Je te regarde

A partir de 15


Poème de Maram al-Masri, poète d’origine syrienne,
accompagné de dessins et, pour le tirage de tête,
de peintures originales par Youssef Abdelké, peintre et graveur syrien.

40 exemplaires tirés à part sur vélin d’Arches,
enrichis d’une lithographie originale
rehaussée d’aquarelle par Youssef Abdelké
et de plusieurs interventions de l’artiste,
sous couverture Arches ivoire 300 gr.
3 ex. de chapelle.

Un volume 15,5 x 11 ; 106 pages.

Je te regarde a été distingué par la SGDL, qui lui a attribué,
dans le cadre de ses Prix d’automne 2007, une bourse Poncetton pour la poésie.

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Description

Le livre

Je te regarde a été distingué par la SGDL, qui lui a attribué,
dans le cadre de ses Prix d’automne 2007, une bourse Poncetton pour la poésie.


Hôtel de Massa, 5 décembre 07 : Maram al-Masri honorée par la Société des Gens de Lettres

Une voix singulière

Cette voix est belle qui ne parle que de choses visibles : la neige, la poussière, une fleur de grenadier, l’herbe de mars, les voleurs de sommeil, « les beaux habits de l’imagination ». Je veux dire la voix de Maram al-Masri qui, au fil de ses poèmes, avec une savante ingénuité, épelle le vocabulaire de sa vie, ces mots venus d’ailleurs comme des parfums d’Orient. Et tout se passe comme si Maram n’avait pour mémoire que le frémir des songes, une musique tremblée, ce dialogue à mi-voix entre elle-même et ses propres abîmes, quand les mots cachent de secrètes blessures et qu’ils n’y a plus que cette palpitation de syllabes, vive et douce comme les feuilles toutes nouvelles d’un arbre d’avril. Sa poésie est singulièrement attachante, dépouillée à l’extrême. Rien d’ostentatoire, peu d’images, mais le tracé net et le délié de l’émoi, la gravité d’une caresse, la légèreté d’une source. Elle chante comme une source. Sans jamais forcer la note. Et elle donne sa couleur fraîche, heureuse, inquiète aussi, au mouvement de la vie que ses vers comme autant de miroirs intimes parviennent à capter.
Il m’est arrivé de me demander comment c’est fait, un poème de Maram al-Masri, sans trouver le secret mystérieux de tant de grâce et de séduction. « C’est comme si c’était fait par personne » disait Rainer Maria Rilke, après lecture des poèmes de Supervielle. Mais le sésame de l’imagination désirante, l’amour qu’elle chante, d’ombre et de lumière mêlées, ce cristal pur, cet ailleurs inaltérable…
Dans ce qu’elle voit, ce qu’elle touche, ce qu’elle rêve, grandit l’invisible. Mais à l’inverse, tout se passe comme si elle donnait à la voix intérieure une visibilité, sans fausse parure. Derrière les gestes simples de la vie quotidienne, Maram al-Masri laisse deviner une présence profonde. Ainsi procède toute poésie vraie : derrière la célébration de l’éphémère, l’instant saisi par les mots entre en résonance avec ce besoin en nous de l’éternel. Comme un parfum d’innocence édénique.

Lionel Ray

La critique

Deux choses m’attachent à l’écriture de Maram al-Masri : la première tient dans le fait qu’elle donne une forme linguistique à sa féminité, vécue et imaginée, dans sa perceptible pureté originelle, et que dans la sphère des mots, sentiments et impressions, elle se glisse de manière effrénée, par les labyrinthes du sexe.
La seconde est que tout cela, elle le traduit avec une écriture qui semble avoir surgi avant l’art, comme si c’était quelque chose de purement informe ou un projet, comme si l’écriture était une question organique et non technique. Elle traduit cela avec la passion d’un style quotidien, simple, chaleureux, irrépressible, sur le point de rencontrer son corps, mais qui s’arrête presque au bord du langage « .

