Homme descend du silence (L’)

A partir de 16


Trente exemplaires de tête sur Rives d’Arches
rehaussés d’interventions originales par Simohammed Fettaka

2.000 exemplaires sur Arcoprint Edizioni.

« En refaisant le trajet derrière les murs, j’ai fini par entendre l’écho lointain de cette voix discrète, à peine audible. Par croire à cette vague promesse, qu’une fiction née face à la mer pouvait redonner vie à celui qui l’enfante. » D. K.

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Description

Au commencement….

Beaucoup d’écrivains ont quitté le port et la patrie. Driss Ksikes a fait le choix contraire. Il est courageusement resté et son récit est un essai de réinvention.

Je croyais qu’au commencement était le Verbe. Avec le récit qu’il vient de publier, Driss Ksikes m’apprend qu’au commencement fut le silence. C’est ce que suggère le titre choisi pour son nouvel ouvrage « L’Homme descend du silence », sorte de « table philosophique » (l’expression est semble-t-il de l’auteur) qu’on pourrait aussi bien intituler « La fin de l’Utopie », « Le renoncement », « Le scribe désabusé » ou « Le désenchantement » tant tous ces thèmes s’enchevêtrent dans une succession de fragments puissants dans leur concision et intenses dans leur simplicité. Ce titre reste pourtant énigmatique, le récit présentant plutôt une parole d’une limpidité réconfortante, coulant de source, et offrant une clarté qui dévoile témérairement nos infirmités. « La langue du poète est limpide », écrit Driss Ksikes. C’est bien à cause de cette limpidité et de cette clarté que je me suis demandé pourquoi l’on présente ce récit comme un « texte à clés ». Driss Ksikes est un habile touche à tout. Il fut un journaliste courageux mais a renoncé à juste titre à cette activité souvent périlleuse qui fait souffrir la vérité d’instabilité et de manque d’authenticité. L’a-t-il quittée ? Dans deux fragments de ce récit « Un dîner providentiel »  et  » Vies sans mode d’emploi « , le lecteur retrouve avec bonheur le meilleur de son inspiration journalistique. Il est « homme de théâtre », imaginatif et talentueux. Sa pièce « Il » en est un exemple séduisant. Il est penseur, et chercheur exigeant avec les rencontres d’Ibn Rochd et Economia qui questionnent le monde et nos consciences. Il est poète et surtout romancier avec « Ma boîte noire », une autobiographie d’apprentissage qu’il a publiée, il ya quelques années comme si, à l’instar de ses prédécesseurs il fallait qu’il sacrifiât absolument, au début de son aventure d’écrivain, à ce rite et à ce rituel obligés. L’écriture du moi, bien que tenace, n’est fort heureusement pas la raison d’être de ce récit. L’auteur affirme que c’est « le roman d’une génération ». C’est plutôt « Le roman d’un enfant du siècle », qui « face aux inventaires » se demande s’il faut partir ou rester et inventer l’écriture qui redonne vie, reconstituer « ce livre unique de la vie ou prendre l’habitude de se taire ». Il a refusé l’exil surtout l’exil intérieur, choisi de rester au pays, de croire à « la vague promesse que la fiction pouvait redonner vie à celui qui l’enfante » et comme les enfants handicapés qui l’ont ému, a choisi de défier le silence par un désir ardent de vie, d’écouter « le vieux silence qui nous a bercé avant la parole », «un silence virginal », et a choisi de chanter pour nous la flamboyante virginité de mots jusque là inconnus. D’où vient que malgré ce choix courageux, cette écriture soit une écriture désabusée, désenchantée, et qu’une tristesse indéfinie irradie l’ensemble du récit ? Il y a dans ce texte trois phrases qui éclairent le lecteur et justifient ce désenchantement. La première est « Mais les mots se sont épuisés », la deuxième est « Mais alors… à quoi cela sert d’écrire finalement ? » et la troisième, conséquence de cette interrogation : « En repartant, résonnait dans ma tête cette ancienne phrase que répétait Ali, des jours où face à l’injustice, il s’abstenait d’écrire. Je ne l’ai jamais autant comprise ». Ce désenchantement vient-il de la défaite de l’intellectuel face aux injustices et face à l’oppression ? Ou parce que les mots se seraient épuisés, à les dénoncer ? Ou parce que pendant quinze années le « Je » du récit « a traqué les moments de silence » et « a agencé des mots pour remplir … le vide ? ».

Cet enfant du siècle, toutefois, juste et pertinent dans son appréciation du siècle reste « optimiste », convaincu que le présent de notre siècle n’est qu’un perpétuel équilibre entre une « dette » et un « horizon ». Une dette qui fait que l’on ne fuit pas la patrie, « parce que l’on sent que l’on n’a pas encore assez rendu à cette terre pour la quitter » et un horizon parce que l’on reste malgré tout un peu « optimiste », quant « aux petits faits qui pourraient dévier le parcours incertain de la vie ».

