L’anneau

20


600 exemplaires sur Bouffant

Le livre

« Moi, c’est le loulou de Poméranie qui me faisait peur. Lorsqu’on entrait dans notre immeuble, sitôt montées les trois marches qui nous séparaient du palier, les aboiements furieux me faisaient reculer. Il fallait pourtant que j’aille au bout du couloir d’entrée, jusqu’aux escaliers, et gagner sur les hauteurs notre appartement. Sauf que la porte de l’endroit où habitait ce chien était juste en face de l’ascenseur. Alors là c’était le déchaînement. Jappements et hurlements du loulou qui se jetait contre le bois. Ma terreur était que Madame Picard ouvre sa porte pour nous saluer et que le chien se jette à mordre. Les chiens chez nous n’étaient pas commodes. Dans toutes les rues où erraient les molosses, Galoufa les traquait avec sa gaffe pour les mener à la fourrière. Un étage en dessous, les Spinosi avaient un couple de fox-terriers élevés à la ferme et dressés à attaquer les Arabes – disaient leurs maîtres, qui en avaient grand peur −, mais un jour que l’un d’eux s’était échappé, il avait mordu la mère Corot aux fesses alors que, dressée sur ses talons, elle ouvrait sa boîte aux lettres. Certes, elle avait crié en moulinant des bras et la maîtresse du cabot était accourue : « Vous allez me payer une nouvelle culotte », voilà ce qu’avait dit la voisine vilainement offensée. »

L’anneau, l’anneau merveilleux, le mirifique anneau, c’est le kholkhal que portait la mère au temps où juifs et musulmans vivaient « séparés, mais ensemble » dans cette Algérie qui a disparu sous tant de couches de ténèbres – et dont l’auteur se souvient, ébloui.
Sous la plume alerte d’Albert Bensoussan, traducteur émérite de l’espagnol, mais aussi – mais surtout ? – nouvelliste et romancier, c’est Alger d’avant et d’après-guerre qui revit, Alger l’arabe, Alger la juive, Alger des jeunes amours et du temps retrouvé – dans l’émotion de qui l’a vaiment aimée, et vraiment perdue.

