Description
L’édition de luxe d' »Alambic » est rehaussée de trois encres originales de Laurent Noël.
Les encres de Laurent Noël sont magnifiques, ainsi que la facture du livre chez Al Manar. À spécifier séance tenante.
La poésie de Marie-Josée Christien, émiettée ici en sept parties, ne s’attrape pas comme ça. Le titre déjà donne sa mesure d’alchimie qui est revendiquée dès le texte initial. Avec son pendant le mot élixirun peu plus loin.
Les poèmes sont la plupart du temps courts et drus. Chaque strophe cherchant un maximum de concentration d’idées et de densité du sens.
Pour tout dire, on aborde sans cesse les contours de l’abstraction. Et si l’on peut définir ses bordures, il va falloir rapprocher un certain nombre de mots à l’empan très large comme silence, nuit, ombre, neige, langue et quelques autres qui, par juxtaposition, empilement ou osmose tracent la direction de ce que la poète Marie-Josée Christien entend exprimer.
au creux de la nuit
le silence ne fait pas d’ombre
ou bien
Un soupçon de sève
où se promet le sens
accompagne le secret.
À l’inverse, et logiquement, inutile de chercher dans son écriture autocentrée un quelconque paysage ou la moindre description physique, on se confronte d’un bout à l’autre à un magma de matière spirituelle et sensorielle.
Par ailleurs, un aveu furtif risquerait de passer inaperçu :
Je refuse
les parentés qui rassurent
On peut le prendre avec la circonspection d’usage mais une chose est sûre, l’autrice semble prendre pleinement en compte une réelle solitude assumée, marchepied d’une force tournée vers une recherche de vérité sur soi-même, aiguë et acérée.
En revanche, quitte à toucher à une relative contradiction un certain nombre de poèmes sont écrits soit en hommage, soit à partir d’œuvres picturales ou écrites. Ainsi Kandinski, Marc Bernol qui a travaillé par deux fois avec elle, son ami Guy Allix ou encore Ghislaine Lejard :
Fuyant autour
la fenêtre
tient tout le paysage
sur ses bords
Il y a indéniablement chez la rédactrice en chef de la revue Spered Gouez un sens affirmé de la recherche du mystère, qui se reflète dans les différentes questions comme : d’où vient le poème ?, avec cette quête continue de la genèse, ou bien où va le poème ?
je cherche la vie
à tâtons
J’avance
mot à mot.
ou encore quelle portée ?
avec cette réponse possible :
mon poème
en sait plus
que moi.
Jacques Morin, Décharge / Le Magnum
Sous le titre elliptique Alambic, Marie-Josée Christien nous propose rien de moins qu’une approche du pourquoi et du comment de la poésie. En une cinquantaine de poèmes courts, parfois aux allures d’aphorismes, elle sonde les mystères de l’origine de l’écriture poétique.
L’alambic, nous dit le dictionnaire, est un appareil pour distiller, en particulier l’alcool. Dès les premières pages de son livre, Marie-Josée Christien ne nous parle-t-elle pas (s’agissant cette fois de la poésie) d’un « elixir des mots/goutte à goutte/dans l’alambic de la nuit/secrète du silence ». Car ce silence ne serait-il pas le lieu ou le moment privilégié de l’expérience poétique ? On pourrait le penser à la lecture de son livre tant ce mot silence revient avec insistance au fil des pages. « La saveur du savoir/prend corps/dans le silence ». Plus loin : « Le silence/ne se contemple pas/il s’éprouve ». Ou encore ceci : « Je scande le silence/ pour désapprendre/l’orgueil des savoirs dérisoires ». Le silence donc, encore et toujours, garant de l’émergence d’une vraie parole poétique.
Mais il y a plus que le silence dans l’alambic de Marie-Josée Christien. Au cœur de cette « alchimie intérieure » qui est la sienne, s’impose le poids de la mémoire. Ce qu’elle appelle « le limon de la mémoire » ou encore « les scories de la mémoire ». Nous sommes ce que nous avons vécu et le poème est là pour en témoigner. « On garde des souvenirs/pour se réfugier/quand on a froid », écrit-elle dans un poème triptyque dédié à Guy Allix, compagnon de route dans la poésie. « Toute langue est un temple/où s’enclôt le temps », écrit-elle ailleurs dans un hommage au poète Armand Robin.
photo Yvon Kervinio
On comprend donc que Marie-Josée Christien tienne, dans ce livre, à entretenir la mémoire de ces auteurs qui l’ont profondément marquée : de Glenmor à Xavier Grall en passant par Youenn Gwernig. Cela concerne aussi les artistes qui ont compté pour elle, à commencer par Marc Bernol (1940-2022), auteur d’encres ou de dessins destinés à certains de ses livres.
Dans le chemin de la vie, Marie-Josée Christien dit qu’elle avance « mot à mot ». Elle confie aussi se dépouiller des « mots morts-nés » parce que « vivre/exige/de se dépouiller/de tout/même/de l’attente ». C’est ce dépouillement (produit d’une distillation réussie) qui caractérise fondamentalement son nouveau recueil. Pas de gras. L’os à nu. Avec cette part de mystère qui entoure de nombreux poèmes. « Au fond des mots/se dépose/ce que je ne peux prononcer ». La poète peut alors, dans un forme de pirouette, clore son recueil par cette citation d’Apollinaire extraite de Alcools : « Mon verre s’est brisé comme un éclat de rire ».
Pierre TANGUY, Bretagne actuelle
Alambic, Marie-Josée Christien, encres de Laurent Noël, éditions Al Manar, 85 pages, 19 euros.