Cette auteure rend au corps toute sa dimension charnelle au-delà du genre. Que ce soit, la femme dans Divin Danger, ou l’homme, dans la Morsure de l’ange, le corps a rendez vous avec sa sensualité, ses exigences, parfois sa crudité, sans jamais oublier sa poésie.
Amour, sexe, désir. Trois mots, mille fois répétés, mille fois galvaudés, à tel point que la langue s’en méfie. Que la poésie souvent use de mille subterfuges et s’en détourne. Quoi de plus bête stupide que cette attirance de l’un pour l’autre. Quoi de plus bête sauvage que cette étreinte de l’une à l’autre. Les mêmes gestes, les mêmes postures. Les m’aime bébêtes. Attention qui s’y pose s’y repose. Et cesse, et ne cesse, de vivre en cette petite mort, elle-même mortelle. Qui s’y ose s’y englue. Et voici que Valéry Meynadier s’y risque-toute.
Poésie donc, car quand la langue s’en mêle et s’emmêle, il n’est d’autre moyen que de donner la parole au chant royal du dire absolu, le seul capable d’ajouter à la plénitude de l’incandescence. Ce que le corps accomplit, la poésie le magnifie. Cette tâche est impossible dans le domaine de l’éros car il est une rose rilkéenne dont on ne puisse douter, en ce domaine charnel, l’acte précède toujours la poésie. Le mystère réside en ceci, qu’il faille donner la primauté à l’acte poétique sur la conjonction astrale et hasardeuse du vécu.
Sans doute y a-t-il chez Valéry Meynadier de la ménade – l’on n’échappe pas plus à sa nomenclature qu’à ses instincts – de celles qui déchirèrent Orphée. A seule fin de s’emparer de la lyre. En d’autres termes, il convient de prononcer des mots au bord de la tombe de ce qui a eu lieu, de se soumettre à l’attrait vertigineux de la fosse abîmale du néant de soi-même, et de l’autre, avec qui l’on a roulé dans la plus flamboyante ignominie de la perte de soi-même consentie dans l’ouverture vertigineuse et intrusionnale à l’autre.
En cette morsure de l’ange Valéry Meynadier s’approche de la poésie, car la morsure de l’ange n’est pas de chair, elle est comme le crachat d’Apollon dans la bouche ouverte de Cassandre qui attendait le baiser et qui n’eut de l’autre que la perte du logos. Mais parfois perfides les Dieux donnent plus qu’ils ne reprennent. Valéry Meynadier, au seuil de son poème a eu cette intuition fulgurante que la langue était au centre du poème, et dans le milieu mobile de l’éros. Seule possibilité de concilier les deux actes suprêmes, celui de la donation et celui d’une plus haute exigence.
Donc ces pages. Peu de texte. Des mots-tisons éteints mais qui brûlent encore de ce mal des ardents qui les a consumés. Valéry Meynadier n’écrit pas au plus près des corps mais au plus près des mots. Elle n’est pas tombée dans le piège de la grande équivoque de la poésie qui ne nomme les choses et les circonstances que pour mieux, dans leur exaltation même, s’en défaire, que pour mieux, de sa voix incoercible, parler d’elle, encore et toujours, seule, dans le plus grand des silences.
L’acte érotique est ordalie, il s’agit de traverser la brûlure de l’autre, et l’autre se doit aussi de se purifier de votre propre brûlure, puis se retourner et laisser parler la cendre des mots. Souffler sur les poussières du phénix à fin d’en recomposer la légende. Il est une quiétude, une tiédeur calcinée, qui traverse ces poèmes de Valéry Meynadier à entrevoir dans leur déroulement de longue cuisson alchimique. Qui tient du rituel.
Le plus pur. Le plus dur. Le plus difficile à accomplir. Une opération de grande finesse. Qui consiste en la sécabilité du temps. Isoler la séquence, limiter l’instant, le découper du réel qui s’écoule imperturbablement. De l’accord physique engendrer l’oiseau fabuleux de la métaphysique car toute chair touchée se trouve à dix-mille lieues, à dix-mille lieux, après votre chair.
Suivre le déploiement du poème. Valéry Meynadier – cet Y, au milieu du nom, symbole de l’androgyne unifié, confiné en lui-même, d’une pureté absolue, se suffisant à lui-même de sa propre solitude – cette unité, mais deux fois répétées, comme deux coups de couteau incisifs, pour rappeler que la solitude unitaire est toujours double, puisque l’on est ce l’on est et en même temps, ce que l’on n’est pas.
Et le poème dans cet entre-deux de ce qui est exprimé par son propre non-être, tout mot n’étant que l’absence, que la trahison de ce qu’il dit, même lorsque l’on raconte le plus cher de ce qui est aussi le plus chair. Mais quoi de plus opératifs que ces mots confits et confus de leur propre absence, qui sont perfection pour signifier l’absence de toute fin.
Ainsi se clôt si justement le poème, s’il n’a pu saisir la chair du déroulement, il en marque la limite finale, l’instant où l’acte d’éros n’est déjà plus qu’absence, remémoration inutile, où le poète se retrouve, retourne à son je, là où, là par lequel l’acte a commencé dans la vraie vie pour finir dans le mensonge de la poésie.
A ceci près, que l’instant s’inverse, que le début renoue à la profération initiale de la langue et que le réel revient au grand galop de son petit moi. L’acte poétique est alors à entrevoir, en droit de passage, qui permet de circuler sur les deux rives de tout instant, celui liminaire et celui de la closure.
Il peut paraître insensé de se dire qu’en si peu de pages, qu’en si peu de vers – entendre ceux-ci en tant qu’unités de souffles – Valéry Meynadier se soit approchée de si près du mystère de la poésie. Rappelons-nous que c’est par ce mot de mystère que Mallarmé qualifiait les noces d’Hérodiade. Fille sacrée de son propre éros. Mais il en est ainsi. Une réussite insolente. Que la majorité des écrituriens d’aujourd’hui devraient méditer.
Quant à maintenant si nous venons à considérer cette plaquette en tant qu’objet de poésie, comment en effet ne pas enfermer un texte de poésie en un coffret qui ne soit lui-même de poésie. Les encres de Rachid Koraïchi permettent de ne pas surseoir à cet impératif. Je désigne ici, ni sa déclinaison frontispiciale, ni sa finalisation en cul-de-lampe – comme ce terme ne messied pas à un livre d’Eros – terminal. Toutes deux ne sont que miniature de l’illustration – nous n’aimons point ce mot, remplaçons-le par celui de commentaire, aussi abscons que possible, il eût été incongru de déflorer le poème – ce n’est que lorsque la lecture est effectuée que l’on peut se permettre l’interprétation de ce soleil noir irisé de mots mystérieux comme une représentation hyménique de la féminité, sans cesse recomposée de sa propre présence au monde.
Un recueil essentiel.
André Murcie, in Les angles morts. ( Novembre 2020. )