Description

La critique

« L’anneau » par Albert Bensoussan

Nous connaissons l’Albert Bensoussan traducteur du meilleur de la littérature latino-américaine, ce voyageur infatigable à la découverte de ces chemins traversant le monde et les hommes. Si loin ou si proches lorsque nous prenons comme mesure la distance euclidienne, mais si semblables quand nous nous référons à ce que nous partageons tous, les couleurs de l’enfance, les émotions et les amours volés comme, malheureusement, les déchirements de mémoire et les séparations au fil du temps. Ceux qui ont eu la chance de l’entendre savent aussi  ses talents de conteur où, d’une idée à l’autre, d’une anecdote à une autre, les personnages se rencontrent incidemment, des filiations inattendues se créent, des situations cocasses se construisent, autant de souvenirs ténus et d’images fortes qui les empreignent.
« L’anneau », c’est l’Algérie, plus qu’un lien, ses racines définitives. Au-delà de sa naissance, une géographie des lieux dont les noms pour beaucoup ont changé mais qui restent ses mots de passe, ses clés d’entrée pour la vie. Histoires sans majuscules. La famille. Mais élargie, à ceux de la rue, du quartier. Tout est là, la foule, les échoppes, les odeurs d’épices. Qu’importe qu’ils soient français, italiens ou catalans, chrétiens, juifs ou musulmans, ces mélanges blancs ou noirs de peaux, tous séparés et à la fois tous ensemble. Message qui résonne aujourd’hui toujours aussi grave et montre qu’un monde est encore possible dans la diversité. Nous le suivons à Tlemcen, à Alger, à Djelfa et plus loin jusqu’au désert à la recherche de ces oasis aux parfums précieux. Nous croisons Djoha, le gueux, et Hodja, le saint, des hommes « de parole et de commerce humain », des jeunes filles et des femmes. Fatiha, Lalla, Aïcha, Amel et, parmi elles, pour l’essentiel nous dit-il, Matilda et Deborah.
Albert Bensoussan a cette gourmandise de toutes les nourritures terrestres possibles et imaginables. Celles qui se goûtent et se savourent d’abord : « galbelouzes fleurant l’oranger, de semouleux mekrouds ou de zlabiyas dégoulinant de miel ». Celles ensuite de lectures se dévorant dehors au soleil du printemps ou caché dans son lit du soir. Celles encore où nous dansons avec lui aux sons de musiques berbères et des premiers baisers. De tout cela, Albert Bensoussan sait dresser une table d’hôte et offrir un gigantesque festin. Il n’oublie pas non plus les ciels de guerre et les terres d’exil. Ceux qui en reviennent, ces blessés profonds des tranchées du nord de la France. La Grande puis la seconde emportant une nouvelle génération, ici en Algérie comme partout ailleurs. Enfin celle de l’indépendance, son saut vers l’inconnu et pour lui l’exil.
Oui, il y a tout dans ce beau récit d’Albert Bensoussan. Lui, les siens, les autres, les nôtres. Moments de grâce comme instants douloureux, années de jeunesse comme années d’âge. Ce jour-là, nous étions à prendre un café sur la quai Chateaubriand à Rennes. Il m’avait discrètement glissé son livre et nous avions parlé d’un autre continent qu’il connaît par cœur, l’Amérique dite latine. Puis l’heure était venue de nous quitter. Après avoir ouvert « L’anneau » et l’avoir lu d’une traite ou presque, je le vois hier encore reprendre son parapluie en me demandant si ce n’est pas celui dont il nous parle dans son livre, long et noir, celui de son père qu’il prétend avoir perdu voilà longtemps dans un train en partance pour Paris. Je m’interroge aussi sur ces kholkhals de sa mère qui ouvrent et ferment son livre, ces étranges bracelets de cheville en cuivre mais qu’il aurait, enfant, volontiers transformés pour elle en or.

Jean-Louis Coatrieux

Hymne à l’Algérie heureuse

 

 
 
On connaît Albert Bensoussan, traducteur émérite des grands écrivains d’Amérique du Sud d’expression espagnole parmi lesquels Manuel Puig, José Lezama Lima, Juan Carlos Onetti, Zoé Valdès et tout particulièrement Mario Vargas Llosa. Mais Albert Bensoussan est aussi, est surtout, un écrivain à l’écriture singulière et attachante, dont l’œuvre est empreinte d’une saveur toute méditerranéenne, avec souvent des accents autobiographiques. Son nouveau livre, « L’anneau », vient de paraître aux éditions Al Manar.
 