Adonis

CIPM, août 2008:

Traduits de l’arabe (syrien) par François-Michel Durazzo en collaboration avec l’auteur, ornés de six dessins de Youssef Abdelké, préfacés par Salah Stétié, quatrième de couverture de Lionel Ray, ces poèmes sont le « journal » d’une quête – en même temps que d’une déception – amoureuse. Partagée entre la nostalgie et l’espoir, Maram est aussi audacieuse dans l’évocation de son désir que touchante dans sa plainte de mal-aimée. Sa « chanson » se charge d’inquiétudes, notamment celle de rester une exilée dans sa propre langue de poète : « Elle a légué à ses enfants […] Une mère qui écrit des poèmes / dans une langue qu’ils ne comprennent pas. » En faisant alterner les pronoms de première et de troisième personne, et la graphie en romain ou italique des poèmes, elle parvient à s’éloigner des complaisances du miroir et à jouer de notre trouble dans le labyrinthe où nous découvrons assez de nous-mêmes pour partager son émoi.

André Ughetto

Un entretien avec Maram al-Masri

Maram Al Massri naît à Lattaquié en Syrie en 1962. Elle grandit dans un foyer aimant et aisé, où elle a accès à la culture, à une éducation recherchée, aux langues, aux arts. A 20 ans, elle suit son premier mari à Paris. Elle ne parle pas un mot de français et vit dans une solitude extrême. En 1984, après la naissance de son premier enfant et celle de son premier recueil de poésies Je te menace d’une colombe blanche, elle divorce. De son second mariage, naîtront deux autres fils. Cerise rouge sur carrelage blanc paraît en 1997, à Tunis chez l’or du temps. En 2003, il est traduit par François-Michel Durazzo, en collaboration avec Maram elle-même et publié en français aux éditions PHI, au Luxembourg. La même année, il est traduit en Corse par Ghjacumu Thiers, et publié chez Albiana. Toujours en 2003, il est publié en Espagne, où il est rapidement épuisé avant de faire l’objet d’un retirage. En 2004, il paraît en angleterre. Il sera bientôt publié en italien et en macédonien. Son troisième recueil, Je te regarde, paraît, lui, fin 2003. Maram commence à être reconnue internationalement : de grands poètes comme Adonis, Salah Stetié et Lionel Ray ont parlé d’elle en termes élogieux. Bernard Mazot dans la revue Aujourd’hui Poème l’a saluée comme  » miracle d’inspiration et d’écriture « . Maram est une femme fragile et juste, avec une sensibilité à vif. Son écriture est sensuelle, féminine. Sa poésie est une poésie du corps et du désir. Mais le désir se confronte au devoir, et les mots livrent un examen sans concession de la position féminine dans sa relation avec le pouvoir masculin. Heureusement, Maram est une magicienne, une illusionniste, qui transforme la violence et la douleur en colombes. C’est ce que suggère le titre de son anthologie, parue chez L’Aile Editions (Toulouse) : Doux Leurre. Michael Binyon dit d’elle dans le Times (28 août 2004) : » Al Massri recalls moments of violence and intensity in a clever mixture of dreaminess and half-light pierced by hard, precise, detail « . Sans fioritures, sans le lyrisme classique du monde arabe, cette poésie est un reflet du vécu humain dans ce qu’il a de plus cru et d’universel. Ce que nous dit Maram, c’est que toutes les histoires d’amour se ressemblent, toutes les passions se consument selon les mêmes rythmes, toutes les ruptures déchaînent les mêmes rancoeurs, toutes les maisons abritent la même routine. Contrairement à ce qu’elle laisse penser, c’est une poésie qui ne dit pas tout. Ce qu’elle tait ou suggère est encore plus important que ce qu’elle dévoile. C’est une poésie faite d’énigmes, de silences, d’interrogations. A lire entre les lignes, entre les mots, d’un double-sens à l’autre, d’une métaphore à la suivante. Le vide est toujours là, écho de l’absence, et nous, lecteurs, on se demande à quel moment on va finir par basculer. C’est une poésie miroir qui nous renvoie à nos démons, à nos lâchetés, à nos petits arrangements quotidiens. Selon Farouq Youssouf il existe  » une ressemblance étonnante et rare entre Maram et son poème. Qui a inventé l’autre ? […] Tu ne sais pas en l’écoutant, s’il s’agit d’un poème habillé en femme ou d’une femme que la poésie a couverte de son brouillard « (Al Watan, Doha/Qatar, mars 2002). Maram, femme-poésie au regard d’enfant, éternelle petite fille, qui fait danser les mots pour bercer ses douleurs.

Hélène Mamberti


Maram al-Masri, stand Al Manar, Marché de la poésie 2007

Interview

Maram, quand avez-vous commencé à écrire ?