Beaucoup d’écrivains ont quitté le port et la patrie, se sont exilés, et ont cru dans cet exil, au-delà de l’océan, faire renaître le langage et les mots épuisés. Driss Ksikes a fait le choix contraire. Il est courageusement resté et son récit est un essai de réinvention, de la parole littéraire ici et maintenant quelles que soient les injustices. Ce récit est promesse d’une écriture nouvelle, de nouvelles pages qu’un « Je », qui n’est plus thérapeutique, construit pour créer une nouvelle esthétique. Driss Kiskes admire la concision du poète portugais Fernando Pessoa dans son œuvre « Le livre de l’intranquilité ». Il vient de réussir dans « L’homme descend du silence » le renouvellement du discours littéraire par la mise en œuvre d’une simplicité langagière remarquablement maitrisée. Rupture avec une expression qui n’en finit pas de devenir stérile et promesse d’un renouveau fictionnel qui tardait à surgir pour rafraichir notre horizon créateur, et notre manière de vivre la beauté en ce monde.

Driss Ksikes montre aussi avec « L’homme descend du silence » aux apprentis écrivains, de langue française, et pourquoi pas aussi de langue arabe, comment écrire leur « Kitab » au rythme d’une parole qui transcenderait et vaincrait le désenchantement infécond qui guette nos incertitudes.


“L’homme qui descend du silence”.
Une quête poétique du réel…

Voilà un texte “à mille lieues de la biographie traditionnelle”. Avec cette référence à J-B Pontalis en exergue de son récit, Driss Ksikès pose d’emblée l’horizon d’attente d’un texte singulier, au sens propre et figuré, qui remonte aux sources d’une enfance, et s’achève sur ce besoin utopique, mais viscéral, de continuer à pouvoir rêver innocemment le monde… Une biographie patchwork éclatée entre différents fragments, tenus ensemble par l’unité d’une narration à la première personne. Pris entre les limbes, dans les replis du silence originel, le narrateur rencontre les mots et raconte son histoire, percute les silences de la mémoire, et fracture la parole pour l’ouvrir aux horizons d’une vie qui se confond dans l’imaginaire du roman en arabesques subtiles, et en motifs ciselés, avec les dessins de Simohammed Fettaka qui officient comme les subtils contrepoints de cette quête symbolique, dont les errances demeurent, en dépit de tout, promesses d’humanisme…
Face à la mer, comme le sac et ressac de l’océan qui bat aux pieds du phare d’El Hank de Casa, s’élève, dès l’ouverture du texte, l’éternelle question qui tourmentera le narrateur tout le long de sa quête, sommé de choisir s’il lui faut partir ou rester, de savoir comment rester quand l’on se sent vivre ailleurs, mais de savoir aussi comment partir sans avoir à fuir… tout en réalisant qu’“une fiction née face à la mer” peut “redonner vie à celui qui l’enfante…”

Quête en enquête : le poète-journaliste…
Le récit de Driss Ksikès est en réalité un récit où les territoires se forment comme des continents qui peu à peu apparaissent en creux sur le tracé silencieux du temps. Chaque territoire ouvre sur la nécessité du choix, car chaque fragment de vie redéfinit la position du sujet face à sa vie : acteur ou spectateur, passif ou actif, inclus ou exclu. Quelle place tenir, et quelle place tenable, pour le journaliste que le narrateur est, sinon celle d’avoir à choisir entre devoir se construire “une bulle”, ou être debout “face au vacarme” ? La quête autour de ce fil rouge obsessionnel du lieu à habiter éclaire le sens même du texte qui devient “ce lieu-refuge, cette contrée à part, où l’on rapièce l’humanité, faute de pouvoir raccommoder celle des autres”. Jusqu’aux marges qui retrouvent un sens, fragments et notes disséminées que le héros se met à rassembler, dès le jour où il entend un auteur auteur déclarer, par-delà la rumeur vrombissante du monde, “qu’écrire, c’est croire en la possibilité d’une île”.

De ce récit émerge ainsi l’idée centrale d’un voyage à lire sous le double sceau de la quête et de l’enquête. Poète et journaliste, “les deux figures de l’homme qui parle” se trouvent associés à la figure protéiforme d’un narrateur obsédé par le devoir de trouver une place où exister à juste distance face au réel. Soucieux de tenir l’équilibre, et de savoir devant quoi se tenir pour que l’insondable mystère de la vie se transforme en vérité à déchiffrer, dans un sens de lecture plausible. Les dessins de Simohammed Fettaka font subtilement écho au texte en en prolongeant les résonances dans un trait épuré où les symboles construisent un langage parallèle, aux accents ésotériques. La narration, elle, zigzague, d’une ellipse à l’autre, dans un va-t-et-vient incessant de l’imaginaire au réel, et de l’utopie à la lucidité. Un fil d’histoires emboitées dans l’histoire comme des poupées russes, et qui se déroule lentement en cercles concentriques pour retrouver à la fin ce “lieu de retour éternel” qu’est le cœur affectif de la médina de Casa…

Lamia Berca-Berrada


L’homme descend du silence

On entre dans le monde de Driss Ksikes comme dans un labyrinthe pour en chercher une sortie toujours différée, il donne à suivre son cheminement douloureux, choisi, malgré les pièges, les médiocrités, les pertes insupportables accompagnant le voyageur.

