Description
Pour Adonis
I
Un oeil allié de son errance
à l’instant de l’aube ancienne
où le sable naît hanté par sa blancheur
où les rayons s’enracinent
et l’étendue est une eau que les mots libèrent
.
Mon œil revoit à sa guise
les lignes de ceux qui viennent
vestiges du vent veillant de ses braises
sur un pays distribué entre
les lambeaux des nuages
Quel désert est cela auquel mon souffle s’accroche telle dans mes veines une voiture emportée par la vitesse ? souffle dont les mouvements se croisent, montant jusqu’à l’obscur des battements, remontant encore vers un adieu où le rien se mêle à la chose. Voici les dunes, le vent les crée, sable fin qui s’étend entre tes mains, passe à travers tes doigts. Reconsidère le passage d’une caravane. Une terre, désert qui s’incline d’un bord à l’autre. Telle est ta plaine basse où fut répandue l’odeur de lavande. Un corps s’embrase et se refait. Tes collines apparaissent. Sous peu, tu entendras des passagers prêts à emporter leurs tentes. Et toi, choisis le pas du chameau qui conduit aux géographies orphelines. D’où es-tu venu? tu ne t’en souviens pas. Suis donc le sable ; ta marche laissera des marques de turquoise. Spectres qui errent. Suis ta traversée qui a celé l’hymne de ceux qui viennent des régions que tu as visité. Pour toi, j’ai élu l’eau, dans l’assoupissement, l’automne, le palmier, pour une main peu diserte. Suis un tourment relancé à chaque élan du temps comme pierre qu’on éjecte. Là-bas ceux de ta tribu sellent leur solitude. Suis des voyageurs qui ne reviendront pas d’un séjour dans un présent aux mille faces.
La critique
à propos de la collection « la parole peinte » Ces livres où peintres et poètes font bon ménage (…) Mais avant d’en arriver à la réception de l’œuvre, voyons sa production intellectuelle. Retournons en amont. Nous retrouvons des complicités aux regards croisés. Entre Kacimi et son bonhomme gai, amer, dans Le Creux du corps. Le peintre y illustre sa vision poétique de la déchéance humaine. Entre les textes du critique d’art Nicole de Pontcharra et les dessins de Mohamed Abouelouakar, écrits et peints dans le livre intitulé Dans le silence, c’est bel et bien une étreinte d’amitié qui se dégage. L’écrivain est allé jusqu’à Moscou rencontrer cet artiste singulier, solitaire. Ils se disent tous deux « de la même tribu ». Ceci n’est pas complètement métaphorique, puisque Nicole, d’origine russe, a vécu durant son enfance à Marrakech, ville natale du peintre. Ceci dit, son rapport à la ville ocre, et avec la Koutoubia qu’elle a pu gravir dans les années 50, alors jeune chrétienne interdite d’accès, est davantage perceptible à travers Marrakech Lumière sur lumière, livre dans lequel Farid Belkahia s’abandonne, par souci de dialogue sans doute, à des variations de formes et de couleurs qui rendent bien le tourbillon de l’escalade à laquelle s’était livrée la poétesse. Entre Alain Gorius, poète et responsable de la galerie Al Manar, et Mohamed Kacimi, le rapport est étroit également. Ces poèmes dépouillés, écrits de Rabat à Marrakech, ont été accompagnés, dans Ombre portée, par des silhouettes et des symboles signifiant le parcours, sans lyrisme, avec détachement. Ce même Alain Gorius se retrouve en échange esthétique avec le jeune peintre Yamou dans Stellaires dans la nuit des rêves. Enfin, Approche du désertique permet aux poèmes de Mostafa Nissabouri de donner du volume au vide que créent les sérigraphies de Miloudi. D’une rencontre à l’autre, le credo est clair : « parallélisme du langage plastique et du langage poétique ».Aucun des deux n’est au service de l’autre.Les deux se tiennent par la main et nous invitent au voyage.Le temps d’un livre. Driss Ksikès, Le Journal, 20-2-1999 une heureuse cohabitation entre peintres et poètes (…) Les années 50 et 60, les peintres et les écrivains se sont regardés de loin, pour ne pas trop confirmer l’absurdité du monde. L’abstraction des deux côtés a été cette sorte de repli sur les ustensiles des arts : les mots et les couleurs. Ce sont les éditeurs qui viendront ranimer la flamme de cette ancienne amitié et trouveront les complicités entre des individualités, dans une sorte d’intimité, sans prétention, pour que des livres-images, dans toutes sortes de formats, puissent voir le jour. (…) Le travail d’Alain Gorius, éditeur d’art, s’inscrit dans cette logique, même si la cohabitation entre nos poètes et nos peintres a été dès le début le stimulant nécessaire, pour les uns et les autres, pour que naisse chez nous le projet d’une création contemporaine. Il est bien vrai que depuis quelques années les porte-folios se font très rares, et cette nouvelle entreprise de la Galerie Al Manar vient redonner un nouveau souffle à cette collaboration des sensibilités. Les titres proposés sont : Dans le silence, qui réunit les poèmes de Nicole de Pontcharra et les dessins de Mohamed Abouelouakar ; Marrakech Lumière sur lumière, poème de Nicole de Pontcharra et peintures de Farid Belkahia ; Ismaël et le chien noir, nouvelle de Jean-Pierre Millecam et peintures de Mohamed Azouzi ; Le creux du corps, un ensemble de poèmes de Kacimi et de ses propres gravures ; La malle de Sidi Maâchou, texte d’Edmond Amran El Maleh et gravures de Tibari Kantour ; Approche du désertique, huit chants de Mostafa Nissabouri et peintures de Houssein Miloudi ; Stellaires dans la nuit des rêves, poème d’Alain Gorius et gravure d’Abderrahim Yamou ; Ombre portée, enfin, poèmes d’Alain Gorius et gravure de Kacimi. Deux raisons nous semblent motiver la production de ces œuvres à deux mains, l’une économique, et l’autre esthétique. En effet, les tableaux de nos peintres sont devenus de plus en plus chers, et les acquérir est devenu l’affaire de quelques riches collectionneurs ou d’institutions ; les intellectuels et les amateurs d’art se retrouvent spectateurs frustrés de cette aventure de notre art, de laquelle ils se sentent rejetés pour raison économique. Un livre fait de poèmes et de peintures est un substitut convenable pour élargir le cercle des gens concernés par notre art contemporain. La deuxième raison est dans un sens parallèle à la première, purement matérielle. Notrepeinture, comme notre poésie, dans le sillage des grands courants des créations contemporaines, sont difficiles d’accès et résistent à l’œil qui voudrait les absorber instantanément. Trop de références derrière chaque tableau et chaque poème, et ceux qui s’y aventurent ensemble sont, peut-être, capables d’imposer une attention plus grande à leur assimilation, et pour que le monde qu’ils reflètent soit plus dense émotionnellement à tous. Azzouz TNIFASS, Le Temps du Maroc n° 174, 26-2-1999 |