 » J’ai commencé à écrire de la poésie quand j’avais 16 ans, au moment de l’éclosion de l’amour. J’ai ressenti le besoin d’écrire pour m’exprimer. C’était aussi une façon d’affirmer ma différence. Je rêvais d’être poète. Mes premières poésies étaient rimée, rythmées, naïvement sentimentales et naïvement patriotiques. J’ai eu la chance de grandir dans une famille cultivée, ouverte sur le monde. Ma mère était une femme admirable, une artiste, une humaniste. Et mon plus grand frère est lui-même peintre et poète. Leur exemple, leur amour, leur confiance m’ont permis d’avancer, d’être moi-même, de recevoir la poésie comme un cadeau.Je ne prétends pas être une poétesse. Au début, je jouais avec la poésie. Maintenant, elle est ma liberté. « 

Est-ce plus facile ou plus difficile d’être une femme pour écrire de la poésie ?

 » Les femmes ont une sensibilité à fleur de peau, qui ne demande qu’à s’envoler sur les ailes des mots… Mais cela ne veut pas dire que c’est plus facile d’écrire. Même les poèmes les plus simples ne viennent pas facilement. Parfois, je ressens physiquement, douloureusement, la difficulté d’accoucher d’un poème. Et de toute façon, tout est plus difficile pour une femme. Naître fille, c’est partir avec un handicap. La société où c’est facile pour une femme n’existe pas encore. « 

Votre poésie est très impudique…

 » Impudique… Le mot me gêne. Je ne sais pas s’il a le même sens en arabe et en français. Dans ma poésie, rien n’est explicite, tout est suggéré. Et il peut y avoir aussi de la pudeur dans le fait de montrer la douleur de la nudité… Ce que dit ma poésie, c’est que l’acte d’amour permet d’accéder à la profondeur de l’être… Mais de toute façon, c’est déjà un acte d’impudeur d’écrire. Et moi, j’aime dire les choses comme elles sont. En littérature, la pudeur implique une distance qui permet trop souvent d’être  » politiquement correct « . Cela ne m’intéresse pas. Moi, la vie privée, je ne connais pas. J’ai une sorte de flottement des frontières. C’est peut-être parce que je suis à cheval entre deux cultures. Et c’est peut-être parce que je suis authentique. Je ne cherche jamais à tricher, je suis telle que je suis, à l’intérieur comme à l’extérieur. C’est vrai qu’ici en France, cela m’attire parfois des problèmes. Lorsque je pose des questions indiscrètes, je m’en aperçois toujours après, au silence gêné, ou à l’agressivité que cela provoque. Chez nous, à Lattaquié, qu’il fasse chaud ou froid, les fenêtres et les portes sont toujours ouvertes, on entend tout, on participe à tout. D’ailleurs, 20 ans plus tard, j’oublie encore mes clés une fois sur deux et pour moi, fermer les volets, c’est s’emprisonner.Et puis, pudeur ou impudeur, cela dépend surtout de l’œil de celui qui lit… « 

Pourtant, vous évoquez beaucoup le couple, ses déchirements, ses vaines tentatives de bonheur, et la tyrannie de l’homme. On ne peut s’empêcher de penser qu’il y a de l’autobiographie là-dessous…

 » Il y en a bien sûr, mais ce n’est pas l’important. L’important, c’est le message. Et ce qu’il véhicule d’universel. Partout dans le monde, des couples glissent insensiblement le long d’une falaise et tentent de se raccrocher à des brindilles. Partout dans le monde, des femmes sont enfermées, au sens propre et au sens figuré. Partout dans le monde, les femmes, de façon brutale ou de façon plus insidieuse, subissent la loi des hommes, leur pouvoir, leur force d’intimidation. La violence peut prendre bien des formes. Le simple fait de lever la voix est le début de l’humiliation. Et les hommes parfois, n’ont même pas conscience de cette violence contenue, susceptible d’éclater à tout moment, qui pèse sur leur famille comme une épée de Damoclès… Ecrire me permet de garder espoir et de me sentir proche de toutes les femmes passées, présentes ou à venir qui ont pu un jour être victimes de cela.  »

