A partir de 19


LE nouveau recueil de Marie-Josée Christien — ou comment naît le poème dans l’alambic de l’écriture.

Accompagnement plastique tout en finesse de Laurent Noël.

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Description

Quand les mots

tressaillent trébuchent

se disloquent

l’espoir prend les risques

de ses sanglots.

L’édition de luxe d' »Alambic » est rehaussée de trois encres originales de Laurent Noël.

 


Les encres de Laurent Noël sont magnifiques, ainsi que la facture du livre chez Al Manar. À spécifier séance tenante.

La poésie de Marie-Josée Christien, émiettée ici en sept parties, ne s’attrape pas comme ça. Le titre déjà donne sa mesure d’alchimie qui est revendiquée dès le texte initial. Avec son pendant le mot élixirun peu plus loin.
Les poèmes sont la plupart du temps courts et drus. Chaque strophe cherchant un maximum de concentration d’idées et de densité du sens.

Pour tout dire, on aborde sans cesse les contours de l’abstraction. Et si l’on peut définir ses bordures, il va falloir rapprocher un certain nombre de mots à l’empan très large comme silence, nuit, ombre, neige, langue et quelques autres qui, par juxtaposition, empilement ou osmose tracent la direction de ce que la poète Marie-Josée Christien entend exprimer.

au creux de la nuit
le silence ne fait pas d’ombre

ou bien

Un soupçon de sève
où se promet le sens
accompagne le secret.

À l’inverse, et logiquement, inutile de chercher dans son écriture autocentrée un quelconque paysage ou la moindre description physique, on se confronte d’un bout à l’autre à un magma de matière spirituelle et sensorielle.

Par ailleurs, un aveu furtif risquerait de passer inaperçu :

Je refuse
les parentés qui rassurent

On peut le prendre avec la circonspection d’usage mais une chose est sûre, l’autrice semble prendre pleinement en compte une réelle solitude assumée, marchepied d’une force tournée vers une recherche de vérité sur soi-même, aiguë et acérée.

En revanche, quitte à toucher à une relative contradiction un certain nombre de poèmes sont écrits soit en hommage, soit à partir d’œuvres picturales ou écrites. Ainsi Kandinski, Marc Bernol qui a travaillé par deux fois avec elle, son ami Guy Allix ou encore Ghislaine Lejard :

Fuyant autour
la fenêtre
tient tout le paysage
sur ses bords

Il y a indéniablement chez la rédactrice en chef de la revue Spered Gouez un sens affirmé de la recherche du mystère, qui se reflète dans les différentes questions comme : d’où vient le poème ?, avec cette quête continue de la genèse, ou bien où va le poème ?

je cherche la vie
à tâtons

J’avance
mot à mot.

ou encore quelle portée ?
avec cette réponse possible :

mon poème
en sait plus
que moi.

Jacques Morin, Décharge / Le Magnum


Sous le titre elliptique Alambic, Marie-Josée Christien nous propose rien de moins qu’une approche du pourquoi et du comment de la poésie. En une cinquantaine de poèmes courts, parfois aux allures d’aphorismes, elle sonde les mystères de l’origine de l’écriture poétique.

L’alambic, nous dit le dictionnaire, est un    appareil pour distiller, en particulier l’alcool. Dès les premières pages de son livre, Marie-Josée Christien ne nous parle-t-elle pas (s’agissant cette fois de la poésie) d’un « elixir des mots/goutte à goutte/dans l’alambic de la nuit/secrète du silence ». Car ce silence ne serait-il pas le lieu ou le moment privilégié de l’expérience poétique ? On pourrait le penser à la lecture de son livre tant ce mot silence revient avec insistance au fil des pages. « La saveur du savoir/prend corps/dans le silence ». Plus loin : « Le silence/ne se contemple pas/il s’éprouve ». Ou encore ceci : « Je scande le silence/ pour désapprendre/l’orgueil des savoirs dérisoires ». Le silence donc, encore et toujours, garant de l’émergence d’une vraie parole poétique.