Le titre, « L’anneau », qui fait allusion au kholkhal, ce bracelet de cheville d’origine berbère que portaient les femmes en Algérie lors des grandes occasions, donne une clé de lecture de son nouveau livre. Il ne s’agit pas en effet d’un texte linéaire, mais d’un récit autobiographique qui s’entortille en boucles, une sorte de spirale contrariée qui s’éloigne mais finit toujours par revenir à son point de départ. Comment pouvait-il en être autrement ? La mémoire que nous avons de notre propre histoire ne s’inscrit pas dans une continuité. Les souvenirs jaillissent comme ils le veulent, sans se soucier d’une chronologie, dans une sorte de désordre ordonné selon des règles intimes que nous ne maîtrisons pas. « Ce récit se déroule dans l’intermittence et rien n’est vraiment à sa place. Anarchique et folle, telle est la mémoire. Ce kaléidoscope en folie télescope les images, les confond, les sépare, les rassemble. Là, sous les paupières, les pages s’entremêlent, s’affrontent, se rejoignent, les visages s’échangent, se supplantent, mais la vie est sans raison. Libre cours alors au flux des séquences : au lecteur d’en recomposer le sens. », écrit Albert Bensoussan dans le prélude.
Au fil savamment entremêlé d’une écriture chaleureuse et tourbillonnante, l’auteur évoque sa jeunesse en Algérie, de la fin des années trente à l’Indépendance. Il y a, chez ce lecteur assidu et libre exégète de la Torah, outre l’idée d’un sens caché dans les mots et par conséquent dans la vie, le sentiment d’un paradis perdu quand il évoque sa mère, son père, ses grands-parents et d’autres personnages en quelques anecdotes savoureuses, dans une société où Juifs, Berbères et Arabes vivaient en bonne intelligence. Son livre prend souvent l’allure de conte oriental et le lecteur se sent transporté comme en des temps bibliques en plein vingtième siècle. Mais rien n’est idyllique, et il ne faisait pas bon d’être un jeune Français juif à Alger pendant l’occupation sous la férule de Vichy ou de vivre en Algérie dans cette période qui précède l’Indépendance. C’est d’ailleurs en novembre 1954, avec le premier attentat, que, pour l’auteur, « le rideau tombe sur l’Algérie heureuse ».
Albert Bensoussan est un amoureux des mots. Il les aime dans presque toutes les langues. Ce n’est pas seulement l’espagnol que ce grand traducteur des livres de Mario Vargas Llosa maîtrise à la perfection, pas seulement tous ces mots juifs et arabes dont il truffe avec gourmandise son récit, c’est aussi, et même essentiellement, la langue française, avec ses nuances, ses subtilités sémantiques et phonétiques, tous ces vocables où le sens résonne pour l’esprit et l’oreille, procurant une sorte d’ivresse.

 

Dans « L’anneau », il traduit l’Algérie, son Algérie, celle qu’il a connue et qu’il a vue avec le regard toujours à l’affût d’un enfant, d’un adolescent ou d’un jeune adulte. Il nous en restitue en termes lumineux l’atmosphère, les saveurs, les parfums. Il écrit : « Alger sentait les denrées coloniales, les céréales, les épices et ce vin d’Oranie s’entassant en grosses barriques sur les docks et sous les arcades du boulevard front de mer. Lorsqu’on s’accoudait à la rampe de tuf rouge – ah, que de rêveurs enturbannés, et quelle jeunesse avide d’aventure et de fuite ! –, toutes ces odeurs vous montaient à la tête, dont l’ivresse n’était soulagée que par la brise d’asphodèles s’envolant de la darse. » Et naturellement la langue de Bensoussan retrouve l’accent du « Cantique des cantiques » quand il évoque Fatiha, l’une des premières femmes qu’il ait aimée : « Ce soir de nouvel an, dans la nuit basculait notre enfance vers le monde incréé, vers l’informulé, vers l’inquiétant univers des hommes. Ce n’était pas encore la guerre et je t’aimais pour ton teint de figue sombre et ta pulpe de fève. Tu n’avais pas l’odeur des miens, de mes sœurs… Un miel d’aloès jaillissait de tes seins. L’agave peuplait ton aisselle. L’âcre musc de tes reins me soulevait d’ardeur. »
L’exil n’est pas simplement une notion d’espace mais aussi de temps. Certains hommes ont l’impression d’avoir été arrachés à leur enfance, d’avoir été, d’une façon symbolique, chassés du « Paradis », pour Bensoussan cette « Algérie heureuse »  dont il parle tout au long de son livre. Ce qui fut n’est plus, mais son souvenir revient en boucle – comme cet anneau – en tournoyant dans la mémoire sur laquelle le devenir n’a pas de prise.
                                                       Alain Roussel

 


 

Albert Bensoussan, « L’anneau », éditions Al Manar, 115 pages, 20€

Toute douleur est un mal d’exil

La quatrième de couverture éclaircit parfaitement le titre et le propos du livre : « L’anneau merveilleux, […] c’est le kholkhal que portait la mère au temps où juifs et musulmans vivaient séparés, mais ensemble dans cette Algérie qui a disparu » et dont le souvenir va si profondément ensuite marquer la vie et l’œuvre d’Albert Bensoussan, installé aujourd’hui à Rennes où il vit et enseigne à l’université depuis 1963.


