Description
Le Jardin d’Afrique, lieu-dit pour un non-dit est un projet collectif dicté par l’urgence de l’actualité. Ce texte en prose poétique suivi de la nouvelle Amers est d’abord né de rencontres.
Celle avec l’artiste humaniste Rachid Koraïchi, qui a dessiné et construit un cimetière œcuménique pour migrants à Zarzis, en Tunisie. La musicienne Aurélie Allexandre d’Albronn et l’autrice Isabelle Junca se sont rendues en ce lieu pour écrire ce texte à deux voix, devenu le livret de l’œuvre lyrique du même nom composée par Benjamin Attahir.
Aurélie Allexandre d’Albronn, violoncelliste, chambriste et Directrice Artistique de l’ensemble à géométrie variable Les Illuminations donne là son premier texte.
Isabelle Junca, poétesse et autrice sensible aux questions liées à la Méditerranée, aime à collaborer avec des artistes de tous horizons. Ses textes sont notamment publiés aux Éditions Al Manar.
LA CRITIQUE
Le jardin d’Afrique, l’émouvant tombeau des exilés de Benjamin Attahir
Créé dans le cadre de la saison de l’Atelier lyrique de Tourcoing, Le jardin d’Afrique, « opéra de chambre » de Benjamin Attahir, porte par la musique l’urgente question de la tragédie des migrants, mourant par milliers sur les côtes méditerranéennes… mais également sur les côtes du nord de la France.
L’oeuvre se veut « opéra de chambre ». Mais, sans réelle action ni personnage, c’est avant tout un drame lyrique, un oratorio des temps modernes, pour trois voix et neuf musiciens, portant un message universel d’humanité. Le jardin d’Afrique, sous-titré « Lieu-dit pour un non-dit« , œuvre du compositeur français d’origine libanaise Benjamin Attahir, créée à Tourcoing, est avant tout l’histoire d’un lieu qui questionne notre temps.
Ce Jardin d’Afrique existe réellement : créé en 2021 par l’artiste Rachid Koraïchi à Zarzis, petite ville tunisienne face à l’île de Djerba, il offre une sépulture digne aux disparus anonymes noyés en mer Méditerranée en tentant de rejoindre les côtes européennes. Ce lieu émouvant, cimetière œcuménique ouvert à toutes les confessions (musulmane, chrétienne, juive, bouddhiste) et aux athées, « demeure de fraternité et d’humanité », a suscité un texte bouleversant co-écrit par Isabelle Junca et Aurélie Allexandre d’Albronn, directrice artistique de l’ensemble Les Illuminations. C’est cette dernière qui suggère au compositeur Benjamin Attahir de mettre ce livret en musique, langage universel par essence.
Le jardin d’Afrique, peut donc être considéré comme une création collective, d’abord conçu comme une pièce pour une seule voix et trois violoncelles, puis élargie à la dimension « d’opéra de chambre » pour trois voix et neuf instrumentistes.
Trois voix qui sont comme trois paroles distinctes, la Description, la Poésie et le Destin. Mais également trois voix comme les trois religions du Livre, le judaïsme, le christianisme et l’islam, réunis dans ce même « lieu-dit pour un non-dit« . Et il n’est pas étonnant que la voix féminine soit revêtue du bleu de Marie, tandis que les voix masculines portent les robes du soufisme, la voie mystique de l’islam.
A partir de ce texte émouvant et dense, Benjamin Attahir a composé une partition d’une grande richesse sous ses apparences d’austérité atonale, jouant sur les contrastes sonores d’un instrumentarium inédit où les musiciens se démultiplient et alternent entre modernité et tradition: trois violoncelles, mais également un important jeu de percussions, flûtes (à bec et traversière), basson, harpe et archiluth aux accents parfois de oud oriental, saxhorn (sorte de tuba) et cet antique serpent, instrument à vent à la sonorité grave et envoûtante.
Le jardin d’Afrique se déploie ainsi comme une cérémonie, obligeant au recueillement. La mise en scène, de Pénélope Driant et Clémence de Vergnette, est sobre et pudique, tout en symboles, quelques jeux de lumière, des ombres versant du sable, des fleurs et des rameaux d’olivier parsemant la scène. Et c’est dans le recueillement absolu, chaque musicien quittant un à un la scène après l’offrande de leur partition, que s’achève ce Jardin d’Afrique à la portée universelle.
En 2024, plus de 70 migrants sont morts noyés dans la Manche, en tentant de rejoindre les côtes anglaises sur de frêles embarcations. A quand un « jardin d’Afrique » sur les côtes de Calais ou de Dunkerque ?