Récit philosophique sur l’engagement ? Oui, d’une certaine façon. Mais conduit par quelqu’un habitué à voir, à percevoir, la réalité troublante du quotidien, à mettre sous la loupe de son esprit critique, une société à laquelle il appartient et dont il se démarque. L’ambiguïté règne. Il est de ceux qui s’en démarquent. La fidélité aux siens fait de lui un redoutable scrutateur/voyeur.

Nicole de Pontcharra

Nicole de Pontcharra

La poésie, à travers quatre vers énigmatiques,  couronne le marcheur du labyrinthe. Il se souvient comme on se souvient d’une berceuse d’enfance. Peu importe l’auteur de l’énigme. Quand il cherche l’origine de son désir d’écriture, ces vers retentissent dans sa tête comme un coup de cymbales annonçant le voyage dans le labyrinthe du souvenir.

« L’homme descend du silence

Seul, la parole soufflée le traverse

Le pas alerte, son corps le quitte

Et succombe au chaos »

Une image sert de levier au départ, l’enfance, une photo retrouvée, un univers qui s’ouvre.

Soufflées les interrogations, là il se trouve au cœur de son histoire. Il se souvient de l’adolescence où  les livres le berçaient, tant de livres qu’il évoque, de Camus à Kipling, n’oubliant pas de rappeler la tutelle de l’océan gardien de l’enfant remué jusqu’aux tréfonds par ses tumultes.

Lire en face de l’océan, brasser dans son esprit les mots, enveloppé des rumeurs de l’eau.

Il écrit que l’océan le quittera ou qu’il quittera l’Océan pour le théâtre. Mais pour le lecteur que je suis l’océan ne l’a pas quitté, il a construit la personnalité de l’écrivain et en reste le garant.

Sa vie, il la raconte à travers des métaphores où rêve et réalité se chevauchent, où le départ agite son chiffon rouge sans que l’écrivain l’attrape et décide de passer à l’acte.

La fidélité à l’ami assassiné le retient, la promesse faite à lui-même de mettre tout son talent de journaliste dans une enquête qui devrait aboutir à confondre les assassins, au moins sur le papier. L’idée est claire, la décision ancrée en lui, mais la vie ordinaire, les rencontres qu’il y fait, les contraintes politiques du travail journalistique, lui enlèvent, détruisent les forces vives de son âme, le remplissent d’une certaine amertume, arrachent l’enchantement de la jeunesse. Il a constaté trop de fois l’impuissance des pauvres, des humiliés, comme l’arrogance des puissants.


Le départ n’est pas pour lui. C’est sur son sol qu’il doit se battre. L’utopie de changer le monde le tient vivant malgré la désespérance qu’il partage avec ses amis de fortune, plus ou moins marginaux, isolés dans un monde sans pitié.

« …Adib qui aimait écrire dans le silence absolu… Ahmadou et Halim, nomades affectifs. Et l’Utopie, le lieu rêvé, le soir, pour se sentir comme d’éternels vagabonds. Un lieu constamment en friche, refaçonné au gré des rencontres et des passions… »

Faulkner, Pasolini, Adonis, René Char, les habitants de l’Hôtel Select…, font partie de son escorte dans sa progression dans le labyrinthe. Les rejoignent parfois des personnages de ses propres textes, qui s’incarnent dans ce récit autobiographique. La vie rêvée et la « vraie » vie se confondent. Le soldat de miel se dresse devant lui et l’emmène jusqu’au lieu où son corps gît, mort.

Est-ce l’enterrement de l’utopie ? Tout entraîne le lecteur à le croire, tant le parcours du labyrinthe est mortifère. Mais le dernier mot n’est pas encore écrit, l’ultime parole n’est pas dite.

Même si Ahmadou, Halim et Adib, connaissent un destin tragique et que les flammes ravagent la Maison de l’Utopie, Driss Ksikes poursuivra sa route, trouvera sans doute son issue de secours.

Ne dit-il pas : …J’entrepris depuis, de quitter mon balcon et de reconstruire leur bâtisse calcinée pour réinventer un autre horizon, en leur nom. Sans vraiment savoir si elle serait habitée par leur rêve ou hantée par leur mort…

 

Nicole de Pontcharra, in magazine « En toutes lettres »

Caractéristiques

exemplaire

courant, de tête

isbn

978-2-36426-041

parution

Auteur

KSIKES Driss

Artiste

FETTAKA Simohamed

Collection

Contes, récits & nouvelles