Albert Bensoussan, L’anneau. Al Manar, 116 p., 20 €


Sa propre mère, tout imbibée qu’elle fût, à l’origine, d’un mélange spécifique de culture hébraïque et de croyances populaires locales, se verra elle aussi amenée à se réfugier en France sous la pression des événements, non sans ressentir une poignante mélancolie. En un certain sens, l’œuvre littéraire d’Albert Bensoussan, écrite en un milieu entièrement distinct de l’espace premier, sera une façon de le retrouver par l’émotion que fait renaître la plume, et qui vibre avec une intensité singulière, fût-ce sous un tout autre climat.

Voilà sans doute pourquoi cette nostalgie initiale imprègne, par toutes sortes de retournements imaginaires, la mémoire et les récits d’Albert Bensoussan, qui sont si souvent marqués par l’heureuse surprise d’impossibles retours ou de paradoxales rêveries. Alors qu’il sait pertinemment que sa mère « repose sous la dalle au cimetière de Pantin », il se plaît à l’imaginer enfant, comme une petite fille qu’il aurait élevée lui-même, « heureuse d’aller à l’école et de maîtriser, enfin, la langue française ». Pour échapper à son désastre intime, il inverse ainsi les rôles. Bien entendu, cette pseudo-dénégation est une de ces pirouettes dont il est friand et qui lui font mieux supporter la douleur ou les imprévus du destin.

Albert Bensoussan, L’anneau, Al Manar

Il y a aussi – mais tout de même un peu au second plan – un père qui se voit propulsé dans la métropole par la guerre de 14-18, et dont le retour, après une grave blessure, marque justement la naissance du futur écrivain, en une sorte de victoire personnelle : « Je suis né de ce défi », affirme-t-il. Mais de nouvelles complications ne manqueront pas de surgir avec la Seconde Guerre mondiale et le souci du gouvernement de Vichy de répandre ses lois antisémites jusque sur l’autre rive de la Méditerranée. Le portrait du Maréchal était punaisé dans toutes les classes des écoles, se souvient Bensoussan. Certes, le soudain débarquement des Alliés mettra fin à tout cela mais, par la suite, comme on le sait, ce sont tous les citoyens français qui deviendront indésirables, même s’ils étaient bien loin de tirer quelque profit colonial pour nombre d’entre eux.

Bref, l’Indépendance supposera le départ de tous, riches ou non. « C’est vrai, j’ai fui l’Algérie il y a un demi-siècle », observe Albert Bensoussan, que son nom de famille ne suffisait nullement à protéger comme on pourrait le croire naïvement. Une mélancolie l’assaille en songeant à ce qui fut et à ce qui aurait pu être. Un « rêve récurrent » manifeste une nostalgie : « Nous avons appris ensemble le baiser, Fatiha ». Mais, décidément, de l’Algérie qui fut, toutes les traces sont systématiquement promises à l’oubli.

En attendant Nadeau, 11/04/2017

L’anneau d’Albert Bensoussan
Par Norbert Bel Ange le 14 mai 2017, dans « Morial », Mémoire et traditions des juifs d’Algérie

