Description
Abed Azrié veut mettre les joyaux de la culture arabe entre toutes les mains
Libération
Abed Azrié règne depuis une vingtaine d’années sur un territoire imaginaire qui embrasse tout le Moyen-Orient, ses cultures, ses musiques, ses histoires.
La Croix
Ne lui demandez pas sa nationalité ! Abed Azrié a passé toute sa vie à se débarrasser d’être d’ici ou d’ailleurs.
L’Express
Au fil des pages d’Éperdument, Abed Azrié raconte un parcours passionnant depuis sa Syrie natale. Élevé par une mère qui « voyait la couleur et le printemps en tout, elle a planté en nous le verbe « aimer » », Abed est très tôt fasciné par les instruments de musique. À huit ans, enfant de chœur, il voulait jouer de l’orgue à l’église, et chaque dimanche, courait les messes des différents rites, byzantine catholique, orthodoxe, chaldéenne, syriaque, arménienne, latine et protestante.
Son arrivée à Paris, en 1965 à l’âge de dix-neuf ans, marque le début de sa formation musicale. Il intègre l’école Martenot puis l’école normale de musique, apprend la langue en traduisant de la poésie française vers l’arabe, et devient un chanteur et compositeur incontournable, qui renouvelle la musique orientale.
Son parcours est semé de gens incroyables qui ont illuminé son chemin : sa mère, ses sœurs, le père Balian, Maurice Martenot, Jean Picart le Doux, sa découverte des auteurs soufis et de la mythologie mésopotamienne, sa rencontre avec Pierre Petit, Adonis, Nadia Boulanger, Ziryâb, Omar Khayyam, Goethe, Gilgamesh, Sargon…
Abed Azrié nous ouvre les pages de son histoire, ses grands-parents et leur fuite à Alep en 1915 lors du génocide des Arméniens, mêlée à ce qui l’inspire : les musiques, les mythes et légendes mésopotamiennes, les religions monothéistes, leurs récits et leurs archétypes.
« Une vie entière pour apprendre cette phrase de Gilgamesh : Se renouveler en permanence »
Abed Azrié, concert pour la présentation d‘Éperdument au Phono Museum, à Paris
Compositeur français, Abed Azrié est né à Alep en Syrie, auteur d’une vingtaine d’albums, de plusieurs musiques de films et plusieurs livres dont une traduction de l’épopée de Gilgamesh (en français). Au fil des tournées en Europe, aux États-Unis ou au Mexique, sa musique rassemble un large public, conquis par la modernité de la composition et par l’universalité du message. Elle a, depuis longtemps, attiré l’attention d’artistes aussi différents que Yehudi Menuhin, John Adams, Jeff Buckley, Leonard Cohen ou René Char. Abed Azrié se veut avant tout un homme de liberté. Il croit à l’art comme ferment humaniste et défend un art libéré des codes et des frontières, s’adressant à l’être humain dans ce qu’il a de plus universel et de plus actuel.
Les textes à partir desquels il travaille dans de multiples langues (arabe, espagnol, français, vénitien, anglais ou allemand) proviennent de poètes d’Orient et d’Occident, anciens et contemporains : Adonis, Andrea Zanzotto, Omar Khayyâm, Jean Cocteau, Gibran, Hâfez, Goethe et d’autres… Tous constituent un appel à exister dans la plénitude de l’être et célèbrent le mystère de la vie, la liberté d’esprit, l’ouverture du cœur…
À première vue, Éperdumentest le récit d’une vie, mais très vite, c’est l’histoire d’une voix : celle d’un homme qui a fui l’oppression familiale et idéologique pour épouser la liberté de l’art. Ce récit se déploie comme une fugue : un thème (la révolte intime), des variations (exil, musique, mysticisme), et des résonances profondes entre narration et pensée.
Une Méditerranée pour voix intérieure
Toute quête de voix commence par une forme de silence imposé. Celle d’Abed Azrié débute dans un Alep qui n’est pas la carte postale sépia des orientalistes, mais un creuset où le sacré des liturgies se heurte à la violence du quotidien. L’air y est chargé des appels du muezzin et des carillons des églises, mais aussi des cris étouffés d’une famille sous l’emprise d’une figure paternelle écrasante. Cet homme, que l’auteur décrit comme le « type masculin ottoman », incarne une autorité qui nie l’individu, un patriarcat qui exige le silence et la soumission. Dans cette partition dissonante, la contre-mélodie vient des femmes : une grand-mère héroïque qui cache des réfugiés arméniens, des sœurs complices et, surtout, une mère, Hélène, figure tutélaire qui, face à la brutalité alcoolisée, organise la révolte. Elle ne transmet pas un héritage de rancœur, mais, comme l’écrit l’auteur avec une sobriété poignante, elle « a planté en nous le verbe “aimer” ». C’est dans cette fracture originelle que la musique cesse d’être un divertissement pour devenir une nécessité vitale. Elle est d’abord un refuge, un « bouclier » construit pour protéger son oreille, son imagination. Très vite, elle devient le langage même de l’aspiration à un ailleurs, le chant de sirène d’une Méditerranée qui promet un autre rivage, une autre rive : celle d’un Paris rêvé, non comme destination géographique, mais comme espace de libération acoustique où sa propre voix pourra enfin exister sans être niée.
