Description
Ce que je voudrais par dessus tout
une nuit
dormir
comme une loire
Le titre que Marie Huot donne à son livre, Le nom de ce qui ne dort pas, aux éditions Al Manar, ne fait pas mystère du sens de la recherche où elle va nous entrainer pas à pas, poème après poème : non seulement de ce qui ne dort pas, mais conséquemment de ce qui empêche la narratrice de dormir.
Il y aura, dans la résolution du dilemme, des avancées, des surgissements d’indices qui laisseront espérer qu’on approche d’un éclaircissement, des souvenirs : par exemple,
Quelque chose dont j’ignore le nom
est enterré sous la neige
à un petit carrefour de Colmar
mais aussi des espoirs déçus, des rappels à la réalité : bien que le moteur de l’ouvrage soit un lent dévoilement, nous ne sommes pas dans un polar dont l’énigme sera en fin de compte résolue, mais dans une écriture poétique, cherchant à se saisir de choses imperceptibles, de silences inclassables, de résurgences.
J’ai voulu prendre la poésie entre mes doigts
l’ai attrapée délicatement
mais comme la queue du lézard elle s’est coupée en deux
ne laissant dans ma main qu’un petit bout vivant et froid
une chose écailleuse dont je n’avais rien à faire
et qui manquait cruellement à la bête
Dans le jeu de mémoire où nous entraine la narratrice, surgissent ici des lieux (ce mystérieux Tchevengour, chemins de farine et de neige, seulement nommé un fois, à la différence du ressassement autour du carrefour de Colmar) et aussi et surtout le nom du père en même temps que la voix de l’enfant, voix de contrebande, chantonne des refrains, des bribes de comptine : de chifoumi au grelin grelo combien j’ai d’pierres dans mon sabot. Tout cela en vain ?
Jamais rien ne sera rendu et on ne se baigne jamais deux fois, mais ici s’ébauche mon voyage vers le bien-aimé défunt.
Mais au terme de ce voyage, qu’y avait-il d’autre à trouver qu’une suite jamais achevée de poèmes, dont il nous revient, lecteur et jouisseur, d’apprécier le charme mélancolique et la délicatesse ?
Ma voix brûlée demande :
Qu’as-tu enterré sous la neige derrière le tas de bois
à ce carrefour de ColmarComment crois-tu que les choses arrivent
petite oiseau ?Retourne sur tes pas
c’est un travail de patience
une épuisette
avec quoi tu voudrais vider la rivièreFemme soucieuse
entre ciel et eau
comme elle est fragile la ligne de flottaison du chagrin
Claude Vercey, Décharge, 28 octobre 2020
Poezibao : Marie Huot, “Le nom de ce qui ne dort pas” et “Lampe-tempête”, lus par Jacqueline Merville
Jacqueline Merville traversant ici deux livres de Marie Huot parus chez Al Manar montre que “la vulnérabilité est un pouvoir”.
Marie Huot, Le nom de ce qui ne dort pas, Al Manar 2020, 15€
La vulnérabilité est un pouvoir
Marie Huot vit au seuil d’un grand Delta, les Camargues sont à portée de pas. On est très vite sur le rivage de la Méditerranée, immense espace liquide comme le fleuve qui s’y jette durant ses crues. Dans ses poèmes, c’est là, dans cette géographie, que voyage l’âme de ses morts et mortes. Dans son livre paru en 2020 chez Al Manar « Le nom de ce qui ne dort pas », elle y cherchait la voix de son père dans « la nuit de la nuit » à la manière d’une chamane interpellant le fleuve, les grandes eaux, les oiseaux.
Elle écrivait avec sa voix blanche, sa voix bleue, sa voix de cheval, de fausset, de contrebande.
« Ma voix brûlée demande :
Qu’as-tu enterré sous la neige derrière le tas de bois
à ce carrefour de Colmar ? »
Il y a des années, dans une vieille cave viticole battue par le mistral et la pluie, j’avais pour la première fois entendu Marie lire ses poèmes. Sa voix caressait les éléments en furie, allait avec eux sans les combattre. J’ai pensé, cette poésie-là est faite d’eau, de vent, est-ce pour cela qu’elle brasse le cœur sans avoir recours à aucun ornement ?
Son écriture installe des images faites de simplicité puis bascule soudainement ailleurs. Une sensibilité faite de délicatesse, de retenue, mais aussi de brefs coups de couteau.
On lit le noyau d’une vulnérabilité sans fard, sans chichi, de cette vulnérabilité de l’enfance. L’enfance est inquiète, elle cherche à épouser la vie des herbes, rivières, nuages, pour pouvoir respirer. L’amitié avec l’autre, avec la terre, serait la clef du secret. Ce n’est pas une posture candide, au contraire une incandescence affirmée, une voix de femme nous raconte de la mort, de la vie, cette énigme, et cela sans les détours de l’abstraction. Son dernier livre « Lampe-tempête » un opuscule dédié à la mémoire de Sarah, cherche lui aussi : où existons-nous après la mort ?
« Nous avions une petite sœur » ce vers ouvre 8 des 11 poèmes courts, chaque vers commence par une majuscule. Il y a de la liberté dans tout ça, celui de la langue du cœur, de sa respiration, un parti-pris pour bâtir la geste et le pouvoir de la vulnérabilité dans notre monde broyé par la brutalité, les tueries, la haine, le virilisme.
Marie Huot, une voix, fragment de la grande fresque du travail d’hier et d’aujourd’hui avec la langue, travail allant des déconstructions admirables de certaines voix jusqu’aux souffles éreintés ou épiques d’autres voix. La langue vit et toute manière de vivre avec elle est précieuse. Il ne faudrait pas en négliger certaines. Et comment ne pas ajouter que Marie Huot sert depuis longtemps, avec obstination, contre vents et marées administratives et budgétaires, les livres, la poésie en particulier, à la Médiathèque Van Gogh à Arles.
Jacqueline Merville
Marie Huot, “Le nom de ce qui ne dort pas”, Al Manar 2020, 15€
Marie Huot, “Lampe-tempête”, Al Manar, 2022, 12 €
Extrait de “Lampe-tempête”, paru chez Al Manar fin 2022 et accompagné d’un dessin de Bessonpierre.
Nous avions une petite sœur
Elle aimait London et Lorca
Ils attisaient ses frontières
Lui souffraient de dangereux voyages
A Grenade on entendait pleurer dans les
jardins
La blancheur de Grenade
La neige la neige de Grenade
Les beautés silencieuses de l’Orient
Là où se nouaient des histoires
Qui n’étaient pas des nœuds
Mais des ponts
London Lorca et notre petite sœur
Ont fermé leurs yeux à la même heure