Dans le formidable aréopage des « Albert » célèbres, je me plais à citer Albert Einstein et sa langue bien pendue, Albert Cohen son fume-cigarette, sa calvitie débonnaire et sa robe de chambre légendaire.
Albert Camus de Belcourt en Alger…
Et voici que s’avance un autre Albert, Albert Bensoussan, un Algérois lui aussi mais de Bab el Oued. Ou de pas loin. Un tout jeune homme ! Un jeunot ! Même s’il court sur ses… Mais jouons les coquettes et taisons son âge.
Nous avons mieux affaire avec son œuvre. Œuvre prolifique s’il en est. Albert Bensoussan a publié au bas mot une trentaine d’ouvrages, dont certains figurent en bonne place dans ma bibliothèque.
Juste une incise avant que de revenir à son œuvre fictionnelle et récitative.
Albert Bensoussan est un grand traducteur de l’espagnol vers le français Entre autres des romans de Vargas Llosa. Professeur de littérature espagnole et hispanique en ses universités bretonnes (Rennes), il est en cela le digne successeur d’un certain André Belamich, traducteur de Federico Garcia Llorca, à la demande d’Albert Camus !
Mais André Bélamiche que j’ai eu l’occasion de rencontrer, chez lui, à Villeneuve-sur-Mer, est un Oranais bon teint.
Vous me suivez…André l’Oranais et Albert l’Algérois !
Mais soyons sérieux et tirons un peu la couverture à soi, c’est-à-dire vers l’ouest algérien, vers Remchi ou Montagnac, c’est selon.
Ce sont là les terres familiales des Bensoussan. Et, dans son dernier opus, « L’anneau » (éditions Al Manar, 2017), Albert Bensoussan, évoque d’abondance cette cité maghrébine.
Une remarque littéraire avant que de poursuivre. Au fil de son œuvre, Albert Bensoussan est devenu le chantre extraordinaire de ce judaïsme algérien qu’il connaît bien. Les spécialistes de cette littérature citent souvent son œuvre. Les historiens se devront de s’y référer. Et l’on se demandera mais qu’a écrit Albert Bensoussan à ce sujet… Comme nous disons toujours : « Mais que nous dit Rachi de Troyes sur tel ou tel passage de la Thora ? »
En un peu plus de cent pages, Albert Bensouusan évoque ses mémoires familiales. Son texte balance entre récit et autobiographie sans oublier en chemin la grande Histoire. Je songe ici à sa mémoire familiale de la Grande Guerre pour laquelle nous manquons cruellement de récits, de journaux, de lettres… J’y reviendrai dans un travail plus personnel consacré à la Grande Guerre.
Le père d’Albert Bensoussan fut l’un des Poilus juifs d’Algérie, les plus décorés de la Grande Guerre. Ce soldat de 14 fut par la suite un officier d’active, chose rare dans le judaïsme algérien.
Si « L’anneau » évoque le cycle de la vie, il évoque aussi les Khalkhal dont nos grands-mères ornaient leurs chevilles.
Dans ces pages de beau papier, Albert Bensoussan ne cesse de nous livrer recettes de cuisines, senteurs, odeurs épicées de nos enfances enfuies…
Comment ne pas penser en lisant Albert Bensoussan au bel essai de Joëlle Bahloul « Le culte de la table dressée » !
À vous lire cher Albert, me vient l’envie de savoir comment vous travaillez, comment vous viennent tous ces récits ?
J’ai cru comprendre que dès votre jeune âge vous avez beaucoup écouté vos parents, beaucoup noté sur vos petits cahiers. Et que vous y puisez allégrement comme dans le garde-manger grillagé de nos enfances.
J’ai cru comprendre dans ces récits, combien les femmes ont compté et comptent dans votre vie.
C’est la première fois, me semble-t-il, où « vos femmes » sont si présentes dans vos confessions !
À commencer par votre maman. Vous la revoyez dans ses montagnes dans la compagnie des femmes musulmanes au moment de la tonte des moutons !
Page 13, vous écrivez au sujet de votre maman :
« Oui c’est moi qui t’aurais élevée, et tu aurais été heureuse d’aller à l’école en me donnant la main, et de maîtriser enfin la langue française ».
Ne vous en déplaise cher Albert Bensoussan, il y a chez vous du Albert Cohen ! De « sa tendresse de pitié »!
Qu’il s’agisse de Suzanne, de Fatiha ou de Déborah, c’est avec un bonheur et une belle sensualité qu’elles viennent au-devant de nous. Ou de vos échanges avec André Nahum (zil)
Au sujet de Déborah (p.92)
« Et moi, livré encore à mes songes, dans cette chambre du silence où Deborah bien avant moi, a plongé en sommeil.
Que ma femme est belle, c’est un bébé dormant ! Elle a ramené un pan du drap sur sa bouche et le suçote lentement en poursuivant, si loin, si près, les sombres coursiers de ses chimères. »
Cette sensualité, cette gourmandise se retrouve dans votre goût pour les mots : l’arabe, le français, l’espagnol, le chleuh et l’hébreu se complètent admirablement. Le linguiste que vous êtes en fait son miel.
Lorsque vous parlez du « motsé » distribué vous employez le mot de miochée, emprunté au patois normand, semble-t-il, gourmandise du mot et de la chose !
Il y a quelque chose qui me chiffonne ou alors ai-je mal compris : vous faites d’un fer à cheval un instrument de travail…
Dans mon village, à Fornaka, j’ai pu voir travailler le forgeron, le voir façonner le fer à cheval. Mais pas comme un instrument à moins de le transformer en arme blanche !
Page 58, J’ai trouvé que votre description des hauteurs d’Alger a des accents camusiens. Une fois de plus je relirai « Les noces » et « L’été » grâce à vous.
Pour terminer, je voudrais citer quelques-uns de vos titres publiés aux éditions Al Manar (la tour de feu en arabe, je crois) :
« Aldjazar », « mes Algériennes », « Belles et beaux »…
Sans contredit, cher Albert Bensoussan, vous naviguez avec bonheur et aisance entre récit, poésie, confession et autobiographie, pour nous livrer une partie de vous et de nous-mêmes.


