Deux fois le même nuage

A partir de 16


Le peintre et graveur Albert Woda accompagne de cinq gravures les poèmes de Tal Nitzan,
traduits de l’anglais par Alain Gorius, en collaboration avec l’auteur:

Un volume de 64 p. sur Bouffant, au format 15 x 21 cm.

Tirage de luxe au format 28 x 20 cm, typographié au plomb sur Arches, rehaussé par Woda de cinq gravures originales, sous étui.

Effacer

Description

La Préface d’Yvon Le Men

Le poids d’un nuage

Ce n’est pas facile d’écouter aux portes, à toutes les portes, même celles que vos frères fracassent à coup de crosse. Ce n’est pas facile de vivre entre deux portes, la Nakba et la Shoa, deux camps, deux terres, surtout quand les deux terres sont la même. Ce n’est pas facile de faire partie des bourreaux quand on est du côté des victimes qui sont aussi parfois des bourreaux. Ce n’est pas facile d’être israélienne en Israël quand on écoute aux portes, fenêtres ouvertes. Suppose, dit Tal Nitzan que tu n’aies pas d’autre côté pour te reposer de la douleur… cette douleur qui a besoin de toi et à laquelle tu dois te donner entièrement. Pourquoi, se demande le lecteur, en parcourant ce livre pas à pas, page à page – dont nous pourrions citer plusieurs pages – pourquoi sommes-nous remués, remués comme remue le couteau dans la plaie. La vieille plaie d’où nous sommes nés, étrangers sur la terre… promise. Y aura-t-il toujours un peuple de trop sur la terre ? Hier les Juifs, aujourd’hui les Palestiniens ? Et toujours, toujours les mêmes êtres humains qui ont froid, faim, rient, pleurent, aiment, haïssent et aiment encore jusqu’a la fin des temps. Et parce qu’ils aiment trop, ils haïssent trop.
C’est au centre de ces questions, au cœur de la cible que Tal Nitzan a écrit ses poèmes, tendus entre deux pôles, deux peuples. Ils marchent sur une seule langue, vieille comme le monde, profonde, profonde comme l’écho qu’elle a dans ma langue. J’entends ici brûler les larmes dans les rires, l’enfant dans l’adulte qui se souvient qu’une fois un serpent est entré dans le jardin d’enfants et qu’elle n’avait peur que des enfants.
Plus tard ce même enfant dira : quiconque porte dans sa chair son chagrin comme un noyau, /même le plus léger effleurement d’une main, un signe de tête/à l’entrée d’un immeuble, dépasse ce qu’il peut supporter. Et il ajoutera : Je sors la tête de l’eau et je sais que maintenant je devrais crier « Au secours » avant de couler à nouveau, mais j’ai oublié dans quel pays je me trouve et dans quelle langue je suis supposé crier.
Voilà où nous en sommes dans ce livre dont chaque phrase, chaque vers se tient par le suivant comme pour ne pas tomber la tête la première dans le vide. Ainsi ils font poème, leurs poèmes, si fragiles qu’ils ont besoin l’un de l’autre pour avancer et nous murmurer que la lumière s’allumera derrière le dernier mot. Car malgré tout ce qu’elles énoncent en plein jour, ces paroles tiennent debout en pleine nuit. Car Que pourrais-je te dire d’autre, disent-elles encore :

Que dans ma pauvreté tu es le trésor caché
hors de portée de leurs mains.

Que dans ta pauvreté je voudrais être le trésor caché
hors de portée de leur pensée.

Comme si la lumière avait le dernier mot…

Possibilités

– Suppose que tu sois allongé sur le côté depuis un long moment, c’est bientôt novembre et tu es toujours allongé sur le même côté, déjà ta joue te fait mal, ton oreille te fait mal aussi, tu as le torticolis, les côtes en compote et ton corps entier crie « Ça suffit ».
– je changerai de côté.
– Suppose que tu n’aies pas d’autre côté.


La critique

OCTOBRE 14, 2016
Tal Nitzán : Deux fois le même nuage

PAR SÉBASTIEN HOËT, CCP 32-5, octobre 2016

Dans son Avant-dire, Yvon Le Men rappelle avec pertinence où nous nous tenons dans la lecture de ce beau recueil“ entre deux peuples, dans une langue vieille comme le monde, dans l’ici vécu comme incertitude, guerre, exil. Nous sommes donc en Israël. Cet exil n’est pas que géographique, il n’interroge pas seulement le territoire et ses limites toujours problématiques, mais exproprie plus profondément chacun de lui-même et de sa langue : « (…) Je sors la tête de l’eau et je sais que maintenant je devrais crier « au secours » avant de couler à nouveau, mais j’ai oublié dans quel pays je me trouve et dans quelle langue je suis supposée crier» (p. 23). Quelle langue est-il alors parlé dans le poème pour celle qui est « née dépourvue de langue maternelle » (p. 22) ? On ne peut que penser à la fameuse phrase de Proust selon laquelle le grand écrivain donne l’impression d’écrire dans une langue étrangère, mais chez Tal Nitzan cette étrangeté, pour reprendre le mot de Levinas, ne se limite pas à  la singularité d’une incise de langue, c’est-à-dire d’un style, elle signifie l’absence d’habitation généralisée – même la langue ne permet pas en l’occurrence de s’habiter soi-même, d’être qui l’on est. De la rêverie oublieuse qui plonge dans le paysage mouvant des nuages, paysage innocent et sans frontière, d’où le retour à  l’enfance, d’où la peur pour l’enfant qui empêche la poètes d’écrire le poême qu’elle lui dédie.

Traduit par Alain Gorius (anglais), Denise Boucher et Marlena Braester (hébreu)

Caractéristiques

exemplaire

courant, de tête

isbn

978-2-36426-061-0

parution

Auteur

NITZAN Tal

Artiste

WODA Albert

Collection

Poésie