Mais il y a plus que le silence dans l’alambic de Marie-Josée Christien. Au cœur de cette « alchimie intérieure » qui est la sienne, s’impose le poids de la mémoire. Ce qu’elle appelle « le limon de la mémoire » ou encore « les scories de la mémoire ». Nous sommes ce que nous avons vécu et le poème est là pour en témoigner. « On garde des souvenirs/pour se réfugier/quand on a froid », écrit-elle dans un poème triptyque dédié à Guy Allix, compagnon de route dans la poésie.  « Toute langue est un temple/où s’enclôt le temps », écrit-elle ailleurs dans un hommage au poète Armand Robin.

photo Yvon Kervinio

On comprend donc que Marie-Josée Christien tienne, dans ce livre, à entretenir la mémoire de ces auteurs qui l’ont profondément marquée : de Glenmor à Xavier Grall en passant par Youenn Gwernig. Cela concerne aussi les artistes qui ont compté pour elle, à commencer par Marc Bernol (1940-2022), auteur d’encres ou de dessins destinés à certains de ses livres.

Dans le chemin de la vie, Marie-Josée Christien dit qu’elle avance « mot à mot ». Elle confie aussi se dépouiller des « mots morts-nés » parce que « vivre/exige/de se dépouiller/de tout/même/de l’attente ». C’est ce dépouillement (produit d’une distillation réussie) qui  caractérise fondamentalement son nouveau recueil. Pas de gras. L’os à nu. Avec cette part de mystère qui entoure de nombreux poèmes. « Au fond des mots/se dépose/ce que je ne peux prononcer ». La poète peut alors, dans un forme de pirouette, clore son recueil par cette citation d’Apollinaire extraite de Alcools : « Mon verre s’est brisé comme un éclat de rire ».

Pierre TANGUY, Bretagne actuelle

Alambic, Marie-Josée Christien, encres de Laurent Noël, éditions Al Manar, 85 pages, 19 euros.

 




Marie-Josée Christien, Alambic, Al Manar, 2025.

La dédicace que m’a écrite Marie-Josée lors du marché de la poésie annonce qu’il va être question de la genèse du poème. L’épigraphe de Daumal le confirme : « tout poème naît d’un germe, d’abord obscur, qu’il faut rendre lumineux pour qu’il produise des fruits de lumière ».

Maintenant, je feuillette le recueil. Il est découpé en sept poèmes qui vont nous entraîner de la « Genèse de l’étincelle » jusqu’à l’« Alambic » (je souris avec ce mot car il me rappelle la discussion avec l’éditeur et Marie-Josée sur son origine arabe – lors d’une lumineuse après-midi place Saint-Sulpice).

Le recueil débute par trois vers parfaits : « Le silence gravi / traverse les mots / engendre la pensée » (p. 11). Parfaits par leur simplicité et leur exactitude mais aussi par la vérité noétique si j’ose ce mot : nous gravissons le silence dans un mode passif et par lui, la pensée que nous croyons nôtre, s’engendre, c’est-à-dire produit ou perpétue son semblable, donc le silence. Je tourne la page. Je vous propose deux nouveaux extraits : « la langue / n’est que l’écorce / de l’esprit » (p. 12) et « un mouvement de l’âme / m’accueille / et me fonde » (p. 13). Redites et méditez le mot écorce. Vous souvenez-vous d’écorces que vous avez caressées ? Dressez alors un parallèle avec la langue en la considérant semblable à la peau rugueuse d’une écorce qui protège la sève, ici de l’arbre et là de l’esprit, et qui circule si lentement. Ou intéressez-vous au mot mouvement : avez-vous éprouvé et identifié ces mouvements de pensée qui vous traversent ? Sans doute non si vous êtes comme moi. Vous avez juste constaté combien notre vie intérieure n’est que mouvement, n’est-ce pas ?

Plus loin, je tombe sur cette formule d’apparence paradoxale : « lestés de la mémoire / de ce qui va venir / les mots de passes / ensemencent le futur » (p. 14). Pourtant, vous aussi, vous pûtes être surpris que des mots, autrement dit des paroles prononcées ou pas, puissent vous revenir en tête des années tard ? Rarement (jamais), nous prêtons attention à cet étonnant matériau (alchimique ?) qu’est le mot et son rapport si libre avec le temps, n’est-ce pas ?

