris la disposition stratégique du poète et ses thèmes, il peut librement se promener d’un poème à l’autre, se laisser surprendre, emporter par le lyrisme de l’inspiration épique et revendicatrice. Adopter le nomadisme dont ils rendent compte, entrer dans une commune fascination pour les éléments liquides, découvrir toujours en aval les arbres et leur verticalité qui sert de repère (olivier, eucalyptus). Un homme se veut toujours en transit quelque part.
La rêverie est une sève offerte. Parmi tous les lieux et sites historiques arrosés (l’Egypte des pyramides), le fleuve participe au culte solaire et à la douceur des bords de la Méditerranée, du golfe de Gabès en particulier, le pays natal.
Comme le bateau ivre de Rimbaud, le fleuve raconte son aventure. Le contexte n’est plus vraiment imaginaire, c’est l’humanité – la société des pêcheurs et des agriculteurs – qui parle à travers le courant.
Le poète construit un humanisme contemporain, d’œuvre en œuvre, après une inspiration tournée vers la culture uniquement arabe, laïque et militante (Les Chapelets d’attache, 1993).
Le recueil se glisse dans une poche, dans un filet destiné au passager d’avion.
Trois gravures de Joël Leick accompagnent et renforcent la rêverie abstraite du voyageur.
Christian SAMSON
nancy.aspect.editions