Description
Et la nuit, quand il s’est arrêté de pleuvoir des tigres et des paravents, alors que les voleurs à main armée s’étaient satisfaits de pourboires, après la fermeture des cafés amers et à l’heure où les bordels devaient recevoir leurs clients, quand les lampes ont brûlé leurs mèches, et que les curés sont revenus à leur pédophilie coutumière, quand la pluie a pris peur car les bombes la devancaient à une vitesse que la lumière leur enviait, il descendit une fumée épaisse, car les os avaient brûlé à feu doux et on avait cru qu’ils nous avaient abandonnés, mais ils sont revenus en calcium de Palestine et ont rempli les gorges enflées de leurs bourreaux avec un tel désespoir que ceux-ci sont allés se laver chez leurs mères et que leurs oreilles ont halluciné car ils ont entendu les célèbres trompettes de Jericho et ont confondu les années et les étoiles, les chevaux et les crabes ; et la nuit a refusé de pleuvoir sur la tête des moutons, et nous avons vu l’éclair se mélanger aux nuages grossis de sang et de larmes, et la matière s’est mise à parler directement aux morts, qui n’écoutaient plus, et les peuples, eux, n’avaient plus de voix, et nous avons marché sur des ronces, des épines et des orties, et nos yeux ont épuisé le vocabulaire des ténèbres, alors il descendit, après la pluie, un ange que nul n’a pu nommer. Il s’est mis à compter les blessures des uns, et les amputations opérées avec des couteaux de cuisine, des autres, et l’ange a tout écrit sur un livre d’or et de boue. C’est ainsi que la mer s’est étalée, qu’elle a tremblé d’épouvante, et qu’elle a été dire à ses vagues de se mobiliser. (…)
La critique
Jennine, pour la mémoire La misère, les obus, la chaleur des ancêtres qui rassure, la froideur d’Israël qui vous nie l’existence, les amandes qui durcissent, les généraux qui se pavanent, plein d’images et de phrases se suivent pour construire ce texte : Jennine. Ecrit par Etel Adnan, repris par plusieurs revues internationales, il vient d’être publié par la maison de beaux livres, Al Manar. Avec des gravures de Rachid Koraïchi, où l’arme tranchante, les lettres d’hébreu et l’alphabet arabe cohabitent, derrière des lignes-frontière, ce texte-hommage est bon à garder, pour ne pas oublier. Pour se rappeler que les Palestiniens, on veut les exterminer. D’autant que les cimetières sont surpeuplés et les villes décimées. Tragique et beau à la fois. C’est le paradoxe de la littérature. Tel Quel, n° 175 |