"La plupart des humains ne font que traîner une petite âme toute froissée, encrassée et mitée au fond de leur poches - et encore, un grand nombre a les poches trouées et égare son chiffon d'âme en chemin sans s'en apercevoir."
"On écrit, certes, dans une totale solitude et jamais pour un public - ce serait lui manquer de respect - mais jamais pour soi seul non plus. On écrit en fait pour ce qu'il y a d'altérité en soi. Pour tous ces mots qu'on a entendu dire. Pour ces morts dont le visage ou le regard reviennent dans la densité extrême de la concentration."
1954 Naissance de Sylvie Germain à Châteauroux (Indre), où elle ne reste que dix-huit mois. Comme ses trois frères et sœurs, elle est ballottée de ville en ville, au gré des affectations de son père, sous-préfet.
1961 Sylvie Germain fait une sortie avec sa classe pour assister à une éclipse. Là, elle connaît sa "première expérience de la mort" - dont elle s'inspirera pour L'enfant méduse en 1991 - : "les maîtresses nous ont dit : "Vous allez voir un événement que vous ne verrez plus jamais, qui ne se reproduira pas avant cent ans." Quand on dit cent ans à un enfant, ça veut dire "je ne serai plus là"…"
1972-1977 Pourtant attirée par la peinture et les beaux-arts, elle bifurque sur un coup de tête vers la philosophie et suit les enseignements d'Emmanuel Lévinas à la Sorbonne. "Je pense avoir fait de la philo sérieusement, mais pas comme une vraie philosophe, plutôt dans une sorte de rêverie.". Elle signe un mémoire de maîtrise sur la notion d'ascèse dans la mystique chrétienne, et une thèse de doctorat sur le visage humain. Le soir même de sa soutenance de thèse, désemparée de ne plus rien avoir à rédiger, elle se met à écrire des contes pour enfants, puis des nouvelles.
1979 Sylvie Germain parcourt seule les pays de l'Est, et découvre alors la Tchécoslovaquie dont elle tombe amoureuse.
1981 Au terme de son cursus universitaire, elle entre au ministère de la Culture, à la direction de l'audiovisuel, parce que l'idée d'enseigner la terrorise : "Ma timidité morbide rendait impossible tout exposé devant quarante élèves."
1985 Elle envoie au romancier Roger Grenier le début d'un manuscrit. Enthousiaste, ce dernier la soutient et l'encourage à continuer. Son premier roman, Le Livre des nuits, est récompensé de six prix littéraires, dont le prix de la Ville du Mans.
1986-1993 Elle s'installe à Prague, quittant alors, sans regret, ses fonctions au ministère de la Culture, pour devenir documentaliste et professeur de philosophie à l'Ecole française de Prague.
1989 Elle signe Jours de colère, qui obtient le prix Femina.
1993 De retour en France, l'écrivain partage son temps entre Paris et la Rochelle, où elle vit avec son compagnon, photographe, et héritant du même coup de deux grands enfants : "Si j'avais eu un enfant, j'aurais traversé le monde en rampant pour lui."
1994 Immensités, dédié aux dissidents de Prague, explore la souffrance de ces hommes que la "révolution de velours" n'a toujours pas libérés. Hommage et adieu à une ville dont elle se sépare en affirmant, avec hésitation : "Je ne pense pas que je retournerai à Prague…"
1997 Avec Cephalophores, elle se passionne pour ces saints qui portent leur tête coupée sous le bras, des figures légendaires dont les tourments sont à la mesure de leur passion : "Tous ceux et celles que l'amour a ravis sont des céphalophores, des êtres en proie à une miraculeuse catastrophe", écrit-elle.
1999 Sylvie Germain signe un essai sur Etty Hillesum, jeune mystique juive hollandaise morte à Auschwitz en novembre 1943.
2000 Elle signe trois ouvrages : un récit de voyage sur Cracovie, Cracovie à vol d'oiseaux (éd. du Rocher), un essai de vie spirituelle sur le mystère de l'existence de Dieu, Mourir un peu (éd. Desclée de Brouwer) et un album de photographies sur la Toussaint, Grande nuit de Toussaint (éd. Le temps qu'il fait). Au-delà de cette apparente diversité des genres, Sylvie Germain crée un univers d'une grande cohérence où se mêlent tour à tour sacré et merveilleux. L'exode, le souvenir de la Shoah, la souffrance de l'homme et le silence de Dieu continuent encore et toujours d'inspirer des mots, qui, à ses yeux, sont "luisants de pluie, de sang, de boue, poudroyants de lumière."
2002 Chanson des mal-aimants, récit d'un abandon, est publié aux éditions Gallimard en septembre ; en novembre paraît Couleurs de l'Invisible, recueil de nouvelles et de poèmes accompagnés de soixante-dix dessins par Rachid Koraïchi, aux éditions Al Manar.
(extrait de "Sylvie Germain, l'écorchée vive" par Julie Elmoznino)