Entre votre premier recueil et le second, il s’est écoulé treize ans…

 » Juste après la parution de mon premier recueil, mon fils de 18 mois a été kidnappé par mon ex-mari, qui l’a ramené en Syrie. Je n’ai rien pu faire. Personne ne m’a soutenue. Tout le monde m’a tourné le dos. J’ai eu peur pour la vie de mon enfant. Alors j’ai baissé les bras. J’ai supporté l’insupportable. Mais ça m’a laissé un dégoût énorme pour mon pays. Je vomissais cette culture, la mienne, et cette langue, la mienne, symboles d’une civilisation qui permet qu’un enfant soit séparé de sa mère. La langue, c’est le premier drapeau, l’enracinement de l’identité. En m’arrachant mon fils, c’est comme si on avait achevé de me déraciner. Je reniais mes origines. J’étais de nulle part. J’étais un fantôme. Je n’ai plus dit un mot d’arabe. Et comme je ne sais écrire qu’en arabe, je n’ai plus écrit. Tout s’est tari. J’ai recommencé à écrire, 13 ans plus tard, lorsque j’ai été autorisée à revoir mon fils.  »

Avez-vous des modèles, des auteurs fétiches, des sources d’inspiration ?

 » Vous savez, je n’ai pas l’âme d’une fan. Quand j’étais en Angleterre, j’ai assisté à un concert de Bob Dylan au milieu d’une foule de fans déchaînés et j’étais la seule à être parfaitement sereine, presque indifférente. J’apprécie ses chansons, je suis là pour les écouter. Et ça me suffit. En littérature, c’est un peu la même chose. Tout me plait, tout m’intéresse, mais je n’idolâtre personne. Je trouve aussi que s’attacher à des modèles peut influencer, voire dénaturer ta propre voix. Or, je veux rester moi, être vraie. Je déteste la gonflette intellectuelle qui consiste à citer des auteurs sans arrêt, sans jamais s’impliquer, sans jamais mettre les pieds dans le plat. Il y a tout de même un auteur que j’apprécie particulièrement, c’est Khalil Gebran, le philosophe libanais. Sinon, je lis les poètes arabes bien sûr, j’aime la poésie chinoise, indienne, et je lis beaucoup de théâtre. C’est vivant, rythmé, instantané, éphémère, toujours en mouvement…Mon inspiration, je la puise dans ma culture, mes chansons, mon enfance… Les mots que je n’ai pas utilisés pendant treize ans rejaillissent et suffisent à me nourrir pour le moment.  »

Maram, quelle est votre quête ?

 » Cesser d’être une proie, sans être un prédateur. Je ressens parfois une telle violence moi aussi que je crains de ne jamais y arriver. Je pense que cela passe par la déculpabilisation. Le statut de victime est un statut de coupable permanent, désigné ou auto-désigné. On en arrive à se sentir coupable de respirer, d’exister. Je veux retrouver un statut d’être humain, mériter ma propre considération et continuer à aimer mes semblables, avec leurs qualités et leurs défauts. J’aspire à trouver la formule alchimique qui permet de refuser le statut de victime sans devenir bourreau à son tour. « 

Un poème de Maram Al-Massri, extrait de Cerise rouge sur un carrelage blanc :


(Ce poème est devenu emblématique du combat des femmes pour leur dignité. Il a été étudié dans des collèges en France, et en Palestine, où il a notamment permis à une jeune fille de parler du viol qu’elle avait subi. A Grenade en Espagne, il a été lu publiquement à l’occasion d’un rassemblement de mouvements féministes de toute l’Europe. Il a aussi été utilisé par une association féministe de Cordoue comme texte de ralliement à leur cause.)

Les femmes comme moi
Ignorent la parole
Les mots leur restent en travers de la gorge
Comme une arête
Qu’elles préfèrent avaler
Les femmes comme moi
Ne savent que pleurer
A larmes rétives
Qui soudain
Crèvent et s’écoulent
Comme une veine coupée.

Les femmes comme moi
Endurent les coups
Et ne savent pas les rendre.
Elles tremblent de colère
Réprimée.
Comme des lionnes en cage
Les femmes comme moi
Rêvent
De liberté.

A PIAN’ D’AVRETU, n° 25

Je te regarde

Poèmes intimes oscillant sans partage entre amours, peines, sensualités et observations. Le ton authentique est celui de la confidence esseulée, servie par un verbe ramassé allant droit à l’essentiel d’un souvenir, d’une image ou d’une sensation. Illustré par Youssef Abdelké.