Plus loin, je tombe sur « la saveur du savoir » (p. 15). Oui, nous le savons, le savoir a un goût. On pourrait même supposer que seul le savoir est goûteux, si bien que si nous le trouvons sans saveur, nous devrions conclure qu’il s’agit d’un simple enregistrement et non d’un savoir à proprement parler.

Je n’ose poursuivre ce commentaire mot à mot, de crainte de décourager les meilleures volontés. Seule compte la lecture que chacun fera de ce recueil qui mériterait d’être retenu dans tous les grands prix de poésie (s’ils veulent le rester).

Parcourons les poèmes suivants à plus vive allure. Le second, « calligraphie des flocons » fait apparaître un paysage d’hiver où le silence « floconne ». Ainsi les mots viendraient pareillement, ils seraient l’aboutissement d’un phénomène météorologique sur quelques âmes. Ils se rendraient « crissant » en elles « comme pas dans la neige » (p. 23). (J’en profite pour lancer un appel à un jeune Doctorant pour écrire une thèse sur le thème de la neige chez Baudry et Christien afin de répondre à cette problématique : pourquoi est-elle si présente chez ces deux poètes si bretons, donc fils et fille d’un pays où si rarement la neige tombe ?).

Dans le troisième poème, « Au lieu longtemps cherché » il est affirmé : « j’invente un lieu » (p. 31). L’étrangeté de la formulation est de considérer la poésie comme une question de géographie et non comme une sculpture de la durée. Elle requiert « un toit protecteur », pour « infuser / l’alphabet patient du cristal de l’air » et suivre le dessin de « voix de l’inconnu » (p. 33). Le quatrième poème, « Le mot et le geste », rassemble des cartes postales prises devant des toiles de peintres : Vinci, Kandinsky, Marc Bernol, peintre et ami de Christien. Devant chacune d’entre elles, la poète écoute « les étincelles de couleur en liesse » (p. 38). Dans le poème suivant, « Solitude natale », se précise notre rapport au silence et par lui aux mots, qui nous permettent « d’éprouver », autrement dit de ressentir spirituellement avec et par la chair ; d’où la vivante « familiarité » qu’ils entretiennent avec notre terre natale, celle-là même où « le cœur se dénude / rendu à la solitude / natale » (p. 47). N’est-ce pas une définition inhabituelle (inouïe) de la terre natale : celle où nous éprouvons pleinement notre solitude ? celle aussi (la définition se poursuit) qu’on laissera après nous « en déshérence » (p. 49), c’est-à-dire, sans héritier ?

Parlons justement de la Bretagne de Christien. Elle montre « la roche déchirée » de son granit, ses « roulements / du flux et du reflux » devant une mer « poncée par le vent » (p. 51). Dans un autre poème, « Scories de la mémoire », elle souligne l’attitude de dépouillement de ses paysages. Plus loin, elle s’adresse à ses bardes, Glemmor, Xavier Grall et Youenn Gwernig et à Guy Allix en leur dédiant quelques poèmes. Plus loin, elle appelle à une complicité bretonne et chante la vitalité de ce pays qui porte « le poids infini / évanoui / dans le chœur des voix / qui précèdent // écho fébrile / d’un long cri de vigie » (p. 63). Enfin, le recueil finit (s’accomplit) par un poème hommage à Armand Robin le grand. Je retiens deux vers qui habillent si bien l’auteur de la Fausse parole : « Nulle langue / ne doit mourir » (p. 72) et « un mot s’efface / renaît ailleurs » (p. 78).

Une ultime surprise finale m’attendait à la dernière page : ce vers d’Apollinaire qui m’habite, au point que j’en ferai volontiers ma dernière parole : « Mon verre s’est brisé comme un éclat de rire » (p. 85).

Pierrick Le Masne de Clermont, in revue Possibles


Caractéristiques

Dimensions N/A
exemplaire

L'un des 300 exemplaires de l'édition originale

format / papier

15 x 21 sur Bouffant édition, 16,5 x 25 cm sur BFK Rives d'Arches

isbn

9782364264236

nombre de pages

100

parution

,

Auteur

CHRISTIEN Marie-Josée

Artiste

NOËL Laurent

Collection

Bibliophilie

Poésie