Joël Glaziou, Harfang n° 50, mai 2017

« L’ANNEAU » DE ALBERT BENSOUSSAN CHEZ AL MANAR

26 mai 2017


L’ANNEAU OU LE PARADIS PERDU D’ALBERT BENSOUSSAN

Dans son récit L’Anneau, Albert Bensoussan nous donne les clés de son enfance, dans une langue somptueuse qui mêle saveurs, couleurs et odeurs d’un pays, l’Algérie, et d’une ville, Alger la blanche, à jamais paradis perdus.

Éblouissant.

ANNEAU ALBERT BENSOUSSAN

« L’Algérie au cœur ». Tel pourrait être le titre générique des écrits autobiographiques de cet universitaire rennais et « voix traduisante » de nombre des plus grands romanciers hispanophones contemporains, dont Mario Vargas Llosa, son ami de plus de quarante ans, nobélisé en 2010. Et comme ces autres textes parus précédemment chez le même éditeur,  AldjézarMes algériennes, ou Dans la véranda, le récit d’Albert Bensoussan, l’Anneau, publié en janvier 2017 par les éditions Al Manar, ressuscite la prime enfance et jeunesse de l’auteur en Algérie. Tous ces récits sont repris à l’infini, comme en boucle, à l’image du « kholkal », cet anneau de pied qui tintait et brillait à la cheville de la maman de l’auteur, fait d’un cuivre précieux comme l’or dans la mémoire enchantée de l’enfant.

Notre écrivain parcourt ce territoire et cette ville où il est né et a passé ses 26 premières années de vie (26, chiffre divin dans le Talmud…). Comme « l’arbre n’est rien hors d’une terre natale » (Yves Prié), Albert Bensoussan puise sa force dans le terreau de cette Algérie racinaire et nous livre un récit tourbillonnant et « kaléidoscopique » dans lequel vont renaître et s’entremêler les êtres qui l’ont construit : le père, Samuel, héros de la Somme, blessé par un obus en 1915, « si digne, si beau, si reître sur son haut cheval blanc », soigné pendant trois ans à l’hôpital militaire de Rennes par des infirmières dont il gardera à jamais un tendre souvenir, Aïcha, la fiancée, qui l’attendra sept longues années (sept, comme plus tard, le nombre de leurs enfants) et le retour à la paix pour l’épouser, Lalla Sultana, la grand-mère qui ne parlait que l’arabe dans les collines de Tlemcen, « la perle du Maghreb », son époux Messaoud, touchant vendeur d’épices, qui fermait sa boutique pour parler plus tranquillement avec ses clients, Alfred, filleul de Messaoud, qui précéda d’une année au tombeau Aïcha, la maman nonagénaire qui l’adorait plus que tous ses autres enfants et n’en sut jamais rien, protégée par le silence de la fratrie des frères et sœurs d’Albert.