A l’instar des rares femmes dont la plume n’a jamais celé leurs joies et affres intimes, cette poétesse se décrit autant qu’elle décrit les hommes qui ont croisé sa vie, avec particulière insistance sur son désir d’aimer bien et celui inséparable d’être aimée en retour du bien aimé.

Le titre français précise le sens de l’observation qui émane de ces pages ; comme on le verra, les vers décrivent l’essentiel, et évoquent entre les lignes l’ambiance ou les antécédents qu’on devine merveilleux, mais plus souvent douloureux. Le livre s’orne de cinq dessins modernes de Youssef Abdelké, sans compter celui de la couverture : ils captent l’atmosphère des poèmes, tel le premier d’un homme et d’une femmes nus, mais dos à dos.

Voici donc 15 des 100 poèmes cités ; les pages n’étant pas numérotées, le numéro entre parenthèses se réfère à leur ordinal. Le poème ouvrant ce recueil détonne du reste ; plutôt que relater des amours, il décrit les différents visages ou masques dont les êtres humains s’affublent selon leur humeur ou la situation :

• On a plusieurs visages
sur les épaules,
sur ses papiers d’identité,
ses photos souvenirs,

Plusieurs visages
que l’on déchire ou que l’on range,
que l’on cache ou découvre,
auxquels on s’habitue, que l’on renie,
que l’on aime
et que l’on hait,

Plusieurs visages
que l’on connaît,
dit-on, que l’on connaît ! (1)

De l’Amour avant toute chose…

Filant l’ensemble du recueil, l’amour invite à la complicité entre l’homme et la femme : « Une femme au faîte de son désir / exulte / avec les anges d’un homme…(9) », ou encore « Devant ta poitrine / à l’affût / je dérobe / ton souffle / et le mets de côté / pour le jour où je m’asphyxierai…(40) ». Le poème (21) est même une version plus subtile que Déshabillez-moi, la célèbre chanson de Juliette Gréco. L’explicite allégorie du poème (3) chante toute la promesse de la rencontre, d’autant plus tendre qu’elle est murmurée de lèvres féminines :

• La grenade,
qui garde les secrets
de ses perles,
attend toujours
que tu pèles
son écorce lumineuse…

A la soif
est promise une liqueur
exquise…(3)

• Quel
merveilleux crime
ai-je commis ?

Ce corps
dont j’ai joui
m’a offert
l’ivresse
d’un fleuve
et le frisson de vivre…(5)

• Ne sois pas tiède,
je te vomirais…

Brûler
comme
un tison,
comme
deux branches que l’on frotte,
embrase-toi…

C’est ainsi que j’aime
la vie
dans mon lit…(14)

• Déshabille-là
avec une infinie tendresse
et pose gentiment
tes doigts
sur son corps.

Une femme facile ?
Peut-être.
Une femme abandonnée ?
Certainement…(21)

Le revers de la médaille…

Cependant, à ces espoirs miroitant de bonheur, la relation avec l’Homme est souvent torturée ; celui-ci, souvent blessé à un moment de sa vie, s’isole, répond absent ou mal à l’invite de la Femme, qui pourtant veille sur lui à l’équilibre de leur relation :

• Un cœur mille fois percé
par les balles
de sa désillusion…(46)

• Il t’a fallu avoir souvent été abandonné
pour devenir farouche…

Souvent souffrir
Pour devenir si dur…

Tantôt l’un
tantôt l’autre,
tu me surprends,
amour (97)…

• Tu as oublié
qu’elle était une femme…

Celle dont tu as vu
la tristesse
comme on regarde des bulles de savon
et tu t’es amusé à te faire les ongles
pendant
qu’elle se noyait…(63)

• Pourquoi as-tu oublié
d’éteindre,
avant de t’endormir,
la lanterne
brûlante de mon désir ?