L’enfant qui écoutait le monde
Abed Azrié ne déroule pas une chronologie ; il tisse une mémoire sonore. Le motif principal, celui de l’écoute, traverse tout le récit et lui donne sa cohésion profonde. Éperdument est une phénoménologie de l’oreille. De l’oralité syrienne, où les mélismes de l’église syriaque sculptent son enfance, aux ondes radio diffusant les musiques « venant de la mer », en passant par l’apprentissage obsessionnel du français à travers la traduction de poèmes de Mallarmé ou Desnos, tout passe par le prisme de l’écoute. Abed Azrié n’apprend pas le monde, il l’absorbe, il le laisse résonner en lui. Cette approche fait éclater les genres. L’autobiographie dialogue constamment avec le conte mystique – la rencontre avec le père Balian, ce saint anachorète qui ne se lave pas, tient de l’hagiographie médiévale. Le récit se fait analyse géopolitique lorsqu’il évoque la dépossession de Kilis ou du Hatay. L’écriture elle-même semble structurée musicalement. Le récit progresse par thèmes et variations. Les figures tutélaires (la mère, les Guipon, Monsieur Martenot) sont des leitmotivs réconfortants, des accords parfaits dans une composition parfois tendue. La violence du père, le dogmatisme ambiant, les désillusions de Prague sont des dissonances nécessaires qui créent la dynamique du récit. Chaque chapitre est une séquence, avec son propre tempo, ses propres couleurs. On sort d’une anecdote intime pour entrer dans une méditation sur Ibn Arabi, avant de plonger dans le souvenir concret et sensoriel d’un sorbet aux saveurs oubliées. Abed Azrié compose avec sa vie comme il composerait une suite, mêlant l’adagio des souvenirs mélancoliques au presto des découvertes parisiennes, le tout porté par une conviction profonde que rien ne doit rester lettre morte : ni l’épopée de Gilgamesh, ni un quatrain de Khayyâm, ni sa propre histoire.
Éperdument : une musique contre le bruit du monde
En échappant au particularisme du récit de migrant et à l’hermétisme du traité de musicologie, Éperdument atteint une forme d’universalité. C’est le parcours d’une âme qui cherche sa juste fréquence dans un monde saturé de bruits parasites et d’idéologies assourdissantes. Le livre s’offre comme une conversation intime et cosmopolite où dialoguent Fauré et les poètes soufis, la Sorbonne et les souks d’Alep, Rutebeuf et Georges Brassens. Abed Azrié illustre cette pensée de la préface de Hubert Haddad : « L’identité n’est pas un héritage, c’est une construction ». La sienne se forge par strates successives, par syncrétismes audacieux, où chaque rencontre, chaque lecture, chaque son est un matériau qui vient enrichir la partition initiale. Cette démarche est portée par une force que les systèmes rationnels ignorent : l’intuition. L’auteur le confesse, sa seule règle a toujours été l’instinct. C’est son intuition qui le guide vers les bonnes rencontres, les bons textes, les bonnes musiques. C’est elle qui lui fait percevoir le divin dans le regard de sa mère et le diabolique dans les dogmes sclérosés. En cela, Éperdument est une célébration de ce que l’auteur nomme sa « petite folie », cette intelligence sensible qui est le propre de l’artiste et de l’amoureux. C’est un plaidoyer pour un savoir qui ne se thésaurise pas mais qui transforme, qui fait de la vie une œuvre et de l’œuvre une manière d’être au monde. Ainsi, on referme ce livre non pas avec le sentiment d’avoir lu une biographie, mais d’avoir écouté une partition vibrante, qui continue de résonner longtemps après que le silence s’est fait. Une invitation, en somme, à écouter la fugue discrète qui se joue en chacun de nous.
Chroniqueur : Maxime Chevalier, Mare nostrum 3/07/2025