AICHA BENSOUSSANAïcha Bensoussan, la maman d’Albert

Aïcha est la figure centrale et tutélaire de cette vaste famille – un « dédale cousinal » écrit Albert Bensoussan -, l’alpha et l’oméga de la mémoire de l’écrivain sur laquelle s’ouvre et se referme – l’anneau, toujours…- ce récit matriciel. Les femmes, de toutes les générations, de toutes les expressions, juives, arabes, berbères, qui composaient alors la « vivifiante Algérie », dominent les récits d’Albert Bensoussan. Depuis l’enfance et les premières amours adolescentes, réelles ou fantasmées, dont Fatiha, la « mora », la jeune mauresque « aux yeux gris et célestes » qui enflamme la mémoire d’Albert avec les accents du Cantique des Cantiques : « Je t’aimais pour ton teint de figue sombre et ta pulpe de fève. Tu n’avais pas l’odeur des miens, de mes sœurs, un miel d’aloès jaillissait de tes seins. L’agave peuplait ton aisselle. L’âcre musc de tes reins me soulevait d’ardeur ». Plus tard, beaucoup plus tard, Albert rencontrera Matilda Tubau, femme magnifique et solaire, venue de Catalogne, qui devint son épouse, pour un long temps, jusqu’à sa mort, en 2012 : « Matilda, comment l’oublier ! ». Déborah, son soutien dans le deuil, devint la seconde femme essentielle de sa vie.

Cette enchanteresse et enivrante poésie du verbe, ce carrefour des mots et des cultures qui parcourent sans cesse le récit de cette Algérie « d‘avant », éclairent aussi la mémoire d’une ville qu’Albert Bensoussan nous dépeint à la manière d’un peintre fauve. Alger était alors palette de senteurs, de teintes et de goûts : « À ses odeurs s’accordaient les couleurs, le rouge du piment, le blanc des anis, le vert des absinthes, le gris du poivre, les roses plus vives qu’aux jardins babyloniens, les jasmins si délicats qu’on les glissait aux narines ». Des couleurs et des odeurs exacerbées au marché Randon ou de Chartres, dans le cœur grouillant et bruyant de la ville, où s’offraient en abondance le pain tressé des juifs, les semouleux mekrouds des arabes, comme les zlabiyas dégoulinant de miel ou les galbelouzes à la fleur d’oranger, tous ces mets, tous ces mots, goulûment roulés dans la bouche.

Après novembre 1954 et « le meurtre primordial d’un couple d’instituteurs dans les Aurès, […] le rideau tombe sur l’Algérie heureuse». Les navires rapatrieront, en 1962, les familles de pieds-noirs, qui ne furent pas toutes bien accueillies dans cette France, « mère des arts », chantée par du Bellay que le tout jeune Albert avait découvert, ébloui, dans la classe de 3è de Georges Sallet, son jeune professeur de français du lycée Gautier.

vertige des étreintes albert bensoussan
Albert Bensoussan

Albert Bensoussan, revenu en 1982 sur les terres algéroises, se sentira inconsolable orphelin de sa ville d’enfance, n’y retrouvant plus, même, la sépulture de ses ancêtres dans le cimetière juif d’Alger, ruiné par l’indifférence et le temps. « Nous fûmes indigènes sur cette terre algérienne qui, à l’Indépendance, nous fut refusée, mais nos traditions judéo-arabes, nos goûts berbères, la musique, la cuisine et les you-you, personne ne pourra m’en déposséder. […] Rien ne résiste au temps…sauf la mémoire ».

Ce livre, porté par la poésie infinie du souvenir et la tendre et profonde nostalgie d’un paradis perdu, est tout simplement magnifique.

L’Anneau d’Albert Bensoussan, Éditions Al Manar. 2017. 113 pages. ISBN 978-2-36426-082-5, prix: 20 euros.

 

Caractéristiques

isbn

978-2-36426-082-5

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Auteur

BENSOUSSAN Albert

Collection

Contes, récits & nouvelles

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