Tu m’as abandonnée,
tout allumée,
aux rapaces…(71)

• Son armoire est pleine
de vieux vêtements,
ses enfants rentrent
bruyamment,
le soir,
avec de mauvaises notes…

Son mari l’a abandonnée
et son amant n’a plus
le temps…(56)

Mais malgré la peine, la poétesse va de l’avant et ne s’arrête guère à la désillusion. Car peu importe qui de l’Homme ou de la Femme n’a pas été à la hauteur : imperturbable, la vie suit et doit suivre son cours :

• Il connaît
l’odeur de mon aisselle,
les pores de ma peau,
le goût de ma salive…

L’homme qui m’a offert son eau
et à qui j’ai offert la mienne…

L’homme qui a trahi
sa mémoire…(36)

• Je me faufile
comme une brise
entre les lèvres de ta porte,
un dernier souffle,
sans t’attacher à moi. (13)

• Chaque fois
qu’un homme m’abandonne

je suis encore plus belle…(99)

Erwan L’Helgouach
ArtsLivres (web), novembre 07

JE TE REGARDE : LA CHALEUR DES VERS DE MARAM AL-MASRI

Rome, 24 janvier 2010 – Qui a eu la chance de rencontrer Mariam al-Masri en personne, une des plus importantes poétesses actuelles en langue arabe, ne peut oublier son sourire. Et la grâce des gestes et de la voix. Mais aussi la profondeur de son regard. L’éducation moyen-orientale, hors du temps, qui dans ses aspects les plus positifs, fait de la femme une œuvre d’art, se mélange avec une sensibilité peu commune et aussi avec un esprit d’indépendance, touché par la douleur qui transparaît, discrètement, dans les yeux. Encouragée par son frère à cultiver son talent poétique dans un contexte qui ne favorisait pas de prime abord l’expression féminine, elle émigra de Syrie en France, à la recherche de la liberté. Là les joies du mariage et de la maternité sont continuellement contrariés par la cruauté et par le vide des séparations. Si bien que la poésie devient une alternative qui procure le refuge d’une résistance incapable de renoncer aux parfums de la douceur.

Mariam al-Masri vient d’être invitée à la rencontre « Ritratti di poesia. In viaggio con la poesia » ce 22 janvier au Tempio di Adriano à Rome; en 2009 Multimedia Edizioni avait publié, dans la traduction italienne de Marianna Salvioli, son troisième livre: “Je te regarde” (1ère édition à Beyrouth en 2000). Petits poèmes qui composent une histoire. Une histoire de féminité, de sincérité, de désir. « Je cours, je galope, je me bride, je monte / j’approche, je m’éloigne, je crie / je gémis, je halète, je fais silence, je me perds / je me retrouve, je tempête, je pleus / je pleure et je ris… / une femme au faîte de son désir exulte / avec les anges d’un homme » . Les images ardentes se confondent avec celles d’une irrésistible fragilité : « Déshabille-la / avec une infinie tendresse / et pose gentiment / tes doigts / sur son corps // une femme facile ? / peut-être / une femme abandonnée ? / certainement ». Et ainsi le Père prend des formes maternelles, enveloppantes : « elle demande à Dieu de lui envoyer / un signe en agitant son éventail / ou un onguent en soufflant / sur ses brûlures / comme une mère tendre… » Et la très antique image de la pouliche surgissant de l’univers féminin se colore de protestation : « perdante / comme une pouliche / montée par un / mauvais cavalier… »

Parmi les thèmes qui résonnent dans le recueil, l’amour n’est pas le seul mais quand même le principal. La recherche de l’identité et le traumatisme de l’émigration sont à dessein exclus de l’imaginaire de ces poèmes de Maram al-Masri, mais affleurent ci et là comme une rivière parmi la rocaille : « elle a légué à ses enfants / une mère qui rêve / qui danse / qui sourit… // une mère qui pleure / qui désire // une mère sans argent / qui ne reprise pas les chaussettes // une mère qui écrit des poèmes / dans une langue qu’ils ne comprennent pas… » « que feront-ils / ceux qui ne comprennent pas ma langue / de tous mes souvenirs / et des promesses / dispersées dans mes lettres ? » Mais comme la femme sensuelle et amoureuse de la vie refuse de décrire sa propre existence sous le signe de la douleur ainsi la poétesse fait résonner dans ses vers la mine de ce sourire auquel elle tient pour toutes les photos ‘officielles’ : « une âme légère / qu’opprime / un atome de tristesse / et qui se pose / en silence… // légère / comme une plume / elle s’envole gaiement / comme une brise…

[traduction de l’italien : Lambert Schlechter]

Caractéristiques

exemplaire

courant, de tête

isbn

2-913896-46-8

parution

Auteur

Al-MASRI Maram

Artiste

ABDELKE Youssef

Collection

Poésie